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Publié le 10 Février 2015

Discours de Nicole Bornstein, Présidente du CRIF Rhône-Alpes, à la commémoration de la rafle de la rue Sainte-Catherine

«Le passage à l’acte assassin, qu’il soit de masse ou isolé, est la conséquence d’une longue maturation du verbe et de l’écrit antisémites»
 

Lyon, dimanche 8 février 2015,
Il y a 70 ans, s’ouvraient les portes des camps d’où sortirent les morts vivants… devant les regards abasourdis des nations, des nations qui, pourtant, pour la plupart, savaient presque tout , mais n’avaient rien voulu voir… !
C’est il ya très exactement 72 ans, en ces lieux, siège de l’UGIF, que 86 Juifs, dont les noms figurent sur cette plaque, ont été raflés parce que juifs !
83 ne sont jamais revenus, n’ont jamais retrouvé leur famille, leurs parents pour les uns, leur conjoint ou conjointe pour les autres, leurs enfants, enfants dont certains sont encore parmi nous et qui, inlassablement, reviennent en ces lieux pour se recueillir et rechercher l’espace d’un fugitif instant le souffle de ceux ou celles auxquels ils n’ont jamais pu dire au revoir, et auxquels ils n’ont jamais, jamais cessé de penser.
Je ne veux pas manquer de m’adresser tout particulièrement  à l’un de ces enfants présents aujourd’hui, Maitre Robert Badinter.
Chaque année, cette commémoration nous invite à la réflexion, car elle ne doit ni se réduire à un rituel administratif auquel on doit se conformer avec des discours convenus, ni à l’hommage indispensable aux victimes, hommage auquel on ne pense plus la cérémonie à peine achevée !
Beaucoup s’interrogent sur l’importance des cérémonies commémoratives en ces 70 ans, partout dans le monde.
Pourquoi ce choix de commémorer, après 70 ans, la fin de ce qui fut l’obsession fondatrice du régime nazi ?
Sans doute un symbole fort, celui de la vie d’un homme, mais aussi et surtout, ce temps où peu à peu, irrémédiablement, les témoins vont se taire, celui d’un cap que l’on a tous très peur de franchir...
Car après, qu’adviendra-t-il de nos interrogations ? A qui les adresserons-nous ?
70 ans plus tard, on continue encore de découvrir, d’exhumer, d’analyser des archives et aussi, d’inaugurer des mémoriaux et de commémorer, bref de semer tous les petits cailloux blancs chargés de mémoire.
Nous en profitons aujourd’hui pour remercier particulièrement ceux de nos autorités politiques et institutionnelles qui ont, ces dernières années, considérablement  enrichi notre ville et notre région de ces lieux de mémoire.
Nous voulons également remercier ceux des enseignants qui, dans un contexte difficile et souvent hostile, s’investissent pour éclairer nos jeunes par l’apprentissage de l’histoire, par l’organisation de rencontres avec des témoins survivants, par des visites de musées et lieux symboliques de cette époque, par des travaux de lecture et de recherche qui les préparent à des voyages presque initiatiques en ce domaine.
Nos jeunes lycéens et leur professeur du Lycée Ampère présents ce matin en sont la parfaite illustration. Remercions particulièrement le lycée Ampère pour sa fidélité à cette cérémonie.
Souhaitons qu’ainsi, ces lycéens deviennent les futures sentinelles de la lutte contre toutes les formes de négations et révisionnisme qui malheureusement, continuent de renaître et de  sévir :
 - Ainsi, ceux qui encore aujourd’hui ne voient en la « Shoah » qu’un détail du conflit  de la Deuxième Guerre mondiale
- Ceux qui, gênés par la trop grande spécificité du mot hébraïque «  Shoah » ont préféré le voir remplacer dans les livres scolaires par celui de « génocide », le déjudaïsant du même coup !
- Ceux qui, dans les programmes éducatifs de 2012, ont ramené à 1h30 dans tout le programme scolaire des lycéens l’enseignement de la Shoah !
Cette rafle au local de l’UGIF le 9 février 1943, survenue  une semaine après la reddition de l’armée allemande à Stalingrad illustre, s’il en était besoin, le fondement premier du projet nazi, celui de l’extermination totale des Juifs d’Europe avant même celui de leur victoire.
 Ce fut le même but en juin, juillet et août 1944 en France, alors que les troupes alliées avaient déjà débarqué,  ou en Hongrie de mai à juillet 1944, en plein reflux de l’armée allemande vaincue.
Cet acharnement antisémite, construit sur des racines millénaires, a trouvé au fil du temps des justifications selon les époques et leur contexte historique.
-Ainsi, le peuple déicide a justifié l’antisémitisme chrétien depuis le haut moyen-âge jusqu’à l’époque moderne
- Le peuple inventeur du monothéisme a justifié l’antisémitisme de certains philosophes de l’âge des lumières
-Les Juifs accusés d’être ploutocrates ont justifié l’antisémitisme des socialistes d’avant l’affaire Dreyfus qui nourrit encore une certaine extrême gauche
