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Publié le 25 Septembre 2019

Ils sont engagés pour la jeunesse - L'Union des Déportés d'Auschwitz : la transmission sur les bancs de l'école

En septembre, comme tous les ans, c'est la rentrée ! Au cours des prochaines semaines, nous vous proposons de découvrir les associations engagées pour la jeunesse. On continue notre série de rentrée avec l'Union des déportés d’Auschwitz (UDA) fournit un travail important pour la mémoire en permettant le témoignage de rescapés de la Shoah auprès des publics scolaires. Rencontre avec Isabelle Ernot, historienne de l'UDA.

Photo : Les collégiens de Lunel écoutent les témoignages de 5 survivants de la Shoah, dans leur salle de classe, avec leur professeur d'histoire-géo. Une initiative nationale de l'union des déportés d'Auschwitz. 18/03/2019 - collège Mistral. / © F3 LR

Le Crif - L'Union des déportés d’Auschwitz (UDA) fournit un travail important pour la mémoire en permettant le témoignage de rescapés de la Shoah auprès des publics scolaires. Parlez-nous de votre association.

Isabelle Ernot - L’Union des déportés d’Auschwitz est née en 2004 et regroupe l’ancienne "Amicale d’Auschwitz", créée dès juin 1945 par des survivants du camp d’Auschwitz-Birkenau, et des associations de survivants de différents camps annexes du complexe concentrationnaire(1). Depuis près de 75 ans, plusieurs générations de survivants se sont succédées à la tête de l’Amicale d’Auschwitz-UDA.

En parallèle de sa vie associative, depuis les années 1970-1980, l’UDA mène des actions de nature pédagogique pour faire connaître la réalité du génocide particulièrement par le vecteur du témoignage. L’histoire de celui-ci se confond avec l’histoire de la mémoire de la Shoah. Les derniers survivants rappellent, alors que de nos jours une grande attention est portée à leur parole, qu’il n’en allait pas ainsi après la guerre et dans les décennies suivantes où ils furent peu entendus et finirent pour la plupart par se taire. Témoins du génocide, ils disent la réalité de l’assassinat de masse, l’extermination par les conditions concentrationnaires ; ils expliquent quel fut le chemin de leur survivance. Entre implicite et explicite, leur intervention est sous-tendue par la question des valeurs : ce que fut la négation de l’Homme portée par le nazisme, ce que l’Homme est capable de faire à son semblable. Fondamentalement, à travers l’évocation de leur histoire, il s’agit surtout de sensibiliser la jeunesse au danger que constitue les idéologies qui rejettent l’Autre, à l’antisémitisme, au racisme, à la xénophobie, aux processus qui conduisent de la première stigmatisation à la persécution et au déclenchement de violences.

Le Crif - Travaillez-vous avec l’Éducation Nationale et les institutions dans le cadre de votre action et de votre implication au sein des programmes scolaires ?

Isabelle Ernot - Une grande partie de notre activité est tournée vers l’Éducation nationale et se déroule en partenariat avec celle-ci. Durant les trois dernières décennies, cette relation s’est nouée autour d’actions concrètes.

Pour ce qui est des voyages à Auschwitz, l’Amicale d’Auschwitz en a organisés annuellement dès 1946. Ces voyages ont été proposés aux enseignants à partir de la fin des années 1970-début 1980, devenant « voyages de formation » ; des voyages ont aussi été réalisés avec des scolaires. Durant les trois dernières années, nous avons organisé ou co-organisé (avec la FMS et le Mémorial de la Shoah) des voyages plus particulièrement destinés à des cadres de l’Éducation nationale.

Dès les années 1980, et de façon croissante ensuite, l’Amicale d’Auschwitz-UDA a assuré le contact entre les témoins et les enseignants qui souhaitaient faire venir un rescapé dans leur classe. Elle poursuit toujours cette mission mais aujourd’hui privilégie les séances de témoignages en direct via Internet (streaming). Durant l’année scolaire 2018-2019, entre le témoignage en classe de celles et ceux qui se déplacent encore -aujourd’hui très peu nombreux- et les opérations de diffusion en direct via Internet, les déportés proches de l’UDA ont pu toucher plus de 40000 élèves.

Par ailleurs, ces dernières années, l’UDA a développé des supports numériques tels que les sites « Mémoires des Déportations » et « Shoaheduc ». Le site Mémoire des Déportations, qui prend en compte les deux déportations, juive et de répression, présente actuellement plus d’un millier d’extraits de témoignages géolocalisés à l’échelle de l’Europe. Le dispositif s’enrichit progressivement et a vocation à prendre en compte la plupart des lieux d’assassinat et de concentration (camp d’internement, ghettos, camp de concentration, centre d’assassinat).

