Actualités
|
Publié le 19 Juillet 2015

"Il nous revient de nommer les périls, parce que si nous ne voulons pas reconnaitre l’ennemi, l’ennemi lui nous a déjà désignés"

Discours d'Albert Roche, Président du CRIF Bordeaux Sud-ouest Aquitaine lors de la cérémonie du 19 juillet 2015 

En ce jour du 19 juillet 2015, nous venons rappeler la mémoire de toutes les victimes du racisme et de l’antisémitisme, victimes du régime nazi, un régime inhumain et sans égal dans le passé, et qui aura su soumettre et convaincre l’Etat français d’alors, de participer à l’horreur.
 
En 48 heures, les 16 et 17 juillet 1942, en région parisienne, arrêtés par la seule police française et ses supplétifs, plus de 13 000 juifs étrangers, dont   4 115 enfants, seront raflés et parqués transitoirement, notamment à Drancy et au vélodrome d’Hiver, dans l’attente de leur transfert vers Auschwitz.
 
Le Vel d’Hiv, mélange d’inhumanité et  de rigidité administrative fut  un de ces lieux où l’horreur fit étape.
C’était il y a 73 ans : sur les 40 000 juifs déportés de France en 1942, il y eut moins de 700 survivants, et pas un seul enfant. Le plus jeune d’entre eux avait à peine 18 mois.
 
Ce qui s’est passé là, est un des épisodes les plus tragiques de notre histoire : la collaboration du gouvernement de Pétain à un crime sans précédent, la Shoah, une « césure » dans l’histoire, l’anéantissement programmé de tout un peuple !
Face à un tel événement, il nous incombe, non de tourner la page, mais de mettre en lumière le « comment » » et le « pourquoi » de ce désastre inouï.
 
C’est un travail difficile, car nous sommes entrés dans le temps des mémoires courtes, de l’accélération de l’Histoire mondialisée, médiatisée, où chaque événement, chaque image, chasse l’autre et souvent l’efface.
Et puis il y a la tentation de l’oubli, « le présent qui nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l’oubli des choses révolues » comme l’a dit Vladimir Jankélévitch, d’autant que, l’histoire de la Shoah est « insupportable au premier sens du terme » comme le rappelle Georges Bensoussan. Enfin, la lassitude, le déni, ou pire la banalisation,l’emportent chez certains. 
 
Avec une méticulosité comptable impressionnante de froideur et de détachement, les juifs dûment recensés en 1940, seront systématiquement arrêtés, avilis, et anéantis dans leur propre identité.
 
Ils seront confinés dans une promiscuité obscène où il n’y avait plus d’hommes ni de femme, mais seulement des spectres sciemment affamés sans possibilité du minimum d’hygiène.  A entendre les témoignages de quelques survivants, on  mesure combien est facile la pente   de l’exclusion de l’humanité.
 
Leur transfert à Auschwitz aura  été la deuxième étape de leur calvaire. A Drancy même, on a  recensé une centaine de suicides immédiats. 
 
Plusieurs centaines d’autres moururent également dans des trains à bestiaux, entassés à 100 dans des wagons prévus pour 40 hommes de troupe, sans eau, sans nourriture, sans hygiène, quand l’abolition de toute pudeur fut le premier pas vers une déshumanisation programmée.
 
Il est de notre devoir, et nous le répétons inlassablement d’année en année, de rappeler les faits historiques, de se remémorer même  modestement, le calvaire d’hommes, de femmes, d’enfants, d’handicapés, jugés indignes de vivre.
Dans la tradition juive, nous lisons chaque année dans nos récits de Pâques, la phrase suivante : 
« De génération en génération, et d’année en année, chaque homme et chaque femme, est tenu de se considérer comme s’il était lui même sorti de l’esclavage d’Egypte. »
Cette sentence est d’une absolue modernité. 
 
Elle implique pour chacun de nos descendants, et au delà pour chaque personne humaine, juive ou pas, de se sentir concernés, non par l’esclavage d’Egypte, mais par cette entreprise de destruction de toute humanité dans l’homme. 
Chacun d’entre nous,  sans distinction politique ou ethnique, peut, et doit se sentir l’héritier de cette souffrance endurée. 
 
Jacques Chirac, alors Président de la République, rompant avec tous ses prédécesseurs, depuis le Général de Gaulle jusqu’à François Mitterrand, déclare en 1995, pour la première fois, que les rafles de juillet 1942, relevaient  de la pleine responsabilité de l’Etat Français.
 
Le discours de Jacques Chirac sera  consensuellement salué par tout ce que la France comptait alors de démocrates et d’humanistes.
En 2012, François Hollande, fraichement élu Président de la République, a repris l’esprit de ce discours   en l’amplifiant, dénonçant  la responsabilité de la France, mais en relevant également, le mal que la France s’était fait à elle même, en violant ses valeurs d’asile et de protection.
 
