Actualités
|
Publié le 14 Juin 2018

#Crif #Sport - Racisme, antisémitisme et football

Aujourd'hui, c'est l'ouverture de la Coupe du monde de football ! Au-delà de l'engouement populaire international qu'il suscite, cet événement sportif présente aussi un risque fort de dérapages et de violences racistes. Décryptage.

Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif 

La fédération internationale de football (FIFA) craint des manifestations à caractère raciste pendant les rencontres de la 21e Coupe du monde de football en Russie qui se jouera du 14 juin au 15 juillet. Pourquoi ?

« Le Mondial 2018 sera un festival de violence. » C’est ce que promettait un hooligan russe dans un reportage diffusé par la BBC, intitulé «Le monde secret du hooliganisme russe (1)». Plusieurs de ces supporteurs violents assuraient que de nombreux incidents auront lieu pendant la compétition. «Pour certains, ce sera le festival du football, pour d’autres, celui de la violence», met en garde l’un d’eux, le visage dissimulé.

Voilà donc l’angoisse des autorités russes, peut-être la plus importante parce que potentiellement la plus visible. Des cris de singe accompagnent souvent les matchs du championnat russe (2). Ils s’entendent lorsque l’on regarde les matchs de foot à la télé. Par exemple, l’ONG Football Against Racism in Europe (en abrégé, FARE) (3) a recensé pas moins de 89 incidents racistes autour des matchs en Russie sur la saison 2016/2017 (4). Le dernier en date a eu une résonance internationale parce qu’il avait eu lieu pendant la rencontre amicale du mois de mars 2018 entre la Russie et la France. Lors du match, des photographes français ont assuré avoir entendu des cris racistes lorsque le footballeur français Ousmane Dembélé touchait le ballon (5). Au final, la fédération russe avait alors écopé d'une amende de 30.000 francs suisses (environ 25.000 euros), annonce faite par la FIFA.

Les autorités ont pris les choses en main, dit-on en Russie. En attendant, des annonces ont été faites. Résumons-les :

- Des observateurs seront présents dans les stades pour tirer la sonnette d'alarme à la moindre manifestation de racisme de la part du public.

- Si des incidents surviennent lors d'un match, les preuves collectées par les observateurs seront transmises à la commission de discipline de la FIFA. La FIFA prendra les mesures qui s'imposent après analyse des éléments mis à sa disposition.

- Les observateurs aideront également le personnel de sécurité, avec lesquels ils sont en contact direct, à résoudre les incidents avant et pendant les matchs.

- Les arbitres peuvent interrompre les matchs et demander qu'une annonce publique soit diffusée dans le stade afin que les comportements discriminatoires cessent. Puis, ils peuvent suspendre le match jusqu'à ce que les comportements discriminatoires cessent et enfin, si les comportements discriminatoires persistent, arrêter définitivement le match (6).

Beaucoup craignent des débordements racistes, donc. Interrogé par Le Figaro, l’Italo-Suisse Gianni Infantino, qui préside la FIFA, répond :

«C’est un problème que l’on ne doit pas sous-estimer. Nous avons mis en place des mesures spécifiques. Comme des observateurs qui vont rapporter des dérapages. Pour la première fois aussi, les arbitres auront la possibilité d’interrompre, voire de stopper un match en cas de débordement (7).»

Comment expliquer la violence ultra et raciste dans les stades ?

Prenons quelques récents exemples. Le milieu de terrain français de la Juventus Blaise Matuidi cible d’injures racistes de la part de supporters sardes lors d’un match contre Cagliari, en série A italienne. Les deux Nigérians de Mayence Anthony Ujah et Leon Balogun accueillis par des cris de singe à leur entrée sur le terrain de Hanovre, en Bundesliga allemande. Le milieu de terrain colombien de Levante Jefferson Lerma traité, selon ses dires, de «nègre de merde» par Iago Aspas, attaquant du Celta Vigo, en Liga espagnole. Un tweet à l’humour douteux publié (avant d’être retiré) sur le compte officiel du Spartak Moscou – «Regardez comment des chocolats fondent au soleil», avec une photo de joueurs noirs du club s’entraînant à Dubaï…  En ce début d’année 2018, tous les footballeurs professionnels n’ont pas encore repris le chemin des terrains que le racisme y a déjà pris ses aises.

