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Publié le 12 Avril 2019

Crif - Procès en appel contre le frère du terroriste de Toulouse : le point avant le début des plaidoiries

Au début du mois d'avril, sept ans après l'attentat de Toulouse, s'ouvrait le procès en appel du frère du terroriste. Tout l'enjeu de cet appel est de définir le degré d'implication de l'accusé dans ce tragique attentat et sa complicité avec le terroriste. Après des semaines à analyser la personnalité du frère du tueur, à l'interroger, ainsi qu'à écouter de nombreux témoignages, le verdict est attendu la semaine prochaine. A quelques jours du début des plaidoiries, le Crif fait le point sur ce procès en appel.

Lundi, les avocats entameront les plaidoiries dans le cadre du procès en appel du frère de Mohamed Merah, tueur de Toulouse et Montauban, ainsi que d'un complice supposé du tueur, Fettah Makli.

En première instance, Fettah Makli, délinquant multirécidiviste, a été condamné à 14 ans de prison pour avoir fourni l'arme au tueur. Abdelkader Merah quant à lui a été condamné à une peine de 20 ans de prison en première instance pour association de malfaiteurs (mais acquitté concernant la "complicité"), et encourt une peine de prison à perpétuité pour « association de malfaiteurs terroriste » et  « complicité d’assassinats ».

Lors du premier procès, en 2017, les juges avaient alors estimé qu'il n'était pas prouvé qu'une assistance ait été apportée en "connaissance de cause" par le frère du tueur. Tout l'enjeu du procès en appel pour les parties civiles est donc de prouver la complicité entre les deux frères, notamment en démontrant un possible rôle de mentor d'Abdelkader sur Mohamed.

Les relations entre les deux frères sont conflictuelles. En effet, en 2003, Mohamed va jusqu'à porter plainte contre son frère pour des faits de violence… plainte retirée peu de temps après. En 2006, Mohamed rejoint Abdelkader, parti plus tôt en Egypte, pour "étudier l'arabe littéraire", dit-il. Abdelkader a beau répéter que Mohamed était là-bas pour faire du tourisme, une photo est montrée lors de ce procès, avec les deux frères le doigt levé, et l'un de leurs amis brandissant un couteau. Ce geste du doigt levé, sensé à la base signifier l'unicité d'Allah, est devenu avec le temps l'une des poses préférées des djihadistes.

C'est en 2008 que Mohamed Merah se convertit à l'Islam, en prison. Après tout s'accélère : à sa sortie, il multiplie les voyages (Syrie, Irak, territoires palestiniens). Au moment de ses voyages, il fait halte en Egypte et rend de nouveau visite à son frère… avec qui il dînera la semaine des attentats, en France.

Lors du procès, l'autre frère (ils sont 5 enfants), Abdelghani, est venu apporter son témoignage. Ce frère a dès la première instance "chargé" sa famille, expliquant qu'elle était un terreau de haine. Abdelghani, lors de cette audience, a été mis en difficulté par les avocats de la défense : en effet, son témoignage comporte des imprécisions : il avait affirmé avoir rompu toute relation avec Abdelkader suite à une rixe entre les deux en 2003 qui s'est soldée par plusieurs coups de couteau, pour ensuite relater des faits sur son frères postérieurs à cette année-là (notamment toute sa période de radicalisation et prosélytisme). Beaucoup d'accusations d'Abdelghani concernant la radicalisation d'Abdelkader n'ont ainsi pu être corroborées par des faits précis, fragilisant le témoignage du frère.

Parmi les témoignages clés lors de ce procès en appel, l'ancien responsable des renseignements à Toulouse, Christian Balle-Andui. Pour lui, aucun doute, même si Abdelkader ne connaissait peut-être pas les cibles, il ne pouvait ignorer la radicalisation de son frère. D'autres faits étayent ses propos : Abdelkader a par exemple été aperçu avec Jean-Michel Clain, (djihadiste qui a au nom de l'EI revendiqué les attentats du 13 novembre) à la sortie d'une mosquée. Son témoignage met par ailleurs en évidence les lacunes et carences en surveillance à l'époque. Pour lui, néanmoins, l'environnement du frère aurait pu servir de "détonateur idéologique" au tueur.

