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Publié le 19 Mars 2013

Macédoine: devoir de Mémoire

 

À Lom, en Bulgarie, a eu lieu le week-end dernier la première commémoration de la déportation des Juifs des territoires grecs, serbes et macédoniens occupés par la Bulgarie aux côtés de l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Histoire :

 

Les 3 et 4 mars 1943, la police intervient en Thrace. Environ 2.400 Juifs sont arrêtés et enfermés dans des camps de transit. Puis ils sont emmenés au port fluvial de Lom sur le Danube et de là sur Vienne le 21 mars. Beaucoup sont noyés dans le fleuve ou meurent de froid. Les survivants sont envoyés à Treblinka. D’autres seront transférés en octobre dans le ghetto détruit de Varsovie.

 

Le 11 mars la police arrête les Juifs de Bitola et Stip en Macédoine et les transporte par train à Skopjé. En tout, 7.215 Juifs sont internés à Skopjé, dont 2.300 enfants de moins de 16 ans. 77 médecins et pharmaciens et leurs familles sont relâchés, de même que 100 Juifs étrangers. Les autres sont déportés à Treblinka en trois convois, les 22 (2.338 peronnes dans 40 wagons à bestiaux), 25 (2.402 personnes) et 29 (2.402 personnes) mars 1943. Ces convois arrivent à Treblinka, respectivement les 27 mars, 1er et 5 avril.

                                                         

Le 13 mars, les Juifs du district serbe et de la ville de Pirot, annexés par la Bulgarie sont arrêtés : 188 sont internés, dont 27 Juifs bulgares, puis transportés le 19 à Sofia d’où, hormis les 27 qui sont libérés, ils sont déportés avec les Juifs de Thrace. Les 20 et 21 mars 1943, une nouvelle arrestation de 4.226 Juifs est opérée en Thrace. Ils sont eux aussi envoyés dans les camps de la mort.

 

Ainsi le total des Juifs déportés de Thrace et Macédoine atteint 11.384 personnes.

 

Restent les Juifs de vieille Bulgarie, auxquels Dannecker et Belev entendent bien s’attaquer. Les représentants du KEV et les gouverneurs de districts sont prévenus le 23 février qu’ils doivent transmettre dans les 24 heures les listes de Juifs particulièrement connus pour leurs idées antigouvernementales et leurs convictions juives… Belev obtient une liste de 9.000 noms. Après examen, il en retient 8.400. Le 8 mars il envoie ces noms aux polices régionales avec ordre de procéder aux arrestations et à l’internement de ces « Juifs proéminents » de Plodiv, Kyustendil, Ruse, Verna. En même temps, les trains sont préparés.

 

Le 9 mars au soir, le gouvernement ordonne à Belev de suspendre la rafle. Cette décision de dernière minute résulte des efforts de diverses personnalités, notamment du vice-président du Parlement, averti par des amis juifs. Les 31 mars et 1er avril le roi Boris III s’entretient à Berlin avec Ribbentrop : il lui fait part qu’il n’a jusqu’à présent ordonné la déportation uniquement des Juifs des territoires annexées par la Bulgarie, mais que pour les Juifs bulgares, il refuse la déportation, car il en a encore besoin pour les grands chantiers de construction. Il n’est prêt qu’à livrer quelques Juifs communistes... Ribbentrop rétorque que seule une solution « radicale » de la question juive est possible aux yeux des nazis.

 

Les rapports du RSHA et des affaires étrangères à Berlin vont dans le même sens : si en théorie tout est prêt pour la déportation, dans les faits, tout est fait pour les reproter ou les empêcher. Les RSHA est même convaincu, dans son rapport du 7 avril 1943, que « d’influents cercles juifs ont ces derniers temps tout mis en œuvre, non sans succès, pour modérer les mesures antijuives bulgares, les noyer ou même les crucifier… » Le rapport de l’inspecteur des statistiques du 19 avril à Himmler lui fait d’ailleurs écho : au 31 décembre 1942, sur les 11.364 Juifs de l’ancienne Bulgarie que le RSHA avait prévu de déporter, aucun n’avait pris le chemin des camps…

 

Après la visite du Roi, Belev prépare deux décrets : le premier vise à déporter tous les Juifs Bulgares en Pologne, le second d’intensifier l’expulsion des Juifs de Sofia en province. Boris choisit le second. Il est publié le 25 mai. Immédiatement les autorités juives prennent contact avec diverses personnalités de la capitale et de la cour. La population s’y oppose une fois de plus et une grande manifestation est organisée par le parti communiste, rassemblant près de 10.000 personnes devant le palais du tsar, le 24 mai. La manifestation est violemment réprimée, et de nombreux juifs, arrêtés, sont internés dans des camps hors de la ville. Le 24 juin 1943, les expulsions de Sofia sont terminées. 19.153 Juifs ont été expulsés de Sophia et « internés » dans les immeubles spéciaux dans une vingtaine de villes. Mais quelques milliers d’autres restent dans la ville, protégés. Beckerle pense qu'à l'automne on pourrait déporter ces Juifs, car hors de Sofia ils deviendraient tellement gênants qu'il serait facile d'avoir l'appui de la population. Mais rien ne se passe, et les Allemands restent impuissants et les pressions du RSHA sont sans effet. Aux dires de Beckerle, les Bulgares vivaient depuis si longtemps avec les Arméniens, les Grecs, les Tziganes, qu'ils étaient tout bonnement incapables de comprendre le problème juif (7 juin 43).

