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Publié le 1 Mars 2016

Les Belphégor du Quai d’Orsay

Un Proche-Orient (trop) compliqué

Par Jacques Tarnero, essayiste et auteur de documentaires, publié dans Causeur le 26 février 2016
 
Derrière le récent appel à la reconnaissance de l’Etat palestinien lancé par d'anciens diplomates français, n'y aurait-il pas une hostilité à l'égard de l'Etat israélien?
 
Un groupe d’anciens ambassadeurs de France a publié le 3 février dans Le Monde un appel adressé à France et à l’Union européenne pour qu’elles reconnaissent l’Etat de Palestine. Cet appel a une apparence : celle de la bonne volonté pour aider à la paix dans une région qui en a bien besoin. Cet appel a une réalité : celui d’un choix partisan en faveur de la cause palestinienne et celui d’une hostilité à peine dissimulée à l’égard de l’Etat juif.
 
Ce triple quarteron d’ambassadeurs à la retraite a un savoir-faire limité : il radote sur un vieux rêve : la France aurait une mission au Proche-Orient. D’abord protectrice des chrétiens d’Orient, la voilà entichée du monde arabe. Si Godefroy de Bouillon a été remisé au placard des souvenirs poussiéreux, la diplomatie française depuis Charles de Foucauld, Louis Massignon, Vincent Monteil reconduit une passion paradoxale pour le monde arabe et la sphère de l’islam. Depuis Saint Louis, la Terre sainte ne fait plus partie des ambitions de la fille aînée de l’Eglise, bien au contraire, c’est sur l’Afrique du Nord, au XIXe siècle, que la France avait projeté son projet colonisateur. Avec le succès que l’on sait celui-ci prit fin en 1962 avec les indépendances en particulier celle de l’Algérie rendue aux nationalistes algériens, abandonnant les Harkis et les pieds-noirs aux poubelles de l’histoire. Au siècle de l’expansion coloniale et des expositions coloniales au Jardin des plantes, présentant des sauvages à civiliser, succéda celui des repentances postcoloniales.
 
Cet examen de conscience a eu certes ses vertus : un dévoilement du passif de l’histoire que tout peuple devrait pratiquer, car le désir de conquête, de mise en esclavage ne fut pas le fait du seul monde blanc ou celui des Européens. L’Afrique noire fut d’abord pillée par les conquêtes arabes. Sans la victoire de la flotte vénitienne sur la flotte ottomane, à la bataille de Lépante en 1571, la Turquie aurait pu infliger à la chrétienté un sort semblable à celui que Godefroy de Bouillon infligea aux mahométans. Ainsi va l’histoire et l’installation d’un foyer juif au cœur du Proche-Orient sur les terres de ses origines, fussent elle vieilles de 2000 ans, a obéi, non pas à un projet colonial mais au contrepoint de son errance historique. « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » obéissait sans doute à une perception erronée de la réalité de l’époque, mais entre 1900 et 1948, combien de millions de personnes n’ont-elles pas été déplacées pour redessiner les cartes du monde ?
 
De Gaulle et le « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur »
 
Qui mieux que le général de Gaulle a résumé la vision du projet sioniste dans cet hommage jaloux et paradoxal  lors de sa fameuse conférence de presse de novembre 1967 : « Les juifs, jusqu’alors dispersés, et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent une fois qu’ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur, n’en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : “L’an prochain à Jérusalem”. En dépit du flot, tantôt montant, tantôt descendant, des malveillances qui le provoquaient, qui le suscitaient plus exactement, dans certains pays à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était formé en leur faveur et surtout il faut bien le dire dans la chrétienté. Un capital qui était issu de l’immense souvenir du testament, nourri à toutes les sources d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique valeur et que poétisait chez nous la légende du juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subi pendant la deuxième guerre mondiale et grossi depuis qu’il avait retrouvé une patrie, par les travaux, leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. »
 
Pour cet homme pétri de culture chrétienne et inspiré par une certaine idée de la grandeur française, il ne pouvait en être autrement : la dimension symbolique d’Israël primait sur les frontières physiques de l’Etat des juifs : petit par la taille mais grand par son rayonnement. De Gaulle avait d’autres visées : débarrassé du fardeau algérien, il refermait la page de l’histoire coloniale. « La politique arabe de la France » crut enfin trouver enfin son heure de gloire. Elle le croyait, mais cette ambition allait se trouver contrariée car, comme le petit village gaulois, le petit village juif n’avait pas envie de se soumettre. De vedettes de Cherbourg en libération d’Abou Daoud, l’écho du conflit du Proche-Orient va perturber les élucubrations savantes du Quai d’Orsay. Si Guy Mollet avait fait d’Israël un allié de conjoncture sous la IVe République, au point de lui fournir sa capacité nucléaire, la Ve République va totalement réorienter ses choix. De Gaulle, Pompidou, Giscard et Chirac feront de l’axe franco-arabe, la matrice de la politique étrangère au Proche-Orient. N’ayant pas de pétrole mais prétendant avoir des idées, Jacques Chirac poussa même l’amitié jusqu’à gratifier Saddam Hussein d’une sympathie particulière en fournissant à l’Irak une centrale atomique prête à fabriquer une bombe. Bien plus tard, Chirac fut le seul homme d’Etat occidental à être allé saluer la dépouille de Hafez Al-Assad, le père de Bachar, autre bienfaiteur du peuple syrien. Avec une constance dans ses choix commémoratifs, le « docteur Chirac » partit saluer celle d’Arafat avec force Marseillaise et garde républicaine.
 
