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Publié le 4 Mars 2020

Crif/Sécurité - En France, la menace terroriste pourrait provenir également de l’ultra-droite

Certains pensent à tort qu’il ne faudrait pas craindre qu’un attentat puisse être fomenté par l’extrême ou l’ultra-droite, en France. Vraiment ?

Par Marc Knobel, Historien, directeur des Etudes au Crif

« L’attentat de Hanau (1) devrait être un signal d’alarme pour les voisins de l’Allemagne », prévient au quotidien Le Monde, une chercheuse allemande, Nele Wissmann. Or, en Allemagne, dans son rapport annuel 2018, l’Office fédéral de protection de la Constitution a comptabilisé 24.100 militants d’extrême-droite, et classé comme violents plus de la moitié d’entre eux (2). Si la situation est bien différente en France et si l’ultra droite est moins dangereuse qu’elle ne l’est en Allemagne, quelques exemples récents devraient inquiéter. Nous listons ici les tentatives d’attaques ou d’attentats qui ont pu ou qui auraient pu se produire dans notre pays.

En 2014, Marc et Julien B. sont mis en examens pour association de malfaiteurs en vue de la participation à un groupe de combats (3). Jean-Pierre B. comptait poignarder Emmanuel Macron à l’aide d'un couteau en céramique lors des cérémonies du 11 novembre 2018 prévues à Charleville-Mézières. Six personnes sont interpellées.

En juin 2018, les services antiterroristes français interpellent une dizaines personnes liées à l’ultra-droite. Les suspects avaient un projet de passage à l'acte violent, ciblant des personnes de confession musulmane (4). C’est ainsi que les membres de ce groupe envisageaient de tuer des imams radicaux, d’empoisonner de la nourriture hallal, de lancer des grenades sur des musulmans. La journaliste Elise Vincent, du Monde, raconte :

« Le passage à l’acte devait avoir lieu en septembre dans sept ou huit supermarchés situés dans des quartiers « à forte concentration musulmane », selon un compte rendu de l’agent infiltré ayant assisté à une réunion, en juin. Le projet aurait répondu à un mode opératoire précis. « Les femmes seraient chargées de faire les achats et la dépose, habillées en niqab, pour ne pas se faire remarquer et importuner », selon le même procès-verbal. Lors d’une perquisition, les enquêteurs ont découvert un document rédigé par l’une des mises en examen listant à sa manière la façon de procéder.

« Accès au magasin, camouflage plaques des véhicules, grimage, accès au rayon halal, pollution des barquettes, remise en rayon… »

Le poison, quant à lui, aurait été injecté « à coups de seringue, piqûre », avec de la mort-aux-rats, le bromadiolone, selon un militant interrogé plus tard. Lors d’une réunion, une femme se présentant comme « naturopathe », a pour sa part proposé de la digitale, une plante médicinale destinée au traitement de l’insuffisance cardiaque. Quelque 120 grammes de feuilles suffisent pour fabriquer une dose mortelle. Une option finalement abandonnée. Un test sur un animal devait avoir lieu au mois d’août. L’hypermarché Auchan du quartier d’affaires de la Défense (Hauts-de-Seine) et un supermarché d’Athis-Mons (Essonne) semblent avoir fait l’objet d’opérations de repérages (5). »

En novembre 2017, un mystérieux « Commando de défense du peuple et de la patrie française » déclare son admiration pour le néonazi Anders Behring Breivik, auteur de la tuerie de l’île d’Utoya (Norvège) qui avait coûté la vie à 77 personnes en 2011 (6). Le groupe fait également part de son intention de passer à l’acte.

En octobre 2017, un autre groupe d’ultra-droite projetait des « actions violentes » contre des politiques ou des mosquées. L'enquête a montré que l’organisation prévoyait des achats d'armes et d’effectuer des entraînements paramilitaires. Certains d’entre eux s’étaient déjà entraînés aux tirs (7). Cinq personnes sont arrêtés entre septembre 2018 et mai 2019, dont deux en Indre-et-Loire. Ils appartiendraient à un groupuscule néo-nazi. Tous échangeaient sur un forum sur internet. Ils sont soupçonnés d'avoir projeté un attentat contre les communautés juive et musulmane (8).

Le 27 juin 2019, Un homme répondant au nom de Karl F., arrêté en voiture devant la mosquée Sunna de Pontanezen, tire plusieurs coups à l’arme de poing, visant l’imam Rachid El Jay, avant de prendre la fuite. Il se suicide peu après, et explique dans une lettre avoir été enlevé et contraint (9).

Le 28  octobre 2019, Claude Sinké, ancien candidat Front national, tente d'incendier la mosquée de Bayonne, puis tire sur deux fidèles qui sortaient du bâtiment, les blessant gravement, avant d'incendier une voiture et de s'enfuir ; il est arrêté peu après à son domicile par la police, qui trouve une arme de poing et une bombonne de gaz dans son véhicule (10).

Nous pourrions multiplier les exemples.

Un récent rapport parlementaire examine l’émergence d’une tentation terroriste

Mais, dernièrement, c’est un récent rapport parlementaire (11) qui évoque l’émergence d’une « tentation terroriste », en France, dans certains milieux d’extrême droite, qu’il faut « prendre au sérieux. » Que dit à ce sujet le rapport ?

