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Publié le 27 Août 2020

Hommage - Disparition de Paul Schaffer, rescapé d'Auschwitz-Birkenau

C'est avec tristesse que nous avons appris le décès de Paul Schaffer, le 6 août 2020, à l’âge de 95 ans. Paul Schaffer a œuvré toute sa vie pour la transmission de la mémoire. Paul était Président d'honneur du Comité Français pour Yad Vashem, membre du bureau de l'Union des déportés d'Auschwitz et membre de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Nous adressons nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches.

Paul Schaffer était un Mensch. Un homme délicieux et un Mensch. Un témoin majeur de l’histoire de la Shoah et un Mensch.

Avoir la chance et le bonheur de le connaitre, c’était avoir un aperçu de ce que le judaïsme viennois a produit de meilleur. Paul Schaffer aurait pu être un personnage de Stefan Zweig, mais pleinement positif - sans la part d’ombre qu’ont souvent les personnages de Zweig -, avec une hauteur morale incontestable et incontestée. En fait, Paul aurait pu figurer dans Le monde d’hier, le chef-d’œuvre de Zweig, si ce n’est qu’il était aussi, pleinement, un homme d’aujourd’hui. 

Paul avait connu le pire dans l’existence : la Shoah, avec l’entrée des nazis dans sa Vienne natale ; l’exil forcé en Belgique puis en France qui deviendra ensuite sa seconde patrie ; l’arrestation avec sa famille à Revel en Haute-Garonne et leur déportation par le convoi n° 28 ; la survie à Auschwitz-Birkenau, alors que sa mère et sa sœur y étaient assassinées.

Malgré toutes ces terribles épreuves, il n’a jamais perdu sa dignité, son humanité, sa courtoisie, ni même son sens de l’humour typiquement juif autrichien. Quelle belle victoire face à la barbarie des nazis, à qui ces valeurs sont totalement étrangères, que l’existence de Paul Schaffer.

Paul, c’est aussi un porteur infatigable de la mémoire de la Shoah, qui, en dépit du poids des années, disait toujours « oui » quand il s’agissait de témoigner dans une école et rencontrer des élèves. Il était très heureux de ces rencontres, sans doute parce qu’il n’avait jamais oublié l’enfant qui était en lui. En tout état de cause, il était particulièrement fier des nombreuses lettres de remerciement que lui adressaient professeurs et élèves.

C’est son souci de témoigner qui l’a conduit à écrire, puis à peaufiner, son bouleversant récit de la déportation, Le soleil voilé, dont la Fondation pour la mémoire de la Shoah a été heureuse de produire la nouvelle édition, avec les éditions le Manuscrit, il y a quelques mois.

Son combat en faveur de la mémoire de la Shoah passait aussi par son action de militant, au sein du Comité français pour Yad Vashem, dont il fut un Président énergique, ainsi qu’au sein de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, à laquelle il était très attaché et dont il fut membre du Bureau directeur et administrateur d’honneur, ainsi que membre du Comité de lecture de la collection « Témoignages de la Shoah ». Paul, du fait de ses immenses qualités humaines que sa discrétion ne parvenait pas à masquer, était unanimement apprécié au sein de la Fondation, tant par les bénévoles, en particulier l’ensemble des membres du Bureau et du Conseil d’Administration, que par l’équipe des salariés. Il  faut aussi garder à l’esprit son rôle au sein de l’Union des Déportés d’Auschwitz, où il occupait les fonctions de vice-Président.

C’est au camp de Bobrek qu’il rencontre la jeune Simone Jacob, qui deviendra plus tard Simone Veil, et dont il va devenir l’ami le plus fidèle. Avec le recul, il n’est guère étonnant que Simone Veil, qui s’y connaissait en valeur véritable des hommes et des femmes, ait tout de suite perçu les qualités humaines hors du commun de Paul Schaffer, et lui ait accordé son amitié pour toute la vie, par-delà les parcours de chacun. 

Paul était aussi un sioniste assumé, avec un attachement indéfectible à l’Etat d’Israël. Dès après la guerre, il avait milité dans des organisations de jeunesse et avait ainsi pu participer au dernier Congrès Sioniste avant la création de l’Etat d’Israël, à Bale en 1946. En la matière, la figure, méconnue à ses yeux, du Général Michel Darmon constituait un exemple. Il avait aussi une prédilection pour la langue hébraïque. Jusqu’à ces derniers mois, il prenait un plaisir non dissimulé à poursuivre ses cours d’hébreu et il lui est arrivé d’écrire de petits poèmes dans cette langue sacrée pour lui.

