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Publié le 15 Mars 2013

Grèce: devoir de Mémoire

 

À Lom, en Bulgarie, aura lieu ce week-end la première commémoration de la déportation des Juifs des territoires grecs, serbes et macédoniens occupés par la Bulgarie aux côtés de l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Histoire :

 

À télécharger en fichier PDF ci-dessous :

« Les juifs en Grèce au XXe siècle Par Rina Molho » (Persée)

« Mars-avril 1943 : la déportation en Grèce » (Akadem)

« La Jérusalem des Balkan » (Akadem)

« Ambiguité et Résistance » (Akadem)

« Jacques Strouma- le choix de la vie » (Akadem)

 

À voir aussi, la conférence de Jean Carosso sur la déportation des Juifs de Salonique sur Akadem.

 

Le 6 avril 1941, les troupes allemandes envahissent simultanément la Yougoslavie (« Opération châtiment ») et la Grèce, que l'Italie n'a pas su abattre. Le 21, l’armée grecque capitule à Larissa, et le 25, la Wehrmacht entre dans Athènes.

 

La campagne grecque n’est absolument pas prévue à l’origine ni par l'État-major allemand ni par Hitler ; mais devant les échecs répétés de l’armée italienne et les appels au secours de Mussolini, le Führer se décide à intervenir. Il inscrit alors la campagne dans le contexte idéologique nazi de guerre totale à l'est, dans le cadre de la préparation de Barbarossa : comme ce sera le cas en URSS à partir de juin 1941, il n'est prévu aucune logistique concernant l'alimentation de la Wehrmacht, les ordres étant de "vivre" sur le pays, en réquisitionnant tout bien de consommation, sans considération aucune pour des populations qui pourtant ne sont pas, dans l'idéologie nazie, placées à un niveau racial aussi bas que les Slaves. S’ensuivra en 1941 et 1942 une terrible famine, phénomène unique dans l'histoire des pays occupés par l'Allemagne nazie : en moins de 12 mois, 300 000 personnes vont mourir de faim ou de dénutrition. Il faut noter que durant cette période, la Grèce n'est pas gérée par les SS, mais bien par une administration militaire allemande relativement philhellène, considérant la Grèce comme le berceau de la civilisation occidentale, et les Grecs comme des combattants militaires plus valeureux que les troupes italiennes…

 

Les militaires mettent en place une politique de répression systématique qui sera reprise en 1943 par la SS, véritable maître du pays à partir de ce moment-là. Les SS ne feront alors que pousser à l'extrême une guerre idéologique contre le « judéo-bolchevisme » mise en place par les militaires. Conséquence dramatique de ce tournant, la déportation des communautés juives de Grèce, en particulier celles de Salonique et de Rhodes, parmi les plus anciennes de la Méditerranée, déportation orchestrée au pas de charge par le sinistre Aloïs Brünner, terriblement efficace au milieu d'une population grecque pourtant philo sémite. La guerre contre les partisans grecs sera menée par les nazis avec la même sauvagerie qu'en Serbie contre les partisans yougoslaves et sera dirigée un temps par le tristement célèbre Jürgen Stroop, le boucher du Ghetto de Varsovie.

 

Administrativement, la Grèce est coupée en trois zones :

 

Le nord-est (Thrace) est incorporé à la Bulgarie (5 – 6.000 Juifs)

La Macédoine et la Thrace orientale (Salonique - mer Égée) sont contrôlées par les Allemands. Elle compte 55.000 Juifs, dont 53.000 uniquement pour Salonique.

Le reste de la Grèce continentale est contrôlé par les Italiens, avec 13.000 Juifs.

 

Les Allemands commencent à s’en prendre à la communauté juive de Salonique. Mais rien ne se passe entre octobre 1941 et juillet 1942, sans doute parce que Himmler ne dispose pas d’assez de troupes.

 

Le 13 juillet 1942, 6.000 à 7.000 juifs de 18 à 48 ans de la « Judenmetropole » sont rassemblés sous les ordres du Generalleutnant Von Frenski, le commandant allemand de Salonique - mer Égée. Ils sont groupés dans les bâtiments de la « place de la Liberté » pour y être inscrits aux travaux forcés. Bon nombre d'entre eux sont expédiés dans les marais proches infestés de malaria, dans les chemins de fer (Organisation Todt) ou dans les mines de chrome. Pour ces derniers, quelques mois plus tard, la communauté juive verse une énorme somme d'argent pour racheter ces « juifs du travail »... ce qui révolte l'Oberberghauptmann Gabel qui voit partir une précieuse main d'oeuvre. (Octobre 1942).

 

Naturellement, bon nombre de Juifs fuient en zone italienne. Les Allemands tentent de négocier avec les Italiens l'imposition de l'Étoile jaune. En vain. Les Italiens refusent toute collaboration de cet ordre. Les Allemands savent donc que la déportation restera limitée à leur zone.

