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Publié le 15 Janvier 2013

Entre pensée juive et universalisme, qui sont les intellectuels juifs ?

 

À l'occasion de la parution le 16 janvier prochain du livre de l'historienne Sandrine Szwarc, dont la signature est bien connue à « Actualité Juive », sur Les intellectuels juifs de 1945 à nos jours », le débat est ouvert sur la définition et le rôle de ce groupe particulier. Entre fascination et persiflage, qui sont-ils ? Le tour de la question dans le dossier à la Une du n° 1239 du 10 janvier 2013 d’Actualité Juive.

 

Définition : vie et destin des intellectuels juifs

 

« Intellectuels juifs » : deux termes accolés qui fascinent, mais qui agacent aussi. Qui sont-ils réellement ? Quel est leur rôle et surtout leur influence dans les débats d'idées d'aujourd'hui ? Loin des fantasmes, voici une tentative de définition de quelques lignes qui relève de l'exploit tant la notion dépend d'une histoire et de concepts fondamentaux prenant naissance au XXe siècle. 

« Intellectuels juifs » : deux termes accolés qui fascinent, mais qui agacent aussi. Qui sont-ils réellement ? Quel est leur rôle et surtout leur influence dans les débats d'idées d'aujourd'hui ?

 

Depuis la création du terme au moment de l'Affaire Dreyfus, il a été d'usage courant de désigner du nom d'intellectuels les personnalités reconnues pour leurs travaux et leurs oeuvres intervenant et s'engageant dans le débat public. Ce mot désignait donc communément les écrivains, les universitaires, les scientifiques et même les artistes qui utilisaient leur notoriété pour intervenir dans le débat politique.

 

La démarche de l'intellectuel au cours du XXe siècle a été traversée par une série de combats historiques comme la question des guerres mondiales, le colonialisme, le problème du fascisme et du nazisme, celui du communisme, puis la division du monde en deux blocs. Elle a ainsi consisté en l’utilisation de la réputation obtenue dans le domaine de la connaissance ou de la création artistique, pour en faire usage ailleurs, dans le registre politique notamment.

 

Avec la fin des enjeux idéologiques, la notion s'est amoindrie face à des débats secondaires qui n'avaient plus rien en commun avec les grands projets de société qui se heurtaient auparavant. Les problèmes ontologiques qui opposaient des visions du monde différentes avaient disparu. Parallèlement, le citoyen parvenait à penser sans intermédiaire n'ayant plus besoin de mentor qui réfléchisse pour lui. On a par ailleurs dénoncé des préoccupations secondaires, loin de la vie quotidienne et du pragmatisme. Ainsi, la figure de l’intellectuel qui était auparavant admirée s'en est trouvée affectée et délainée, Il n'est d'ailleurs pas rare aujourd’hui d'y voir une connotation péjorative, « l’intello » étant celui possédant des préoccupations éthérées loin du sens commun pratique.

 

Quant à l'intellectuel juif, la notion est née dans l’après-guerre, car auparavant les débats dans lesquels se lançaient les intellectuels de confession juive n'avaient rien à voir avec les préoccupations de leurs coreligionnaires. Ils étaient des intellectuels tels que définis précédemment. L'expression a pris toute sa mesure, voire ses lettres de noblesse avec le renouveau de la pensée juive après la Shoah et le développement de l'École de pensée juive de Paris. Dès lors, dans l’École Gilbert Bloch d'Orsay ou lors du Colloque des intellectuels juifs de langue française surtout, les intellectuels juifs sont devenus ceux qui, partant des sources de la tradition juive, apportaient des réponses aux questionnements du moment pouvant intéresser tout public quel que fût son degré de pratique religieuse. Le postulat développait alors que le judaïsme comme particularité pouvait relever de la pensée universaliste l'englobant, redonnant ainsi une direction et un sens, i.e. des lettres de noblesse, à une religion que l'on avait tenté d'exterminer avec la Shoah.

 

Dans ce courant de pensée et parmi les intellectuels juifs les plus connus, on peut ainsi citer les noms d'Emmanuel Levinas. Edmond Fleg, André Neher, Vladimir Jankélévitch. Léon Askénazi dit Manitou qui nous ont quittés, mais aussi Alain Finkielkraut, Alexandre Adler, Raphaêl Draï ou Gilles Bernheim, le Grand Rabbin de France... Ceux-ci n'ont jamais éludé les débats secouant la judaïcité française et les ont déplacés vers la sphère nationale pour l'inspirer.

 

Et même si des conférences ont lieu régulièrement à Paris et en province sur des sujets d'inquiétude qui secouent la communauté juive de France comme l’antisémitisme, la montée de l'islamisme ou la désinformation visant l'État d'Israël, qui attirent un public nombreux. Malheureusement, cette figure de l'intellectuel juif se fait rare, car le modèle de celui qui sut dans ses écrits ou son discours réconcilier les textes juifs et la philosophie dite universelle tend à disparaître.

 

Un profil est aujourd'hui à réinventer à la lumière des questionnements contemporains. Des initiatives vont d'ailleurs dans ce sens, initiées par la Fondation du Judaïsme français. À suivre...