Actualités
|
Publié le 7 Novembre 2014

Hommage à Abdelwahab Meddeb, "l'honnête homme" de notre époque

Par Jean Corcos, Président de la Comission du CRIF pour les Relations avec les Musulmans, publié sur le site de Judaiques FM le 6 novembre 2014

Le choc. Et la tristesse, d'apprendre jeudi 6 novembre 2014, la disparition de ce grand penseur franco-tunisien. Je n'étais absolument pas au courant du cancer contre lequel il luttait depuis quelques mois, et qui l'a emporté de façon si injuste alors qu'il n'avait que 68 ans.

Son livre "La maladie de l'islam", publié en 2002, a fait partie de mes ouvrages de référence, alors que modestement et après tellement d'autres, je cherchais des explications à cette vague, encore déferlante aujourd'hui, de l'islam politique - et souvent terroriste. Nous étions au lendemain du 11 septembre, et Abdelwahab Meddeb n'écrivit dans ce chef d'œuvre ni un livre d'enquête, ni un ouvrage d'historien, ni une réflexion de sociologue, mais tout cela en même temps. Mêlant en fait toutes les compétences qui étaient les siennes, ce penseur de notre époque nostalgique de "l'islam des lumières" qui domina un temps le monde par ses réalisations, délivrait un diagnostic sur cette "maladie", faux retour du religieux, vrai symptôme de déculturation des sociétés arabes. Ce n'est qu'en mars 2004 que j'ai pu enfin consacrer deux émissions à son livre, émissions que l'on peut ré-entendre en allant sur ce lien et sur celui-là.

Élément essentiel dans la réflexion de Meddeb, la perception de la "culture du ressentiment" dans des larges secteurs du monde arabe, ressentiment justifiant pour certains et a posteriori, toutes les vengeances, toutes les barbaries. Culture de l'excuse, aussi : n'oublions jamais son courage, alors que si peu de Musulmans de notre pays, individus ou institutions, avaient le courage de voir en face le spectre hideux du djihadisme au lendemain des tueries perpétrées par Mohamed Merah en mars 2012. Il publia peu après un texte très fort dans le quotidien "Libération", "Les traumatisés de la victimisation", texte que j'ai repris sur ce blog ; ci-après un extrait qui dit presque tout : "Derrière l’acte fou, en amont, a été intériorisé par le criminel le statut de victime. Victime de l’Occident perçu persécuteur de l’islam à travers les Croisades, le colonialisme, la spoliation de la Palestine."

Ce sens de l'altérité, son respect des autres cultures, s'explique peut-être en partie par la noble ascendance de cet intellectuel si fin et au savoir encyclopédique : issus d'une grande famille tunisoise, il s'était plu à évoquer dès le début de notre entretien leur activité dans les souks de la Capitale, et les échanges si intenses dans le passé avec des commerçants et artisans juifs. Son grand-père et son père furent professeurs à l'Université islamique de la Zitouna, il commença à apprendre le Coran dès l'âge de quatre ans avec son père, avant d'entrer à l'école franco-arabe de Tunis : autant dire que, contrairement à d'autres, la culture musulmane ne lui était ni étrangère, ni un fardeau. Cependant - comme beaucoup d'intellectuels issus de ce pays jadis cosmopolite, mais avec un talent et une intelligence particulières - Abdelwahab Meddeb savait faire la synthèse dans ses écrits, des deux versants de sa culture. Il avait aussi toujours l'honnêteté de se présenter comme un penseur "de culture musulmane" et non pas comme un "Musulman". C'est "l'islam civilisation" qui fut en fait sa passion, et qui inspira l'excellente émission "Culture d'Islam" sur France Culture, depuis si longtemps et jusqu'à il y a quelques semaines.

Comme un authentique "honnête homme" - terme désuet à notre époque à la fois de superficialité et de spécialisation à outrance - Meddeb aura enquêté, créé et laissé son témoignage dans tous les domaines : tour à tour créateur de revue et responsable de collection, poète et essayiste, producteur d'une émission de radio et penseur dont la voix se faisait entendre lorsque l'actualité l'exigeait - il a ainsi soutenu par de multiples tribunes la révolution démocratique en Tunisie, dénonçant le risque de récupération par les islamistes -, il nous laisse une trentaine d'ouvrages et un nombre impressionnant d'articles qu'il nous reste sans doute à découvrir… Lire la suite.

http://rencontrejfm.blogspot.fr/2014/11/hommage-abdelwahab-meddeb-lhonnete.html