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Publié le 19 Juillet 2015

"Nous sommes sidérés par la résurgence de l'antisémitisme que l'on croyait éteint ou déshonoré par l'hitlérisme"

Discours d'Eliane Klein, Présidente du CRIF Région Centre, lors de la cérémonie du 19 juillet 2015

En ce jour de commémoration officielle à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites- les Tziganes et les Juifs- commises par l'Etat français sous l'autorité du gouvernement de Vichy, et en hommage aux Justes français, je dédie mes paroles aux "Justes des Nations", ces hommes et ces femmes de toutes origines, souvent modestes, connus ou anonymes, qui ont sauvé des Juifs, en particulier des enfants, pendant l'occupation, malgré les risques encourus. Ils témoignent que les êtres humains ont d'autres options que la soumission à un Régime criminel.
 
Je rends hommage aux Résistants, aux anciens déportés, aux derniers témoins et à tous ceux, anonymes, dont le courage et la détermination ont concouru à vaincre la menace totalitaire. Car, comme l'a dit Madame Simone Veil, "face à la folie exterminatrice, face à l'horreur du système nazi, il y a eu l'amitié et l'humanité qui ont su résister. Ce sont les 2 faces des êtres qui ont été mêlés à cette monstrueuse entreprise".
Certains, en France, se plaignent d'un "trop-plein" de commémorations, suscitant l'envi ou le rejet, en y voyant une marque de complaisance, un geste sans signification, ou même, d'un signe d'ethnocentrisme des Juifs de France.
Face à ces critiques, j'affirme la nécessité de ces moments de remémoration collective qui s'inscrivent dans la tradition juive nous enjoignant de nous souvenir et de transmettre, et dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.
La cérémonie qui se déroule chaque année autour du 16 juillet a fait de cette Place de la République un lieu de Mémoire, un lieu pour se recueillir et réfléchir aux terribles évènements qui se sont produits si près d'ici, dans les camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande, après la Rafle du Vel d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942: 13.000 Juifs, dont plus de 4.000 enfants y furent internés avant d'être envoyés directement, ou via Drancy, dans le camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau, pour y être assassinés.
Leur "crime", pour les nazis et leurs complices français: être nés (juifs).
 
Ce qui s'est passé là est l'un des épisodes les plus tragiques de notre histoire: la collaboration du gouvernement de Vichy à un crime sans précédent, la Shoah, une "césure" dans l'Histoire(Hannah Arendt), l'anéantissement programmé de tout un peuple.
La Rafle du Vel d'Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en oeuvre par le gouvernement de Pétain dès les 3 et 4 octobre 1940 par les décrets dits "statuts des Juifs", lois de ségrégation, d'exclusion, de spoliation et d'internement , préfigurant la tragédie de l' année 42.
 
Statuts iniques qui faisaient de mes parents des étrangers, des parias, dans le pays qui les avait accueillis et naturalisés.
Je n'oublie pas l'abrogation du Décret Crémieux, dès le 8 octobre 1940, qui faisait des citoyens juifs français d'Algérie des parias: près de 500 professeurs ou instituteurs furent renvoyés, près de 20.000 élèves furent exclus des écoles publiques, les médecins n'avaient plus le droit d'exercer, etc...Toutes ces mesures, signant la faillite de la Démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations, comme l'a souligné l'historien Michel Winock. Pire, ajoute-t-il, dans l'Université, dans la Faculté de médecine, dans la magistrature, etc..., les postes" libérés" par les collègues juifs sont occupés sans état d'âme, par les enseignants, médecins, juges non juifs!
 
En France métropolitaine, quand les lois de Vichy excluaient 140 universitaires d'origine juive, l'Université française entérinait la mesure et la communauté universitaire acquiesçait même quand le Collège de France excluait un professeur juif.( Georges Bensoussan).
 
"Combien furent précieux, alors, les cris de quelques rares protestataires dans le désert de la soumission!"( Michel Winock).
 
Il convient de s'interroger sur le rôle joué par une grande partie des hauts fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques sans états d'âme.
 
On ne peut évacuer le rôle de la bureaucratie, de la presse" officielle", de la propagande, bref de tous ceux qui, par indifférence ou haine antisémite se sont rendus coupables de petites ou grandes lâchetés.
 
La tâche qui nous incombe, face à une telle tragédie - mettre en lumière le  "pourquoi" et le "comment" - est d'autant plus difficile que nous sommes entrés dans le temps des mémoires courtes, de l'accélération de l'Histoire mondialisée, médiatisée, le temps du "divertissement", où chaque évènement , chaque image chasse l'autre et souvent l'efface. Et puis, la lassitude, la négation, ou pire, l'indifférence l'emporte chez certains.
 
