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Publié le 7 Janvier 2020

Hommage - Haïm Vidal Sephiha, spécialiste de la communauté judéo-espagnole s’est éteint

Haïm Vidal Sephiha, linguiste, pédagogue, conteur, lumière du judéo-espagnol nous a quittés.

Le professeur Haïm Vidal Sephiha s’est éteint le 17 décembre à l’âge de 96 ans. Ses obsèques, conformément à sa volonté, ont eu lieu dans l’intimité familiale et en présence de quelques amis le 24 décembre.

Haïm Vidal Sephiha est né le 28 janvier 1923 à Bruxelles dans une famille venue en 1910 d’Istanbul, descendant des Juifs qui furent expulsés d’Espagne et, en l’occurrence, de la Sicile dépendant du roi catholique aragonais à la fin du XVe siècle.

Dès sa jeunesse, il parlait 5 langues (le français, le flamand, le judéo-espagnol, l’anglais et le yiddish). Il entreprit des études d’agronomie puis fut renvoyé parce que Juif. Il envisageait alors de se préparer pour un départ en tant qu’agronome vers la Palestine. Arrêté le 1er mars 1943 par les Allemands, il fut envoyé au camp de Malines (Belgique) puis déporté à Auschwitz-Birkenau d’où, après 16 mois de détention, il subit « la Marche de la mort ». Il passa ensuite successivement par le camp de Dora puis celui de Bergen-Belsen où les Anglais le libérèrent le 15 avril 1945. 

De retour en Belgique, il reprit des études de chimie à l’Université de Bruxelles et travailla comme chef de laboratoire à Rouen de 1948 jusqu’en 1950. Cette année-là, après le décès de sa mère (survivante de Ravensbrück), son père étant mort à Dachau en avril 1945, il comprit qu’il devait rendre hommage aux siens en se consacrant à l’étude du judéo-espagnol. Il décida, donc, d’abandonner sa carrière de chimiste.

Il entreprit des études de linguistique, de littérature espagnole et de littérature portugaise à la Sorbonne et commença une carrière universitaire exceptionnelle. Sa thèse d’État : « Le ladino (judéo-espagnol calque) : structure et évolution d’une langue liturgique » fut éditée en 2 volumes en 1982. La même année, il occupe, à l’Université Paris VIII, une chaire de linguistique hispanique, laquelle, transformée en chaire de judéo-espagnol - la première au monde - fut transférée à Paris III (Inalco). Le professeur Haïm Vidal Sephiha participa à des jurys où plus de 500 étudiants soutinrent leurs mémoires et thèses hispaniques. Il enseigna à travers le monde (Allemagne, Italie, Autriche, Angleterre, Irlande, Espagne, Portugal, Grèce, Turquie, Suisse, Maroc, Israël, Chili, Argentine, URSS, etc).

Il écrivit 7 livres et plus de 400 articles sur la langue judéo-espagnole, parmi lesquels « L’agonie des Judéo-Espagnols » (Ed. Ententes, 1977, réédité en 1985 et 1991), « Yiddish et judéo-espagnol : un héritage européen », (Ed. Bureau européen pour les langues moins répandues, 1997), « Ma vie pour le judéo-espagnol, la langue de ma mère. Entretien avec Dominique Vidal Sephiha », Ed. Le bord de l’eau, 2015). 

Sa théorie portait essentiellement sur la distinction précise, aujourd’hui reprise par de nombreux universitaires dans le monde entier, entre le judéo-espagnol vernaculaire, langue parlée (djudezmo, djudyo, espanyol, espanyoliko en Orient ou haketía au nord du Maroc) et le judéo-espagnol calque (ladino) qui ne se parle pas, mais qui résulte de la traduction littérale de l’hébreu en espagnol.

Le ladino est la traduction mot à mot de l’hébreu, de l’araméen biblique et des textes liturgiques faite par les rabbins des écoles juives d’Espagne. Il acquiert ainsi un caractère semi sacré. En bref, le ladino est « de l’hébreu habillé d’espagnol ». 

Précurseur des professeurs universitaires modernes, il se rapproche des Juifs non-universitaires et anime toute sa vie des ateliers de discussion à l’intention de ceux désireux à la fois de se retrouver pour parler leur langue mais aussi d’en connaître les fondements théoriques et historiques au sein de l’association Vidas Largas qu’il crée en 1979.

En 1981, avec l’arrivée des radio libres, Haïm-Vidal Sephiha créa Muestra lingua, une émission hebdomadaire en judéo-espagnol sur la fréquence des radios juives.

En janvier 2002, avec le soutien de Michel Azaria et Gisèle Nadler, le professeur Haïm Vidal Sephiha crée l’association "Judéo Espagnol A Auschwitz" (JEAA) pour mener une campagne auprès des autorités polonaises en vue de l’adjonction au Mémorial d’Auschwitz Birkenau (Pologne) d’une 21ème dalle en judéo-espagnol. Cette dalle fut inaugurée le 24 mars 2003 en présence de Madame Simone Veil. À cette occasion, Haïm Vidal Sephiha a tenu à citer, en judéo-espagnol, dans son discours le poème d’amour pour cette langue écrit par le Grand Rabbin de Turquie, Haïm Bejarano au début du siècle dernier en soulignant que la langue judéo-espagnole avait également été victime de la Shoah.

À la fin de sa vie, de nombreux hommages sont rendus au Professeur Haïm Vidal Sephiha pour son dévouement et l’énergie déployée afin que la langue judéo-espagnole tenue il y a encore 50 ans en peu d’estime et considérée par beaucoup comme un simple patois ait enfin regagné toute sa noblesse et la reconnaissance académique en France et dans le monde entier.

Il quitte ainsi son épouse mariée en secondes noces Ingeborg, allemande non juive, un fils, Dominique, deux petits-enfants, Marc-Olivier et Leïla, et deux arrière-petits-enfants, Arthur et Matthieu. 

Haïm Vidal Sephiha était titulaire de la médaille de Vermeil de la ville de Paris et de la Légion d’Honneur.

 

Texte soumis par Michel Azaria

 

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