Le site Internet Shoaheduc(2) est quant à lui plus particulièrement destiné aux enseignants. Il a été imaginé comme un chantier pédagogique, un lieu de réflexion, de recherches et de propositions pour construire un enseignement pluridisciplinaire sur le génocide des Juifs d’Europe et l’univers concentrationnaire.

Les ressources proposées – l’équipe est constituée d’inspecteurs de l’Éducation nationale et d’enseignants de CPGE (3) - permettent aux enseignants de travailler avec les élèves en fonction de la perspective des valeurs fondamentales, de leur négation. Les approches s’appuient sur des textes de survivants et d’écrivains, des témoignages oraux ou encore sur des représentations artistiques.

Le Crif - Les témoignages sont depuis peu diffusés en direct via un lien de streaming, dans le cadre des programmes scolaires. Comment cela se passe-t-il ? À quels types d’écoles ces témoignages s’adressent-ils ? Combien de rescapés participent à ce projet ?

Isabelle Ernot - L’organisation des témoignages en direct sur Internet a débuté en janvier 2018 avec notre regrettée camarade et amie Ida Grinspan.

Le dispositif répond à la forte demande des enseignants alors que la force des témoins s’amenuise. Les séances peuvent être suivies simultanément par de multiples établissements sur tout le territoire national et au-delà. En 2019, le 18 mars, pour la Semaine d’éducation et d’action contre le racisme et l’antisémitisme, l’opération a réuni plus de 200 établissements et près de 6000 élèves. Lors d’opérations hebdomadaires régulières, ces rendez-vous organisés avec un témoin réunissent de 400 à 1500 élèves dans une salle où habituellement nous pouvions recevoir une soixantaine d’élèves.

Le fonctionnement est très simple : après une pré-inscription sur le site de l’UDA - et un test de connexion pour le jour J - l’enseignant reçoit un lien dans son courrier électronique, il lui suffit de l’ouvrir pour que ses élèves dans la classe se retrouvent en direct avec le témoin. Les élèves peuvent poser des questions au témoin durant la 2e heure (notamment par le biais d’une fenêtre d’échanges.

Ce moyen est apprécié par les enseignants. Certains regrettent évidemment l’époque où un témoin pouvait venir dans leur classe. Aujourd’hui, nous devons penser à ménager les témoins qui restent très peu nombreux. Alors que l’on pouvait redouter une extinction de leur voix, ce dispositif permet de le maintenir et même de l’amplifier. Il permet également à des enseignants d’accéder à des témoins, ceux qui ne l’avaient jamais osé dans leur pratique pédagogique, ceux qui entrent dans la carrière ou qui œuvrent au sein d’établissements situés en zone rurale, où les témoins se rendaient peut-être moins volontiers.

Le Crif - Vous avez notamment mis en place un programme pédagogique adapté aux plus petits, tels que les élèves de CM2. Quels sont les enjeux et les difficultés lorsque l’on s’adresse à un public aussi jeune ?

Isabelle Ernot - Pour réfléchir à l’enseignement en CM2, nous avons mis sur pied un groupe de travail constitué d’enseignants du Premier degré des différentes académies franciliennes. Durant l’année passée, nous nous sommes rendus dans plusieurs classes de CM2 pour filmer des témoignages et prendre en considération les questions spécifiques de ces jeunes élèves âgés d’une dizaine d’années. Nous travaillons à l’élaboration d’un dispositif qui mettra en valeur la parole des témoins tout en privilégiant la question des valeurs, une approche qui permet d’aborder la réalité historique dramatique sans toutefois entrer dans les détails de l’extrême violence. Nous souhaitons aussi éviter la piste pédagogique très sollicitée jusqu’ici de l’identification avec un enfant persécuté, assassiné. Prochainement, auront lieu aussi les témoignages diffusés en direct sur Internet, destinés spécialement à ce niveau de classe.

 

1 -  L'Amicale des Anciens Déportés Juifs de France (AADJF), l’Amicale des Anciens Déportés de Buna-Monowitz, l’Amicale des Déportés de Blechhammer-Auschwitz III, et l’Association Nationale des Anciens Déportés Juifs et leurs Familles.

2 - Intitulé complet : « Enseigner la Shoah et les déportations : approches pluridisciplinaires - Recherches et propositions pédagogiques sur l’enseignement du génocide juif et de l’univers concentrationnaire, du totalitarisme ».

 

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