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Publié le 22 Novembre 2016

#France - "Terrorisme, et si on écoutait les victimes ?"

Trois questions posées à Stéphane Lacombe, directeur adjoint de l’AFVT.

"Notre contribution est modeste mais nous restons convaincus qu’il faut continuer à semer des graines de citoyenneté positive"

Propos recueillis par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
 
Question : En partenariat avec le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) de l’Essonne et la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, l’Association française des Victimes du Terrorisme est intervenue auprès de détenus dans le cadre de son programme « Terrorisme, et si on écoutait les victimes ? ». Quel est le but de cette initiative ?
 
À travers notre programme, il nous importe de diffuser la voix des victimes auprès de différents publics afin de travailler sur les représentations individuelles et collectives sur des enjeux de première importance pour la société. Selon notre approche, les victimes sont présentées comme des « grands témoins » qui s’expriment sans préjugé et sans tabou. Nous nous situons dans une démarche de transmission d’expérience, et non pas de savoir. Les histoires individuelles de nos intervenants sont tellement « hors du commun » qu’elles provoquent une identification quasi-immédiate, prenant à rebours l’image traditionnelle des victimes – généralement anxiogène – véhiculée par les médias et certains acteurs de la société civile.
 
Notre positionnement est clair : nous parlons un langage de vérité destiné à faire participer ceux qui nous écoutent, c’est-à-dire à élaborer des propositions, jugements, contributions, voire des doutes. Nous refusons tout pathos et toute narration moralisatrice qui infantiliseraient l’auditoire.
 
À travers nos récits, nous voulons réintroduire le principe de réalité et discréditer la posture victimaire. Nous sommes d’autant plus légitimes à le faire que nos grands témoins sont des victimes objectives ayant subi la violence, le trauma, l’injustice, la stigmatisation, le conflit avec les autorités, l’instabilité personnelle et familiale, voire l’épreuve de la maladie…
 
Je précise, enfin, que nos intervenants témoignent de leur histoire personnelle sans demander une quelconque forme de réparation ou de rétribution. Ils s’expriment librement en respectant ceux qui sont présents.
 
Question : Comment s'est déroulée la journée ? Comment ont fonctionné les formateurs ?
 
Cette journée a débuté par une première intervention à la maison d’arrêt des hommes entre 9h45 et 11h45 auprès de 25 détenus. Après une courte pause-déjeuner, nous nous sommes rendus dans un autre bâtiment, la Maison d’arrêt des femmes, et nous avons pu échanger avec une quinzaine de détenues entre 14h00 et 16h00. Ensuite, nous avons fait un premier débriefing avec les SPIP et nous avons convenu d’une réunion de travail début décembre pour rebondir sur cette dynamique positive, tant les échanges ont été riches. J’étais le modérateur des échanges et le responsable de notre pôle psy était également présent pour évaluer notre intervention.
 
Question : Vous y croyez, vous, à ce type de programme dans les prisons ?
 
Je crois surtout à la nécessité d’un changement de paradigme. L’image du milieu fermé auprès du public est tout simplement désastreuse, et de nombreux détenus en souffrent. Il ne s’agit pas de nier les difficultés structurelles - qui existent depuis longtemps, comme la surpopulation carcérale - mais de prendre en compte l’ensemble des problématiques de l’administration pénitentiaire, notamment la vague d’attentats islamistes qui touche la France depuis plusieurs années. Je suis franchement admiratif de voir l’implication des personnels au quotidien dans des conditions aussi difficiles.
 
Il faudrait donc réintroduire de l’humanité, de la rationalité, du partage et du sens afin de responsabiliser les individus et leur montrer – via des exemples concrets et vivants – que l’élaboration vertueuse (au sens de « vertuus » qui signifie « courageux, vaillant ») est accessible à tous. Or le cercle vicieux de la victimisation est destructeur pour le sujet et empêche de se projeter dans l’avenir. À un niveau macro, l’ensemble des représentations victimaires ont pour effet de fragiliser la cohésion sociale et de semer des brèches dans lesquelles s’engouffrent les extrémistes qui activent ces failles.
 
Notre contribution est modeste mais nous restons convaincus qu’il faut continuer à semer des graines de citoyenneté positive.