« Les groupuscules d’extrême droite justifient une attention étroite de la part des pouvoirs publics en raison de leurs caractéristiques propres. L’élément central qui les rassemble est l’utilisation de la violence physique ou symbolique. Toutes ces organisations agissent en menaçant régulièrement l’ordre public. Concrètement, ces menaces vont se traduire par des violences physiques sur les personnes, du harcèlement, des menaces, l’enregistrement et la diffusion d’images de violence ; les destructions, dégradations, détériorations ; l’apologie des crimes, et la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence ; l’injure et la diffamation. Certains groupes s’organisent en camps d’été au cours desquels leurs membres peuvent notamment apprendre le maniement des armes. Certains d’entre eux s’arment et se préparent à une guerre civile qu’ils croient imminente, qui opposeraient un « nous » et un « eux » (les musulmans, les juifs, d’autres minorités). La mouvance « ultra » de l’extrême droite va utiliser cette violence au nom des idées qui leur sont communes. On retrouve chez tous ces groupes l’identité comme thème central, qui va être dévoyée vers un fantasme de communauté exclusive et menacée par l’étranger, celui-ci pouvant être non national ou extra européen. Si on retrouve des nuances certaines de pensée entre les nationalistes révolutionnaires, les identitaires, les nationaux-socialistes, la mouvance skinhead, toutes ces branches ont en commun le rejet des étrangers, ainsi que l’incitation à la haine raciale, homophobe et sexiste. Le rejet total de la République fait également partie de leur corpus idéologique, précise le rapport(12). »

Le rapport indique ensuite que le risque terroriste comporte deux aspects.

·        Des groupes aux effectifs très réduits (environ une dizaine de personnes) de type survivaliste. Ces groupes considèrent qu’ils sont en guerre et disent se positionner notamment en réaction aux attentats islamistes que la France a connus ces dernières années (13).

·        Un second risque réside dans la figure de celui qu’on nomme « loup solitaire », sans qu’il le soit véritablement. La capacité d’un individu seul à passer à l’acte résulte quand même des contacts entretenus précédemment avec des groupes. C’est par exemple le cas de Maxime Brunerie qui a fréquenté les milieux d’ultradroite (en particulier le groupuscule Unité radicale) avant de commettre sa tentative d’assassinat contre Jacques Chirac le 14 juillet 2002. Plus récemment, un habitant d’Aix-en-Provence, un néo-nazi, a été interpellé le 29 mai 2019 : il avait déclaré sur les réseaux sociaux envisager de faire « un carnage » au cours du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) à Marseille le 3 juin 2019 (14).

Si le rapport des députés Muriel Ressiguier (LFI) et Adrien Morenas (LREM) parle d’une mouvance de 2000 à 3000 radicaux (15) une source du renseignement estime à « 200 à 400 » le nombre de militants d’ultra-droite potentiellement dangereux.

« On constate une certaine vigueur de l’ultra-droite, avec un panel extrêmement large de groupes en concurrence qui se détestent ». « Certains individus ou petits groupes ont des velléités de passage à l’acte » : la police a découvert des projets d’attaques (16). »

Nous sommes très loin des effectifs qui ont été comptabilisés en Allemagne et de la potentialité que des groupes ou des individus puissent commettre à nouveaux, des attentats. Cependant, il ne faut pas écarter cette possibilité en France.

 

Notes :

[1] Neuf personnes ont été tuées le 20 février à Hanau, en Allemagne, après deux fusillades dans des bars à chicha. L’auteur présumé des attaques a été retrouvé mort chez lui. Il a laissé un manifeste de 24 pages au relents racistes et complotistes.

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/25/l-attentat-de-hanau-devrait-etre-un-signal-d-alarme-pour-les-voisins-de-l-allemagne_6030694_3232.html

[3] Willy le Devin, « Dans le Doubs, les frères néonazis ne jouent plus aux durs », Libération, 30 mai 2014.

[4] Elise Vincent, « Quand l’ultradroite visait des musulmans », Le Monde, 5 septembre 2018, pp. 6-7.

[5] Idem.

[6] Sur Anton Breivik, le lecteur consultera l’essai traduit du norvégien de Oyvind Strommen, La Toile Brune, Paris, Actes Sud, 201 pages.

[7] Voir à ce sujet Marc Knobel, « Depuis 2000, l’antisémitisme est un phénomène particulièrement inquiétant », Trop Libre, 1er février 2019.

[8] France bleue, 12 juin 2019.

[9] Saphirnews, « Une fusillade devant la mosquée de Brest, deux blessés dont l'imam : ce qu'on sait de l'attaque », 27 juin 2019.

[10] France info, 28 octobre 2019.

[11] La commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscule d’extrême droite en France était composée de : Mme Muriel Ressiguier, présidente ; M. Adrien Morenas, rapporteur ; M. Éric Diard, Mme Émilie Guerel, M. Thomas Rudigoz, Mme Laurence Vichnievsky, vice-présidents ; MM. Christophe Arend, Meyer Habib, Mme Véronique Hammerer, M. Régis Juanico, secrétaires ; MM. Belkhir Belhaddad, Francis Chouat, Mme Coralie Dubost, MM. M’jid El Guerrab, Pascal Lavergne, Stéphane Mazars, Ludovic Mendes, Thierry Michels, Jean-Michel Mis, Pierre Morel-À-L’Huissier, Stéphane Peu, Bruno Questel, Mme Valérie Thomas, M. Jean-Louis Touraine, Mme Michèle Victory, M. Sylvain Waserman.  

[12] Muriel Ressiguier, présidente, Alain Morenas, rapporteur, Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale, le 6 juin 2019, p.14.

[13] Muriel Ressiguier, présidente, Alain Morenas, rapporteur, Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, idem, p. 17.

[14] 20 minutes, « Aix-en-Provence : Un néonazi, qui voulait faire un « carnage » au dîner du Crif à Marseille, interpellé », 5 juin 2019.

[15] Voir l’article de Claire Hache et Anne Vidalie, « Ultras: 3000 radicaux fichés S par le renseignement », L’Express, 19 février 2019.

[16] Jean-Dominique Merchet, « La menace terroriste en France n’est pas seulement islamiste », L’opinion, 16 juin 2019.