En dépit des campagnes menées pour l’en chasser, de l’implication des plus grandes stars, des efforts des instances officielles, il se manifeste encore dans tous les championnats et à tous les niveaux, dans les gradins, sur la pelouse et sur les réseaux sociaux rapporte et explique le quotidien suisse Le Temps, 30 janvier 2018.

Qui sont-ils ?

- Il y a d’abord les Ultras. Ils forment une catégorie particulière de supporters dont le but est de soutenir violemment son équipe. Dans son ouvrage, « Le phénomène ultras en Italie », publié en 2006 par les Editions Mare et Martin, Sébastien Louis, professeur d’Histoire-Géographie et de Sociologie à l’Ecole Européenne de Luxembourg, définit les Ultras comme étant de «jeunes supporters qui s'organisent au sein d'associations à but non lucratif pour soutenir activement leurs équipes de football à partir de la fin des années 60. Ils encouragent les leurs au moyen de slogans et d'animations visuelles.»

- Il y a ensuite les hooligans. Un hooligan est un supporter, certes. Mais, ce sont en général des voyous qui se livrent à des actes de violence lors d'une rencontre sportive, des fans de football rivaux bien décidés à se bagarrer, souvent entre eux.

- Mais, certains hooligans sont politisés. Dans les années 80, les partis ou groupuscules d'extrême droite tentent de noyauter ces groupes de supporters. Le phénomène commence en Grande-Bretagne, avec l'entrisme du British Movment et du National Front. Au final, le terme même de hooligan est très marqué politiquement.

Pour des milliers de jeunes gens de toute l’Europe, la violence ultra est devenue la règle. La bagarre est une sorte de rituel, le salut nazi peut devenir une tentation. Comment doit-on alors qualifier les nervis qui envahissent les pelouses ? Que doit-on comprendre de leurs agissements ? Nous savons qu’ils développent une rage qui s’exprime avec une féroce brutalité. Certains s’identifient aux nazis qu'ils découvrent le plus souvent en regardant de vulgaires séries télévisées et en feuilletant de grossiers fanzines et des bandes dessinées. Le nazisme tel qu’il se le représente, apparaît à leurs yeux comme une sorte de «quête» purificatrice, d'une violence salvatrice. Devenus nazis, mais de pacotille, habillés de T-shirts et décorés par des têtes de mort, à leur tour, ils veulent jouer aux petits soldats. Les groupuscules et les militants nationalistes ou néonazis savent parfaitement utiliser ce filon. Les tribunes sont donc envahies par des supporters fous, éructant de haine et de rage.

La télévision ou le cinéma ont tenté de décrire l’univers de ces supporters.

En 1994, un film diffusé par la télévision allemande, «Hass im Kopf» (Avoir la haine), du scénariste Uwe Friessner, décrit l'univers cauchemardesque de jeunes qui vivent dans une petite ville allemande tranquille (8). Ils sont vite entraînés dans une spirale de violence. Il s'agit d'abord, pour eux, de se forger une identité, au-delà, presque une «virilité». Puis, tout s'enchaîne. Il faut prouver aux autres membres du groupe, sa détermination et sa force. Cogner devient le leitmotiv, la raison d’être, y compris dans les stades. La caméra s’attarde sur l’un d’entre eux. On le voit, soûl, invectivant des passants, crachant et hurlant. Il faut aussi trouver un coupable idéal, l'éternel bouc émissaire: ce sera le petit épicier turc de la rue. Et, dans cette spirale, comme cela ne semble pas leur suffire, les jeunes décident de profaner un cimetière juif. Ils font la fête, boivent et se félicitent d’un tel acte de «bravoure». Ils iront jusqu'à assassiner sauvagement une vieille alcoolique qui, pourtant fréquente le groupe. Le scénariste ne veut pas excuser, il s'interroge, il tente de comprendre et au-delà, peint une société globalement indifférente.