 

Début février 1943 arrivent à Salonique le Hauptsturmführer Wisliceny et le Hauptsturmführer Aloïs Brunner pour se charger de l'opération de déportation. Celle-ci commence rapidement : seuls seraient momentanément épargnés les 3.000 juifs travaillant à la construction des voies ferrées pour Todt.

 

Le Kriegsverwaltungsrat Merten et Wisliceny font tout pour que les Juifs du district soient rassemblés la plus vite possible dans le ghetto de Salonique. Pour cela ils utilisent les dirigeants de la communauté juive, dont le chef, le Grand Rabbin Koretz croit dur comme fer aux vertus de « l'obéissance aveugle »...

 

Le 6 février Merten ordonne :

 

Les Juifs seront marqués (sauf les Juifs « étrangers »), ainsi que leurs magasins.

Tous les Juifs seront regroupés dans un ghetto à Salonique.

À partir de ce moment, tout va très vite : définition du juif (celui qui est israélite au 1er avril 1941 ou est né hors mariage depuis cette date...), port de l'étoile, établissement d'une liste en fonction des cartes d'identité...

 

Tandis que les Juifs sont obligés de fabriquer 100.000 étoiles, le ghetto de Salonique est organisé : il est divisé en sections indépendantes coupées les unes des autres. Les Juifs les plus démunis sont parqués dans le quartier du « Baron de Hirsch », tout près de la gare. Ce quartier sera de fait un entonnoir où, section par section, passeront tous les Juifs de Salonique.

 

Le 13 février Merten ordonne à Koretz de rassembler tous les habitants de Baron de Hirsch : ils doivent se tenir prêts à partir pour Cracovie « où la communauté juive les accueillera avec plaisir. Tous les hommes trouveront du travail à Cracovie... » Les juifs du quartier Baron font leurs bagages et se dirigent en bon ordre vers les trains. Quelques heures plus tard, les habitants du quartier d'Aghia Paraskevi sont transférés dans le quartier Baron de Hirsch... Puis les Allemands arrêtent les Juifs des classes moyennes... et laissent même entendre qu'un convoi partirait pour Theresienstadt... L'organisation de la communauté est chargée de collecter tous les biens meubles laissés par les « Juifs réinstallés »...

 

Les seuls problèmes rencontrés par les Allemands viennent des Italiens et des Espagnols : Les Italiens réussissent à sauver 281 Juifs italiens habitant Salonique et renaturalisent 48 Juifs qui avaient perdu leur nationalité. Les Espagnols réclament quant à eux leurs 600 juifs nationaux habitant Salonique, tout en ne voulant pas les ramener en Espagne, ce que souhaitent les Allemands. Finalement on négocie le transfert des Juifs espagnols de Salonique dans un « camp de résidence » : ce sera Bergen-Belsen. Il en reviendra 365.

 

De mars à août 1943, plus de 25 convois quittent Salonique à destination d'Auschwitz par Belgrade et Vienne. Le premier convoi arrive à Auschwitz dans la nuit du 20 au 21 mars 1943. Un convoi de Salonique ira directement à Treblinka fin mars 1943. En tout, 46.000 Juifs sont déportés : 43.850 de Salonique même, 1.132 des villes environnantes et 1.002 de la zone est - Égée. Koretz lui-même est envoyé à Bergen-Belsen avec d'autres Juifs privilégiés. Il quittera Bergen-Belsen dans un dernier convoi, le 10 avril 1945 vers Theresienstadt. Ce convoi est intercepté par les Soviétiques à l'est de l'Elbe. C'est là que meurt Koretz.

 

Le voyage d'un convoi dure dix jours en moyenne... L'état d'affaiblissement des victimes est tel à l'arrivée que ce « pauvre matériel humain », aux dires de Höss, est la plupart du temps immédiatement destiné aux chambres à gaz, sans sélection préalable.

 

Jusqu’à l’été 1943, malgré plusieurs tentatives, le ministère des Affaires étrangères allemand ne réussit pas à convaincre le Gouvernement italien de déporter ses 13.000 juifs à l'Est.

 

Mais le 8 septembre 1943, l'Italie cesse d'appartenir à l'Axe. L’ensemble de la Grèce passe sous administration allemande. 16.000 juifs sont menacés. Le 3 octobre 1943, le chef suprême des SS et de la Police, le SS Gruppenführer Walter Schimana, ordonne le recensement de tous les Juifs pour leur rafle ultérieure. Les 3.500 juifs athéniens se faisant prier (il ne s'en inscrit que 1.200), tous leurs biens sont confisqués et transférés à l'État grec. Finalement, en mars 1944, le RSHA est prêt à déclencher l'arrestation massive et soudaine de tous les Juifs, hormis ceux des mariages mixtes.