 

Stratégiquement, la guerre aborde un tournant décisif en cet été 1943, et le vent commence à tourner. Boris, opportuniste et en phase avec le sentiment populaire, s’en rend compte et, souhaitant éviter la même erreur que son père vingt-cinq ans plus tôt, contacte en secret des diplomates américains. Hitler, au courant de ces rumeurs, le convoque le 14 août 1943 dans son refuge de la Wolfsschanze. La rencontre est des plus houleuses : le Führer rappelle tout ce que le roi doit à l’Allemagne, sans qu’aucun retour n'ait encore eu lieu. Il est vrai que depuis le début de la guerre, la Bulgarie n’a pas beaucoup participé au conflit, se contentant d’envoyer en octobre 1941 un convoi sanitaire sur le front de l’Est.

 

Hitler exige donc di roi d’ouvrir un nouveau front au sud-ouest, dans l’espoir d’une dispersion des efforts soviétiques, et l’engage a livrer les Juifs bulgares. Le tsar refuse et sort du bureau, trois quarts d’heure plus tard, totalement abattu. Il regagne Sofia le lendemain dans un avion allemand. Neuf jours après cette entrevue, Boris est pris de violents vomissements et succombe le 28 août 1943, à l’âge de quarante-neuf ans. Ce décès « opportun » reste aujourd'hui encore très controversé. Certains n'hésitent pas à accuser Hitler d'avoir fait empoisonner le souverain récalcitrant, dans l'espoir de l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement plus conforme à ses vues. Il est cependant probable que Boris III soit décédé des suites d'une attaque cardiaque, due au stress qu’il endurait ces derniers temps.

 

La disparition soudaine du tsar amène sur le trône son fils âgé de six ans, Siméon II, placé sous la régence du frère cadet du roi décédé, le prince Cyrille de Bulgarie. Cet évènement bloque en fait tout le processus de déportation mis en place. Surtout, comme le présageait Boris III, les Alliés sont désormais maîtres de la guerre.

 

Le 1er juin 1944, un nouveau gouvernement est formé en Bulgarie, chargé de négocier avec les Alliés le retrait du pays du conflit. Le président du conseil Ivan Bagrjanov annonce une nouvelle politique vis-à-vis des Juifs, tout en veillant à ce que le gouvernement se montre très prudent, tant que les Allemands sont encore dans le pays et menacent d’intervenir… Le 6 août, le gouvernement proclame sa neutralité. Le 25, toue la législation anti juive est abrogée. Le KEV est dissout ; les communautés juives sont rétablies, de même que les organisations juives. Le gouvernement s’engage à rétablir progressivement les Juifs dans leurs anciens droits et propriétés… de nombreux Juifs reviennent progressivement à Sofia.

 

Le 2 septembre un nouveau gouvernement est formé qui demande l’armistice puis déclare la guerre à l’Allemagne le 8 septembre, au moment où l’Armée Rouge entre dans Sofia. Le lendemain, une insurrection amène au pouvoir le « Front de la Patrie », une coalition dominée par les communistes. Ce nouveau gouvernement, dirigé par l’ancien premier ministre républicain Kimon Georgiev, organise des épurations sauvages où près de 16.000 personnes sont exécutées sans procès. Puis, en octobre 1944, débute une série de procès au terme desquels sont prononcées 2.730 condamnations à mort. Parmi ces exécutions figurent de nombreux notables tels que les trois régents, 22 anciens ministres, 67 députés, 8 conseillers du roi et 47 officiers supérieurs.

 

Le 24 avril 1946, les autorités provoquent volontairement la famille royale en exhumant le corps de Boris III du monastère de Rila, et en le transportant dans un endroit secret. Puis en septembre 1946, elle s’en prend directement à elle, en organisant un référendum truqué qui abolit la monarchie et force toute la famille royale à s’exiler en Espagne. Le rideau de fer s’étend sur la Bulgarie.

 

Source : BS Encyclopédie

En lien : Photographies de Juifs de Macédoine et de Thrace sous occupation bulgare en cours de déportation. (United States Holocaust Memorial Museum)