En 1993, un autre téléfilm «Kahlschlag» (9), celui du réalisateur allemand Hanno Bruhl (10), est tout aussi intéressant. Robin à 16 ans, cheveux roux et regard de chien battu. Entre un père parti refaire sa vie et une mère absente et agressive, la vie de Robin se délite. Il n'y a guère qu'avec Marie, sa petite sœur, que le dialogue et la tendresse subsistent. Mais cela ne suffit pas. Robin a soif de reconnaissance et surtout d'affection; besoin de s'affirmer et de se mesurer. Des stimulations qu'il ne trouve ni à la maison ni dans l'univers protégé du lycée. Séduit par un camarade de classe qui ne cache pas sa xénophobie, il cède doucement. Pour finalement s'échouer chez Bernd, qui anime un réseau néonazi dans une cité bétonnée. L'accueil est chaleureux. Là, on est entre hommes : fraternité, solidarité, ordre et obéissance. Commence alors une descente aux enfers, rapide et violente...

Et ce phénomène n’est pas nouveau.

En effectuant quelques recherches sur les violences qui ont été perpétrées dans les stades de foot, le constat est accablant. Cela fait depuis les années 80 que des violences sont commises, avant, pendant ou après des matches, que des supporters scandent des slogans racistes et entonnent des chants nazis. Depuis une trentaine d’années, de grands drapeaux à croix celtiques, à tête de mort ou avec l’emblème de la SS sont brandis dans certaines tribunes, y compris à Paris (11). De jeunes excités font le salut nazi, des supporters provoquent des heurts avec les équipes adverses. Des jeunes gens sont agressés, injuriés, frappés. Trente ans de violence dans une Europe éclatée où les mouvements nationalistes et/ou populistes relèvent dangereusement la tête

Au fond, tout comme le rock identitaire, pour des milliers d’adolescents, la violence est devenue la règle, la bagarre, un rituel, le salut nazi, une tentation. Les groupuscules néonazis ou d’ultras se servent des stades comme d’une tribune, pour compter, exister et menacer. Et, c'est bien là le danger.

Notes :

1. https://www.bbc.com/news/av/world-europe-38986206/the-secret-world-of-russia-football-hooligans?ocid=socialflow_twitter

2. Voir à ce sujet : https://www.20minutes.fr/sport/2258179-20180419-nouvelle-enquete-ouverte-russie-apres-cris-singe-lances-fans-spartak-moscou

3. Sur Fare, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Football_Against_Racism_in_Europ

4. Voir le rapport de FARE  en anglais en cliquant sur ce lien : http://farenet.org/wp-content/uploads/2018/05/FINAL-SOVA-monitoring-report_2018-6.pdf

5. Voir à ce sujet : https://www.20minutes.fr/sport/2256475-20180417-cris-singe-pendant-russie-france-procedure-disciplinaire-ouverte-contre-federation-russe

6. « La FIFA craint toujours les manifestations racistes pendant la Coupe du monde », Sport foot, 12 juin 2018.

7. Le Figaro, 5 juin 2018.

8. https://www.imdb.com/title/tt0109998/?ref_=nm_flmg_dr_

9. Dans sa version française, le film est intitulé «L’école de la haine»

10. https://www.imdb.com/title/tt0107300/?ref_=nm_flmg_dr_8

11. Voir par exemple  http://www.leparisien.fr/une/hooligans-et-psg-quinze-ans-de-liaisons-dangereuses-26-11-2006-2007541633.php