 

L’Aktion se déroule du 23 au 25 mars. Ces raids de mars se soldent par la déportation de 5.400 juifs, dont 1.725 pour le seul district d’Ioannina, conduits à Trikala. À son tour l'Albanie est touchée : en avril la division SS Skanderberg (SS albanais) arrête 300 juifs à Pristina, puis 510 autres entre fin mai et début juillet.

 

Les Juifs des îles sont environ 4.800 : 2.000 vivent à Corfou, 300 à Zante, entre 300 et 320 en Crète, et 2.200 sont disséminés dans les îles Orientales de la mer Égée (Rhodes, Kos…). Ces îles sont sous le contrôle du groupe d'armées E du Generaloberst Löhr qui va procéder avec méthode.

 

 Corfou et Zante

 

À Corfou, les Juifs de l'île sont recensés et fichés le 25 avril 1942. Le 12 mai l'Ordnungspolizei d'Athènes demande au groupe d'armées E des bateaux pour évacuer les Juifs de Corfou à Patras et ceux de Crète au Pirée. Mais le 13, le commandant de Corfou, l'Oberst Jäger, s'interroge sur cette opportunité, pensant que l'Aktion ne pourrait être réalisée avec la rapidité nécessaire, et signale la présence d'un bateau de la Croix rouge Internationale dans le port de Corfou, ce qui serait d'un mauvais effet... Malgré ses objections, après la visite dans l'île du SS Obersturmführer Burger de Theresienstadt, des bateaux sont expédiés à Corfou le 24 mai. Mais la Police de sécurité restant invisible, les bateaux lèvent l'ancre le 28 mai. Finalement, après une nouvelle intervention de Burger, l'Aktion démarre le 11 juin, et le 17 juin un rapport de la police de sécurité signale que 1.795 Juifs ont été évacués par le « Kapitän zur See Magnus ».

 

À Zante, les 270 juifs réussissent à s'échapper et gagnent l'Italie du Sud par bateau. En Crète, les Allemands réussissent à déporter 260 Juifs de l'île.

 

En ce qui concerne Rhodes, le sort des Juifs s'améliore paradoxalement en avril 1942 suite au départ du gouverneur Vecchi. Le nouveau Gouverneur, l'Amiral Campione, revoit non seulement la politique antisémite de son prédécesseur et n'hésite pas à manifester sa sympathie à l'égard des Juifs. La plupart des mesures antisémites sont rapportées. À l'écart des grandes routes de la Shoah, dont par ailleurs ils ignorent l'existence, les Juifs de Rhodes se croient à l'abri : les quatorze victimes juives d'un bombardement allié n'y changent rien. La chute du Duce, le 25 juillet 1943, va remettre les pendules à l'heure et sceller leur destin.

 

Rhodes et les îles orientales de la mer Égée constituent une base avancée aux ordres du Generalleutnant Ulrich Kleemann. En septembre 1943, les Anglais débarquent à Kos, Samos et Léros. Mais Kleemann les en chasse, puis s'occupe des Juifs.

 

Le 13 juin, l'île est désignée comme point de rassemblement pour l'ensemble des juifs du Dodécanèses. Le 19 juillet, l'ordre est donné aux hommes juifs de plus de 16 ans de se présenter, dès le lendemain matin, à la Gestapo aux fins de recensement. Non seulement les nazis ne leur rendent pas leurs papiers, mais ils sont informés qu'ils vont tous être déportés, avec femmes et enfants, dans une île voisine. Sous peine d'exécution immédiate, ils s'entendent priés de revenir dès le lendemain, accompagnés de leur famille et munis de leurs.objets de valeur, car ils sont supposés vivre désormais de leurs économies. Inconscients du danger, presque tous les Juifs de Rhodes, 1.700 hommes, femmes et enfants, se rendent dans un camp provisoire dans l'attente du départ. Le 23 juillet, tandis que les responsables locaux italiens et allemands, se disputent le butin qu'ils laissent derrière eux, les Juifs sont embarqués dans de petits bateaux.

 

Arrivés au Priée le 31 juillet 1944, ils sont d'abord acheminés vers le camp de concentration de Haydar près d'Athènes. De là, le 3 août 1944, ils sont entassés dans des wagons à bestiaux pour Auschwitz. C'est le 16 août, dans un état d'épuisement terrible, qu'ils arrivent au centre d'extermination, distant de près de 1.600 kilomètres de leur île natale. 32 sont morts durant le voyage. 1.145 sont immédiatement exterminés, 437 succombent dans les camps de travail. En mai 1945, à la libération de l'île par les troupes britanniques, il ne reste plus qu'une poignée de Juifs. Sur les 1.700 déportés de Rhodes, il n'y aura que 151 survivants. Plusieurs centaines ont par ailleurs été noyées dans la mer Égée.

 

Au total, plus de 60.000 juifs grecs ont été déportés. Il en reviendra moins de 12.000.

 

Source : BS Encyclopédie

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