En juillet 2014, le Premier Ministre, Manuel Valls déclarait à son tour que l’honneur d’une nation était de reconnaître ce qui, un jour, avait fait son déshonneur.
 
Les discours de Jacques Chirac et de François Hollande marqueront à jamais la mémoire des citoyens français, et contribueront à la prise de conscience de l’importance de la transmission des pages les plus noires de notre histoire aux générations futures.
 
La mémoire, dont l’histoire doit être la boussole, c’est une triple exigence :
exigence de dignité, car la négation de la vérité abaisse ceux qui y ont recours, 
exigence d’humanité, car l’indifférence violente les victimes, 
exigence de lucidité pour que « ça » ne se reproduise pas.
 
Des hommes et des femmes, en France et aussi dans toute l’Europe, ont ponctuellement caché des juifs, protégé des juifs, sauvé des juifs, méprisant, tout autant les ordres de l’Etat français ou ceux de la Gestapo, que le danger encouru.
Or, sauver des juifs relevait de la folie, si l’on devait s’en tenir au calcul rationnel.
 
Ces hommes et ces femmes l’ont pourtant fait !
Ils n’ont répondu qu’à leur conscience, dans l’anonymat, celle qu’exaltait Jean Jacques Rousseau il y a 250 ans, « l’immortelle et céleste voix, juge infaillible du bien et du mal ». Rousseau qui écrivait au soir de sa vie que la liberté n’était pas de faire ce que l’on voulait, mais de ne pas faire ce que l’on ne voulait pas. 
Les Justes, eux, avaient compris la liberté dans ce sens là, le plus profond.
 
Cet anonymat est aujourd’hui levé par les recherches  diligentées par l’Institut Yad Vaschem à Jérusalem, qui recense  ces héros du silence, que nous appelons aujourd’hui « les Justes des Nations ». Beaucoup d’entre eux n’ont reçu qu’un hommage posthume, mais qui n’en finit pas de résonner en nous, et de retentir comme un hymne de fierté dans la mémoire de leurs enfants et de leurs descendants. 
 
Ici même à Bordeaux, l'abnégation et l'insoumission aux ordres de sa hiérarchie, permettront au consul du Portugal Aristide de Sousa Mendes de sauver 30.000 réfugiés, dont plus de 10.000 Juifs en leur délivrant un visa pour Lisbonne. A son refus d'obtempérer aux ordres de Salazar il aurait eu ce mot fameux:
 
« S'il me faut désobéir, je préfère que ce soit à un ordre des hommes qu'à un ordre de Dieu ». 
 
Maurice Papon lui, fit le choix inverse. Il  officiait à quelques dizaines de mètres du consul du Portugal comme secrétaire général de la Préfecture de la Gironde et avait choisi l'obéissance aux ordres des nazis au mépris de sa conscience. 
 
Si cette journée du souvenir des rafles de juillet 42 associe le rappel de l’horreur à l’hommage aux Justes, c’est aussi pour souligner  l’ambivalence de l’homme, capable du pire comme du meilleur.
 
De cette histoire si lourde à porter, nous tirons réflexion. Car nos temps présents s’annoncent bien sombres. 
 
Depuis le drame du lycée Ozar Hathora, le terrorisme en France a tué  30 personnes dont 12 juifs en trois ans.
 
La France est désormais menacée de l’intérieur. Il y a 20 ou 30 ans,  le terrorisme était commandité de l’extérieur comme on l’avait vu rue de Rennes en1986 et au métro St Michel en 1995.
 
Il  nous revient de nommer les périls, parce que si nous ne voulons pas reconnaitre l’ennemi, l’ennemi lui nous a  déjà désignés. 
 
Parce qu’à vouloir négocier avec la violence, nous aurons demain une violence  plus grande encore tant notre volonté de compromis sera prise pour de la faiblesse.
Apaisée en apparence, l’histoire est toujours tragique, même ici dans ces terres de lumière. 
 
Le siècle passé est là pour nous le rappeler. Et si nous avons cru un temps échapper à l’histoire, l’histoire s’est rappelée à nous en janvier 2015. Et comme dans les années trente, le signe juif est en France et ailleurs  la cible de haines conjuguées, le signal avant coureur de désastres plus grands encore.
 
Parce que pour la première fois depuis l’été de la Libération, des scènes de quasi pogroms ont eu lieu à Paris et à Sarcelles en juillet 2014. 
 
Parce que pour la première fois depuis plus de 60 ans, nombre de Français de confession juive ont décidé de quitter leur pays. Et le font.  Le chiffre des départs vers l’Etat d’Israël est passé de 1200 au début des années 2000 à plus de 7000 l’an dernier.
Sachons l’entendre.
 
« Quand le glas retentit, écrivait au XVII° siècle le poète écossais John Donne, ne demande pas pour qui sonne le glas ? C’est pour toi qu’il sonne. »