C'est un travail de Mémoire et d'Histoire exigeant, appelant à la réflexion sur les questions fondamentales que les génocides du 20ème et 21ème siècle posent à la conscience humaine.
"Comment  cela a-t-il pu être possible? Quel cheminement idéologique a pu mener au crime de masse? Comment des Etats démocratiques ont-ils pu consentir au pire? Rappelons que ce crime de masse a été commis dans le silence des nations.
La Shoah a dévoilé la fragilité de l'humanité, là où la barbarie est comme la face cachée de la civilisation moderne, technique et industrielle... "L'Histoire du régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l'espace républicain"..(Georges Bensoussan).
 
Le travail de Mémoire et d'Histoire que je viens d'évoquer  nous permet de garder  les yeux ouverts sur notre présent- pour" voir ce que l'on voit" (Charles Péguy), pour nommer les choses sans "non-dits" ni "mal dits"(Richard Prasquier).
 
Le racisme, la xénophobie, l'homophobie, le sexisme sont toujours présents dans la société  française.
 
Et aujourd'hui, nous sommes inquiets, "sidérés" par la résurgence et la hausse considérable de l'antisémitisme en mots, en paroles, en gestes, en actes, l'antisémitisme que l'on croyait éteint ou "déshonoré" par l'hitlérisme.
 
Il faut constater avec amertume que jamais l'antisémitisme n'a été aussi  fort en Europe -en France- depuis le nazisme. Il s'agit d'un antisémitisme paré des vertus d'un antiracisme dévoyé et d'un vernis universaliste, devenu un code culturel  dans une partie de la société française.
Antisémitisme lié à une haine de l'Occident, de la France en particulier et de ses institutions démocratiques.
 
Il y a les messages subliminaux, les tweets, les déclarations et allusions insidieuses, ce que le Grand Rabbin de France appelle les "signaux faibles... le venin distillé à bas bruit.. puis orchestrés" et amplifiés par les discours et écrits négationnistes, complotistes, antisionistes,  manipulés par des propagandistes habiles, islamistes radicaux -sur internet en particulier- pour devenir des "signaux forts": engagement dans le "djihad", et des crimes: faut-il rappeler  l'assassinat d'Ilan Halimi, celui des militaires français à Montauban, des enfants et de leur père juifs à Toulouse, l'attentat au Musée juif de Bruxelles, les attentats à Paris en janvier...( sans faire la liste de toutes les violences, massacres commis au nom du mouvement totalitaire: l'islamisme radical......)
 
Enfin,  je souhaite évoquer un sujet particulièrement préoccupant: les lobbies pro palestiniens militants  instrumentalisent, depuis plusieurs années, la cause des Palestiniens en appelant au boycott total des échanges économiques, commerciaux, sportifs, culturels, scientifiques, techniques avec l'Etat d'Israël.
 
Je m'exprime aujourd'hui sur ce sujet car ce boycott qui a pour but de transformer l'Etat d'Israël en ghetto, l'exclure de la communauté des nations, éveille en nous un sinistre écho. 
 
L'obsession anti-israélienne sert de masque au "nouvel antisémitisme" qui pousse comme de la moisissure en France et ailleurs en Europe , il est pathétique de voir l'extrême gauche concurrencer l'extrême droite"( le dessinateur Michel Kichka, ami des dessinateurs de Charlie hebdo))
 Il y a quelque chose de troublant, en effet, dans l'acharnement de ce militantisme dévoyé, relayé par des sites notoirement antisémites, qui n'est pas sans rappeler l'Allemagne nazie où le boycott visait non seulement  les magasins juifs, mais les médecins, les enseignants, les musiciens, les écrivains juifs.
 
 En France, depuis plusieurs années et actuellement encore, de nombreux élus de droite et de gauche- le Président de la République et Laurent Fabius, des organisations de défense des droits de l'homme- SOS racisme  et la Licra en particulier- et des syndicats s'opposent à cette campagne haineuse, cette démarche discriminatoire, illégale selon la loi française . Martine Aubry, alors 1ère secrétaire du PS, déclarait "ceux qui prônent le boycott se trompent de combat...au lieu de porter la paix, ils portent la haine". La haine du JUIF!
 
Pour conclure,   70 ANS après la fin de la 2ème guerre mondiale, on peut faire ce terrible constat: "la barbarie n'appartient pas à la préhistoire de l'Humanité, elle est l'ombre qui l'accompagne à chaque pas." (Alain Finkielkraut).
 
Comme l'a écrit l'historien Elie Barnavi: "Il y a la civilisation et il y a la barbarie, et entre les deux, il n'y a pas de dialogue possible...Il faudra vous armer de patience et de conviction, il faudra défendre la laïcité sans laquelle il n'y a pas de démocratie possible...Il y va de la sauvegarde de vos valeurs, de vos libertés, de votre mode de vie. Bref, de l'avenir de vos enfants".