La mère du terroriste, elle aussi, a témoigné à la barre. Les personnes présentes au procès relatent une personne qui répond à côté de toutes les questions. En jeu, notamment comprendre qui s'est connecté sur Le Bon Coin et a donné rendez-vous à Imad Ibn Zlaten : c'est en allant à ce rendez-vous pour acheter une moto que le parachutiste a été froidement assassiné. Au moment où le "vendeur' s'est connecté sur Le Bon Coin depuis chez la mère du tueur, le portable de Mohamed "bornait" à plusieurs kilomètres de là. Qui s'est alors connecté ? La mère se mure dans le silence et continue à affirmer qu'elle était seule ce soir-là.

Temps fort du procès, les témoignages des rescapés. Ainsi, Jonathan et Bryan (ce dernier pour la première fois) ont livré leurs témoignages à la cour.

Jonathan avait 17 ans en 2012. Aujourd'hui, ce jeune homme bientôt avocat continue à porter le traumatisme déclenché ce matin du 19 mars 2012. Présent sur place, dans la synagogue pour l'office du matin. En quelques secondes, la panique s'installe. Jonathan voit tout. Les enfants se réfugient au réfectoire et Jonathan, étant l'un des plus "âgés", tente en vain de calmer les plus petits. " Il y a 50 ou 60 gamins qui hurlent, pleurent, tapent du poing contre les murs. Un gamin de 13 ans hurle à se griffer le visage, jusqu'à s'en arracher les vêtements." décrit-il lors de son témoignage. N'y tenant plus, il a un moment de folie et sort du réfectoire pour aller dans la cour et assister les victimes. Les services de secours le ramènent à l'intérieur, il a néanmoins le temps de voir et mémoriser cette scène de chaos.

"C'est quelque chose qu'on n'est pas censé vivre", rappelle-t-il à l'audience.

Ce dont il se souvient après, lorsque les portes du réfectoire s'ouvrent enfin, c'est du "silence de mort", et de la présence des parents de Myriam Monsonego.

Concernant ce procès, Jonathan a "totalement conscience du droit de la défense à un procès équitable" et il espère que les preuves permettront de "retenir la complicité" d'Abdelkader Merah. "J'ai du mal à vivre avec l'idée que peut-être il est complice et que peut-être il ne sera pas condamné pour ça."

Jonathan conclut en rappelant que c'est tous les jours qu'il pense à ce qui s'est passé, même sept ans après, et qu'il doit apprendre à vivre avec.

Seconde victime à témoigner, Bryan, 15 ans au moment des faits, qui n'avait pas pu s'exprimer lors du procès en première instance. Le jeune homme, supposé garder Myriam Monsonego le matin du drame du temps qu'elle prenne son bus, se trouvait devant l'établissement quand le terroriste a surgi. Il s'est fait tirer dessus, et en garde une cicatrice de 30 centimètres. Il a par ailleurs dû subir trois opérations. Espérant que ce procès s'inscrive dans son long processus de guérison, Bryan s'est remémoré face à la cour les quelques minutes où tout a basculé. Et rappelle que c'est tous les jours, que les conséquences se font sentir.

Alors, quel rôle a tenu Abdelkader Merah dans cette histoire ? A-t-il été acteur, spectateur, ou étranger à la radicalisation de son frère ? Que savait-il de ses plans ? A-t-il participé à sa mise en œuvre ? Ce sont ces questions auxquelles les parties civiles attendent des réponses à l'issue de ce procès qui, espérons le, leur permettra d'apaiser une douleur toujours aussi vive.