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Publié le 25 Avril 2014

Discours de Tomasz Orłowski, Ambassadeur de la République de Pologne, prononcé à l'occasion de la commémoration de la révolte du ghetto de Varsovie

Jeudi 24 avril 2014

En octobre 1939, environ 360 milles Juifs vivaient à Varsovie. Jusqu’à la fermeture du ghetto, presque 90 milles personnes de plus sont arrivées des terres annexées au 3ème  Reich. Dans la période de la plus grande densité, la population de ce petit espace de 3 kilomètres carrés atteignit 460 milles personnes, soit 146 milles par kilomètre carré. Un quart d’entre eux étaient des enfants de tous âges. Tous vivaient dans des conditions déplorables, subissaient la famine, ne pouvaient satisfaire les besoins les plus élémentaires. Gouvernés par les nazis, maîtres de la vie et de la mort, ils vivaient dans la peur constante. Les Juifs du Ghetto de Varsovie n’ont pourtant jamais perdu leur dignité, ni leur courage, ni l’espoir. 

Dans les tristes rues du ghetto durant toute cette période,  persistaient la vie religieuse, l’éducation, l’activité politique mais également la culture et le divertissement, les concerts de musique ou les spectacles théâtraux. Grâce au dernier livre, bouleversant, de Marek Edelman, nous savons qu’« il y avait même l'amour dans le ghetto ». Les gens s’aimaient pour ne pas avoir peur – dit Edelman. Mais dans un monde où tout est interdit, la volonté de survivre est déjà en elle-même un acte de résistance et de courage.

Dès l’été 1941, les premières informations sur les exécutions massives de la population juive, femmes et enfants compris, arrivent au ghetto, mais c’est la campagne de déportation des Juifs vers le camp de Treblinka, débutée en juillet 1942, qui est devenue la raison ultime du soulèvement du Ghetto de Varsovie. Environ 300 milles personnes ont été assassinées dans les chambres à gaz. La ville a changé, les rues sont devenues vides et silencieuses. Il est difficile aujourd’hui de s’imaginer cette ambiance où règnent en permanence la peur et le désespoir. Alors que le dernier transport part de l’Umschlagplatz le 21 septembre 1942, seuls 60 milles Juifs environ sont restés sur le territoire du ghetto, dont la moitié cachée dans les ruines.

Pour ces survivants, qui étaient pour la plupart jeunes et solitaires, qui ont perdu leurs familles et leurs proches, il était devenu évident que la décision de reconduire le processus d’extermination n'était que temporaire et qu’un nouveau transport signifiait la mort. Ils se mirent alors à préparer une grande action militaire. Nous avons aujourd’hui du mal à comprendre comment ces gens affamés, souvent malades, au moral dévasté par les années de terreur, ont trouvé en eux l’audace et la force de construire des bunkers et de collecter des armes. C’est effectivement la tentative des nazis de faire partir un nouveau transport au camp de la mort qui a déclenché la défense armée, le matin du 19 avril 1943, le jour de Pessa'h. Quelques centaines de Juifs se sont dressés contre plusieurs milliers de soldats et policiers allemands. Les habitants du ghetto étaient, à la surprise des nazis, des adversaires redoutables. Ils se sont non seulement défendus avec beaucoup d’acharnement, mais ils sont également passés à l’attaque, obligeant ainsi le général Stroop de faire intervenir de troupes supplémentaires dans les zones du ghetto.

Ce soulèvement était pourtant condamné à la défaite et ses dirigeants le savaient.

Mais c’était une défaite militaire, et pas humaine. C’était avant tout un acte ultime d’indépendance, une preuve de force morale. Il y avait dans cette lutte, comme l’a si bien décrit le professeur Jacek Leociak, historien du Ghetto de Varsovie, « l'héroïsme et le désespoir, le courage et la colère, le désir de vengeance et de protestation contre l'indifférence. Le mépris des Allemands et le mépris de la mort. Le désaccord et la rébellion. Il y avait aussi un sentiment de solitude terrible. Et la volonté d’éveiller la conscience du monde ».