Mitterrand eut dans un premier temps des intentions différentes, inaugurant son mandat à l’ombre des ruines du réacteur irakien, détruit opportunément par les avions d’Israël. C’est pourtant depuis la tribune de la Knesset que François Mitterrand vint dire son amitié pour l’Etat juif tout en plaidant pour que les Palestiniens trouvent enfin le droit de se rassembler, en tant que peuple, dans une nation souveraine.
 
L’histoire continuera à faire couler son flot de sang malgré les espoirs nés à Oslo et à Camp David. Tout le monde n’est pas Ben Gourion pour se contenter d’un compromis, lui qui accepta en 1947 le plan de partage de la Palestine mandataire. Charcuté et réduit, ce plan offrait aux juifs un premier foyer que les juifs acceptèrent avec empressement tandis que les pays arabes refusèrent avec un empressement symétrique. Plusieurs Palestine auraient pu voir le jour si Arafat avait préféré construire son pays plutôt que choisir au bout du compte les voies de l’intifada et celles du djihad. Car telle est bien la question aujourd’hui : que désirent les Palestiniens, quel est leur souhait prioritaire ? Que préfèrent-ils : la création de la Palestine pour les Palestiniens ou bien la destruction d’Israël ? Que préfèrent leurs « grands leaders », préserver cette rente idéologique de situation, ou bien bâtir un pays avec ce que cela comporte de soucis dans une banalité du bien qui leur est étrangère et qu’ils doivent apprendre à gérer? N’est pas Sadate qui veut dans le monde arabe…
 
De quelle Palestine parle-t-on ? Celle du Hamas à Gaza ?
 
De bons esprits pourront toujours ergoter sur les « colonies » pour arguer du refus d’Israël. Dans un pays de 20 000 km2 et de 15 ou 40 km de large, ce ne sont pas ces espaces et ces implantations qui sont le premier obstacle à la paix mais bien l’obsession arabe puis musulmane d’expulser les juifs, de vouloir faire de cette minuscule terre une terre pour les seuls arabes et les seuls musulmans. La plaie algérienne, mal cicatrisée, hante encore les représentations du conflit israélo-arabe. La Palestine est-elle encore une cause nationale quand le djihad en est désormais l’inspiration première ? Pour avoir projeté sur le monde arabe, des catégories politiques que l’on pensait (à tort) universelles, la grille de lecture du Proche-Orient faite en Occident, s’en est trouvée totalement erronée. Jean Birnbaum rappelle opportunément dans un essai récent1 la composante islamique dans les mouvements nationalistes arabes et maghrébins en lutte contre la colonisation française. Cette part essentielle, occultée à gauche, tant la grille de lecture de l’époque obéissait essentiellement à une vision marxiste de l’histoire, modifie radicalement la lecture du conflit israélo-arabe. Ce n’est plus un Etat-nation que les Palestiniens ambitionnent quand c’est la oumma qui organise l’espace islamique et la Palestine apparaît bien comme un leurre agité devant les bonnes ou mauvaises consciences occidentales.
 
La lecture du Proche-Orient compliqué ne peut avoir de pertinence que si elle tient compte de deux autres registres : géographique et anthropologique. Il suffit de regarder une carte pour prendre conscience de l’invraisemblable prétexte de la Palestine. Voilà qu’un milliard cinq-cents millions de musulmans de Casablanca à Kuala Lumpur ne peuvent trouver le sommeil depuis plus de soixante-dix ans, parce qu’un supposé complot sioniste maléfique est censé immoler leurs rêves ? On devrait réfléchir à cette donnée. Qu’est-ce que le Quai d’Orsay comprend à la taqia, ce concept dans la pensée politique de l’islam qui consiste à avancer masqué, à pratiquer une alternance de trêves et de combats pour avancer et conquérir ? Ici même en Europe et en France, comment prétendre lutter contre le terrorisme alors que la source idéologique des inspirateurs de ce terrorisme progresse sous le voile « antiraciste » de la lutte contre l’islamophobie ? Avons-nous compris que désormais en France, nous sommes situés désormais dans le dar el harb, la maison de la guerre parce que l’ambition de certains est d’y faire flotter le drapeau du prophète ?
 
Comment la France qui s’estime menacée par la pénétration djihadiste au Mali, c’est-à-dire à 3 000 km de ses frontières, peut-elle dénier à Israël le droit de protéger les siennes alors que les djihadistes sont à 20 km de sa capitale ? Comment l’Amérique de Obama pourrait-elle contester le droit d’Israël à garantir une profondeur stratégique alors que l’Amérique était prête à la guerre pour faire face à la menace nucléaire soviétique à Cuba en 1962 ? Chaque pays défend en priorité ses intérêts, ses frontières et protège sa population.
 
En trois ans, la guerre en Syrie a fait plus de 250 000 morts et déplacé des millions de personnes sans que cela n’émeuve outre mesure les brillants esprits du Quai d’Orsay qui considèrent que l’unique source des malheurs du monde se nomme Israël et que l’urgence des urgences serait de reconnaître cet Etat de Palestine. Admettons cette hypothèse, mais ne faudrait il pas symétriquement exiger de cette Palestine qu’elle reconnaisse Israël de facto autant et surtout qu’elle reconnaisse de jure, le droit de cet Etat à exister ? Or de quelle Palestine parle-t-on ? Celle du Hamas à Gaza, qui fait du massacre des juifs une sainte obligation ? De celle de Mahmoud Abbas qui refuse que « les sionistes foulent de leurs pieds sales l’esplanade des mosquées » ? Qui peut croire une seconde que la reconnaissance de la Palestine, voire de son établissement étatique, mettra fin au conflit et aux actes de terreur ? Qui peut estimer dans le chaos actuel du monde arabe et du monde musulman, qu’affaiblir Israël soit un facteur de stabilité dans la région... Lire l'intégralité.
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