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Publié le 31 Janvier 2019

Histoire - 1er février 1931, à Paris. Soudain, les cris "À mort les Juifs !" retentissent…

Dès le 1er février 1931 à Paris, l’Action Française profite de la présentation d’une pièce de théâtre, pour réveiller de vieilles haines autour de l’affaire Dreyfus. Retour sur des émeutes antisémites.

Par Marc Knobel, Historien et Directeur des Études au Crif 

La location est ouverte depuis le 1er février 1931, au théâtre de l’Ambigu, à Paris, de la version française en quatre actes et onze tableaux de Jacques Richepin, d’une pièce écrite par les auteurs allemands Hary J. Rehfisch et Wilhelm Herzog : L’Affaire Dreyfus. Cette pièce revient sur l’affaire. 

Le 4 février, lors d’une réunion organisée par le groupe des étudiants d’Action Française (1) sous la présidence de Charles Maurras (2) et du colonel Larpent (3) la décision est prise de perturber le bon déroulement de cette œuvre théâtrale.

Dès le 18 février, l’accès du théâtre est interdit à des militants connus de l’Action Française et des Camelots du Roi (4) et pas moins de soixante-quinze perturbateurs sont conduits au poste. 

Lors des représentations des 28 février et du 7 mars, les manifestations reprennent. Les 27 et 28 mars, à l’extérieur, c’est l’émeute.  600 camelots au boulevard Saint-Martin, 200 à la terrasse de la brasserie Wentzel et près de 2 000, place de la République, hurlent « À mort les Juifs !»

Le 29 mars, sur les boulevards, plusieurs centaines de policiers sont mis au service de la direction du théâtre : 1 000 gardiens de la paix, 200 fantassins, 75 cavaliers de la garde. 

Le 31 mars, comme le désordre règne, le directeur du théâtre décide de la retirer définitivement de l’affiche. Alors que l’Action Française célèbre aussitôt cette décision comme une grande victoire, Monde du 4 avril 1931, (dont Henri Barbusse fut le directeur), note : « Le retrait de L’Affaire Dreyfus [...] ne sert qu’à marquer la pression toujours plus accentuée d’une idéologie réactionnaire de force (...) contre quelque chose qui meurt béatement, avec couronnes et fleurs de rhétorique : la liberté. »

A partir de l’année 1932, l’Affaire semble être enfin « entrée dans le calme de l’histoire (5) ». Un calme relatif, puisque l’on reparlera de l’Affaire pendant l’Occupation (6).

Le 12 juillet 1935, à 17 heures, en son domicile, 7, rue Desrenaudes, à Paris, survient le décès du lieutenant-colonel Alfred Dreyfus. Agé de 76 ans, il succombe à une crise d’urémie, qui le tenait alité depuis onze ans. Sa femme Lucie Dreyfus et sa fille Madeleine Lévy, son fils, Pierre Dreyfus l’entourent quand il rend le dernier soupir. Et, en dehors de la publication prochaine de ses Souvenirs sur l’Affaire de Léon Blum (Editions Gallimard, 1935), le décès d’Alfred Dreyfus ne suscite et ne suscitera à ce moment-là que de vagues commentaires et entrefilets disparates qui correspondent à l’annonce d’un fait divers (7).

Notes :

1) Ce mouvement politique naît en 1898, dans le contexte de l'affaire Dreyfus, qui déchire les Français. Fondée par Henri Vaugeois et Maurice Pujo, le mouvement prend une position clairement antidreyfusarde. Il devient ensuite le titre d'un quotidien qui paraît en France de 1908 à 1944. 

2) Le maître à penser de l'Action française devient l'écrivain et journaliste Charles Maurras, qui convertit le mouvement à la défense de la monarchie. Maurras prône un antisémitisme d’État. Pendant l’Occupation, Maurras soutient le régime de Vichy et les mesures anti-juives de Pétain. Il est frappé d'indignité nationale et d'une peine de prison. Il déclare alors: «C'est la revanche de Dreyfus!». 

3) Le colonel Georges Larpent militait à l’Action française, il avait publié avec le colonel Frédéric Delebecque des ouvrages sous le pseudonyme collectif d'Henri Dutrait-Crozon.

4) La Fédération nationale des Camelots du roi est un réseau de vendeurs du journal L'Action française et de militants royalistes qui constituent le service d'ordre et de protection du mouvement de l'Action française.

5) Préface par Lucien Lévy-Bruhl de l’ouvrage de Schwarzkoppen, La vérité sur Dreyfus. Les carnets de Schwartzkoppen, Paris, 1930, p. 13.

6) Voir à ce sujet Marc Knobel, « Il y a toujours des antidreyfusards », L’Histoire, n° 173, janvier 1994, pp. 116-118 ; « C.M.V. du Paty de Clam, Commissaire général aux questions juives », Le Monde Juif, n° 117, janvier-mars 1985, pp. 18-24 ; « Un événement bien parisien en 1941 : une cérémonie à la mémoire d’Edouard Drumont., Yod, n° 19, année 1984, pp. 58-65.

7) Dans l’Action Française cependant, Charles Maurras rappelle que l’Affaire eut des conséquences non seulement « antimodernes, anti propriétaires, anti héréditaires, anticatholiques » mais « furent aussi et surtout antipatriotiques et antimilitaristes. »