Paul Schaffer avait en lui une force de vie peu commune, comme l’ont souvent les Survivants qui ont traversé l’enfer d’Auschwitz-Birkenau. Il avait aussi une vision à la fois très lucide des faiblesses de la condition humaine, mais aussi très positive de l’existence sur cette terre. Sans doute est-ce lié à son attachement viscéral au judaïsme et aux valeurs juives. Un des petits bonheurs de sa vie était d’avoir pu conserver sa paire de Tefilines (phylactères), reçue pour sa Bar-Mitsva à Vienne. C’est cet attachement, sincère et profond, qui conduisait, en toute discrétion, le Grand Rabbin Haïm Korsia à se rendre à son domicile, la veille de Yom Kippour, lorsque la maladie empêchait Paul de rejoindre sa place à la synagogue de la rue de la Victoire,  afin de lui permettre d’entendre, malgré tout, la sonnerie du Shofar.

Mais malgré tout son courage et son énergie, il y a eu une épreuve insurmontable pour Paul. C’est la disparition de l’amour de sa vie, sa Jackie bien-aimée, malheureusement décédée en juin dernier. Paul n’a pas voulu rester trop longtemps séparé d’elle.

Toutes nos sincères condoléances à sa famille, en particulier à sa chère fille Anick, à son gendre et à son petit-fils. 

Que son souvenir soit une bénédiction pour tous.

Philippe Allouche, Directeur Général de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

 

***

Paul Schaffer naît à Vienne le 27 novembre 1924 dans une famille de la bourgeoisie juive autrichienne. Il grandit heureux, entouré de sa sœur Erika, de ses parents Benjamin et Charlotte Schaffer, et de sa grand-mère. 

Sa vie change brutalement en 1938, lorsque l'Autriche est annexé par l'Allemagne nazie. Sa famille fuit les persécutions en s’exilant en Belgique. Paul Schaffer a alors 14 ans.

En mai 1940, les Allemands attaquent la France en passant par la Belgique et la Hollande. La famille Schaffer quitte alors Bruxelles et se rend à Revel, un village du Sud-ouest de la France, non loin de Toulouse. 

Fin 1940, les Schaffer sont victimes de la loi de Vichy du 4 octobre 1940 qui autorise les préfets à interner les Juifs étrangers. Ils doivent rejoindre « un camp de famille », le camp d’internement d’Agde, essentiellement composé de Juifs réfugiés d’Allemagne et d’Autriche. Une amie de la famille, habitante de Revel, use de son influence auprès de la préfecture, et permet à la famille de quitter le camp pour être assignée en résidence surveillée.  Ils sont néanmoins arrêtés chez eux le 26 août 1942 par des gendarmes français.

Paul Schaffer, sa mère et sa sœur sont transférés au camp de Drancy (son père étant jugé intransportable), avant d'être transféré le 4 septembre 1942, dans le convoi numéro 28, à Auschwitz-Birkenau. Il a 16 ans.

Parmi les 999 personnes déportées ce jour-là, 27 seulement revinrent. Paul Schaffer fut l’un d’eux, et l’unique survivant de sa famille : sa mère et sa sœur, elles, furent gazées dès leur arrivée.  Il échappe à la sélection et est interné dans deux camps de travaux forcés satellites d’Auschwitz : Tarnovitz, puis Schoppinitz, avant de rejoindre Birkenau en novembre 1943.

Au terme d’un terrible séjour de six mois, Paul est transféré sur le site de Bobrek, où la société Siemens, profitant de la main d’œuvre bon marché, dispose d’une usine construite par des déportés. Les conditions y sont beaucoup moins pénibles qu’à Birkenau. A Bobrek, Paul rencontre Simone Veil (Jacob), sa sœur et sa mère. Il noua avec Simone Veil une indéfectible amitié. Elle avait ainsi écrit combien « sa dignité, sa gentillesse vis à vis de tous, une certaine forme de civilité » lui étaient apparues « comme la plus belle victoire sur un système concentrationnaire conçu pour nous humilier et nous réduire à un état quasi-bestial »

En janvier 1945, la « marche de la mort » l’emmène vers le camp de Gleiwitz. Il est ensuite transporté vers l’ouest dans un wagon à ciel ouvert, mais réussit à sauter du train avec un ami et rejoint après quelques jours le front germano-soviétique. En attendant d’être rapatriés en France par l’armée française, Paul et son ami resteront à Cracovie jusqu’au mois d’avril 1945, heureux d’être libres à nouveau.

Une fois en France, Paul retourne à Revel, lieu de son arrestation. Il y apprend la mort de son père et découvre ce qui s’est passé durant la guerre. Il s'installe à Toulouse, obtient une bourse et reprend ses études en 1945. D’abord électronicien, il entamera ensuite une brillante carrière d’industriel, après avoir été enseignant dans une école juive de l'ORT (Organisation, Reconstruction, Travail). A la demande des élèves auprès desquels il a témoigné, Paul a consigné ses souvenirs de déportation dans un ouvrage bouleversant et authentique, publié en 2003, intitulé Le soleil voilé (éd. Société des Ecrivains, 2003). 

 

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