Pourtant l’immensité du crime fut elle-même un obstacle au réveil de cette conscience, comme le montre la mission de Jan Karski, envoyé des autorités polonaises clandestines. Elie Weisel dans son étude sur Karski a écrit : “Comment ne pas admirer ce grand Polonais – grand dans tous les sens du mot – qui a osé démasquer et condamner l’antisémitisme dominant dans certains groupes chauvins de la Résistance polonaise, qui a risqué sa vie pour sauver les Juifs destinés à l’anéantissement dans les camps de la mort établis par les Allemands dans son pays? Affecté par leur tragédie au point de ne plus pouvoir penser à autre chose, il en parlait à tous ceux qu’il rencontrait au cours de ses voyages. (…) Après, il s’est tu. Il avait compris que ses paroles tombaient dans le vide. Les gens s’occupaient d’autre chose, les dirigeants se donnaient d’autres objectifs.(…) »

Aujourd’hui, 100 ans après la naissance de Jan Karski et 72 ans après la présentation de son rapport aux gouvernements des alliés, nous savons que « son témoignage a toutefois porté ses fruits. Grâce à lui nous savons que l’individu, lorsqu’il le veut, a la capacité d’influer sur le cours de l’histoire (…) Grâce à lui les générations futures pourront retrouver la foi en l’humanité”.

Le 16 mai les nazis ont détruit la Grande Synagogue à l’aide des explosifs. Ce fut la fin symbolique du soulèvement. Les Allemands voulaient ensuite détruire toute trace du Ghetto de Varsovie. Selon les ordres d’Hitler et d’Himmler, il devait être rasé jusqu’à la dernière pierre et la dernière trace de vie.

Ils n’ont pu néanmoins détruire la mémoire, aussi bien celle du sort terrible des habitants du ghetto, que celle de leur courage extrême. Grâce aux archives collectées clandestinement par Emanuel Ringelblum, mais aussi aux souvenirs des survivants, nous pouvons nous rendre compte de l’ampleur du combat des Juifs de Varsovie, combat pour la vie qui a été mené non seulement lors du soulèvement de 1943 mais aussi dans tous leurs petits gestes du quotidien.

„Les Polonais étaient témoins de l’Holocauste: ce que nous avons fait dans cette épreuve et ce que nous en faisons jusqu’aujourd’hui est une autre question. A l’une des extrémités, il y a la collaboration active avec les Allemands, la délation et l’assassinat des Juifs – à l’autre, leur sauvetage. Au milieu se place la posture d’indifférence, de désintérêt, et un océan de „spectateurs passifs” qui observaient l’anéantissement avec compassion ou, au contraire, avec satisfaction. (…) L’extermination des Juifs fait ainsi partie de l’expérience polonaise. C’est un défi, un engagement particulier, mais aussi un appel à approfondir la connaissance des faits, à mesurer la dimension du bien et du mal dans l’homme. Ce sont les questions les plus graves auxquelles il faut se confronter dans la réflexion. Si nous voulons être considérés comme une nation mûre et citoyenne, nous devons aussi affronter ouvertement l’expérience liée à la Shoah. » - dit Professeur Leociak.

Aujourd’hui nous célébrons les 71 ans du soulèvement du Ghetto de Varsovie. C’est un moment propice pour rappeler que nous sommes désormais les témoins de l’histoire, que nous sommes responsables de la transmission de ce terrible savoir, de la compassion et de l’admiration pour les héros, en partie anonymes, qui sont morts dans ce combat. Et c’est dans cette perspective qu’un nouveau Musée d’Histoire des Juifs de Pologne vient d’être créé à Varsovie, sur l’emplacement même du ghetto et dont la mission est de perpétuer son histoire.

En tant qu’Ambassadeur de Pologne, le pays qui porte cette blessure que rien ne pourra jamais cicatriser, je suis honoré et privilégié de pouvoir partager cette mission de ne jamais laisser oublier l’histoire d’une des plus grandes preuves du courage et de dignité humaine que fut le soulèvement du Ghetto de Varsovie, mission de témoin de notre passé commun ici, au Mémorial de la Shoah à Paris, et surtout de le faire aujourd’hui, le 24 avril, un jour spécial – la date du 100ème anniversaire de Jan Karski célébré parallèlement en Pologne en présence du Président de la République Bronislaw Komorowski.

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