-Les Juifs communistes ont justifié l’antisémitisme de la droite extrême
-Les Juifs apatrides d’avant-guerre ont justifié l’antisémitisme de tous les nationalistes
-Et aujourd’hui, les Juifs qui ont une patrie, Israël, justifient l’antisémitisme de ceux qui ne leur reconnaissent pas le droit à cette patrie, antisémitisme à leur égard et à l’égard de Juifs en France, et en occident.
C’est ainsi que tourne, sans relâche, la roue infernale de la haine : des bûchers du moyen-âge à ceux de l’inquisition, des pogroms de l’est de l’Europe et d’Afrique du Nord, des fosses de la Shoah par balles à la fumée des crématoires d’Auschwitz, et aujourd’hui, à la volonté de rejeter à la mer les Juifs d’Israël, jusqu’à l’assassinat sommaire de Juifs anonymes parce que juifs…
Le passage à l’acte assassin, qu’il soit de masse ou isolé, est la conséquence d’une longue maturation du verbe et de l’écrit antisémites : le protocole des sages de Sion, la France juive de Drumont, les discours de Maurras préparèrent l’antisémitisme d’état de Vichy.
Aujourd’hui ,les meetings antisémites d’un pseudo-humoriste et ses acolytes, les stéréotypes et autres clichés nauséeux, les cris  de « morts aux Juifs » dans des défilés propalestiniens, les distinctions de citoyens d’honneur délivrées dans certaines communes à des terroristes palestiniens avérés, les sites extrémistes sur internet, les programmes antisémites de certaines chaines orientales, les drapeaux en berne, notamment à quelques 300 m d’ici, sur le fronton de la mairie du 1ier arrondissement, pour témoigner d’une compassion à géométrie variable, entretiennent un climat de haine antijuive…. !
Porté par le déni, le passage à l’acte de l’assassin pourra s’exercer en toute impunité, d’autant que personne ne le retiendra.
C’est ainsi qu’hier, dés la mi 1942, le pape Pie XII, Winston Churchill, et le Président des Etats-Unis Franklin Roosevelt étaient parfaitement informés de ce qui se déroulait à l’est de l’Europe.
 Ne voulaient-ils rien voir, ne pouvaient-ils rien faire, ou ne voulaient-ils rien faire ?
Aujourd’hui, ou plutôt ces dernières années, face à un antisémitisme prenant le masque de l’antisionisme, porté par le radicalisme islamique et les extrêmes droite et gauche, et épaulé par quelques béats bien pensants le déni s’est installé .
Malgré nos appels alarmistes et moult fois réitérés, une majorité de l’opinion publique bien pensante n’a pas voulu  admettre, puis voir que c’était cette haine qui finirait par porter couteau et kalachnikov.
Mais devant nos jeunes amis ici présents, je ne voudrais pas donner le sentiment que les Juifs de France ont toujours été isolés face à l’antisémitisme.
-C’est la révolution qui a accordé la citoyenneté française aux Juifs en 1791, après des siècles de sous- citoyenneté.
-C’est Zola, Péguy et bien d’autres, qui s’opposèrent courageusement à la meute antisémite lors de l’affaire Dreyfus
-Alors que pendant la guerre certains profitèrent de l’occupation allemande pour assouvir leur haine antisémite, au contraire ce sont des personnalités comme Monseigneur Salièges, Théas, Gerlier, le Général Robert de ST Vincent et des milliers de justes anonymes qui, au péril de leur vie, permirent de sauver 3/4 des Juifs de France.
-Aujourd’hui, antisémitisme et racisme sont punis par la loi.
-Aujourd’hui la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est devenu grande cause nationale.
Les mesures de lutte contre le terrorisme, plus particulièrement celui d’origine jihadiste, ont été renforcées au fil des années et notamment, depuis le début de l’année 2015.
Malheureusement, il a fallu attendre les attentats des 7,8 et 9 janvier 2015 pour qu’enfin les yeux se décillent !
On a répété à l’envi ces dernières années que s’attaquer aux Juifs de France, c’était s’attaquer à la république et à ses valeurs.
Mais qui en avait, vraiment, profondément conscience ?
Pourtant, ce fut déjà le cas lorsque le régime de Vichy donna la main à l’Allemagne nazie pour accomplir la solution finale. Le régime de Vichy mettait alors à bas toutes les valeurs que la république avait mis des dizaines d’années à construire et à faire vivre !
Au soir du 9 janvier, la France abasourdie découvrit que les assassins des caricaturistes, des policiers de la république, et de Juifs, étaient les mêmes.
En février1943, comme en janvier 2015, s’attaquer aux Juifs de France c’est s’attaquer à la république et à ses valeurs… !
Mais, il y a quelques jours à peine, Marceline Lériden Ivens, survivante des camps de la mort, disait son angoisse de voir, au soir de sa vie, l’implacable roue de l’antisémitisme se remettre en marche comme du temps de son adolescence… !
Espérons que pour elle, nous saurons, vous saurez arrêter à temps cette roue, pour qu’elle n’ait pas survécu pour rien, pour que 6 millions de Juifs ne soient pas morts pour rien…