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Publié le 17 Mars 2015

Pascal Perrineau, invité de la Commission d’études politiques du CRIF

Au sujet de son livre : « La France au Front » (Fayard, 2014)
 

Par Raoul Ghozlan, Président de la Commssion
Pascal Perrineau, professeur et auteur d’un ouvrage sur le Front National, « la France au front », propose une analyse sociologique de l’électorat du parti d’extrême droite français, expliquant ainsi la percée de ce dernier aux scrutins municipaux et européens derniers.
Perrineau pose tout d’abord le Front National en symptôme de la France ; quand la France va mal, le Front National va bien.
Les maux de la France d’aujourd’hui sont économiques, sociaux (Manif pour tous), ainsi que politiques. Le Front National s’est donc logiquement renforcé lors de deux élections mineures : les municipales de mars et les européennes de mai, ces dernières lui conférant le titre de « premier parti de France ».
De l’autre côté du spectre politique, le Parti Socialiste de Hollande est en crise, le taux de popularité du Président tombe à 13% et le Premier-Ministre Valls est également, après six mois de travail, impopulaire.
« Un vrai Front National »
Pascal Perrineau souligne que les victoires enregistrées par le parti de Marine le Pen aux élections locales étaient inattendue. En effet, ces élections de proximités étaient, a priori, les plus compliquées pour le Front National puisque qu’elles nécessitaient un appareil politique capable de pénétrer les localités françaises. Ainsi, avant ces élections, le Front National n’était pas réellement enraciné dans les trente-six milles communes de France. Néanmoins, alors que les résultats du parti d’extrême droite dans les grandes villes restaient bas, ses scores dans les petites agglomérations (comme Béziers, par exemple) et dans les zones « rurbaines » ou « périurbaines » de Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Nord-Est explosaient. La vague Bleu Marine, qui a su rallier-et surtout parachuter des candidats locaux a réussi à imposer ses têtes de liste jusque-là inconnues.
En conséquence, le Front National, qui a conquis onze communes importantes au cours des dernières municipales, a surtout gagné une autre bataille, plus significative : celle de la respectabilisation. De cette façon, le Front National s’impose comme un acteur décisif de la scène politique française.
Ainsi, deux mois après les municipales, le FN remportait (cette fois ci pour de bon) les élections européennes, largement boudées par l’électorat français. La vague Bleu Marine s’affirme comme premier ou deuxième parti dans beaucoup de circonscriptions et devient, avec 24% des suffrages, la « première force politique nationale » (4 points devant l’UMP et 10 devant un malheureux Parti Socialiste). Plus inquiétant encore, un sondage suggérait récemment que les Français abstentionnistes voteraient comme l’ensemble de la population française aux européennes ; entre d’autres termes, Front National.
Les prochaines élections à se tenir seront les cantonales et les régionales. Pascal Perrineau considère que ces élections locales affirmeront la voix du Front National qui s’impose en ce moment dans les périurbaines françaises. Le Front obtiendrait 50% des voix du rurbain, où 60% de la classe populaire française réside. Ces classes, endettées et fortement touchées par le chômage, sont la cible idéale d’un Front synonyme, pour eux, de solution (ou de seule alternative). De ce fait, le Front National se « nationalise » en progressant dans les zones touchées par le chômage et la désindustrialisation, anciennement acquises au PS voire au Parti Communiste. Ne se limitant plus seulement à la région PACA, le Front atteint désormais le Nord, l’Est et même le Sud-Ouest. En définitive, le Front National est devenu « un vrai Front National ».
Front d’avant contre Front de maintenant
            Sous l’égide de Jean-Marie le Pen, le Front National appuyait ses campagnes sur deux thématiques majeures qu’il associait habilement : l’insécurité et l’immigration. Dénoncer la montée de la délinquance tout en vilipendant la présence immigrée permettait au parti de séduire une certaine population radicale d’extrême droite. Cependant, le Front de Marine le Pen cible et séduit aujourd’hui deux grandes « catégories sociales ».
La première, traditionnellement fidèle au FN, s’apparente à la classe moyenne du sud de la France, majoritairement en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette part de l’électorat frontiste appartient à un univers de droite, traditionnel voire réactionnaire. La seconde partie de l’électorat bleu marine se compose de l’ancien monde industriel (Nord, Est), univers prolétaire et ex-ouvrier traditionnellement socialiste, voire communiste. Exemple criant de ce phénomène inédit, Fabien Engelmann, maire frontiste de Hayange depuis mai 2014, est un ancien du Nouveau Parti Anticapitaliste, de Lutte Ouvrière et de la CGT.
Tenons-nous le pour dit, le FN se nourrit avant tout et surtout du désarroi des autres partis, et surtout de la gauche. Un échec du Parti Socialiste et une crise à l’UMP sont synonymes de succès pour le FN, où l’on critiquera le « cirque de l’UMPS ».
Autre phénomène inquiétant : dans les seconds tours l’opposant à l’UMP, le Front National réalisait en moyenne le double de son score du premier tour, signe de l’importance du vote abstentionniste et de gauche pour lui.
De plus, outre l’évolution qualitative du vote frontiste, on peut observer des similitudes et des différences avec le Front « d’avant », fondé et dirigé par le Pen père. Effectivement, certaines valeurs propres au Front National « du père » restent inchangées. Ainsi, la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme font toujours partie des idéaux du parti. Néanmoins, le Front « de la fille » a opéré un renouvellement générationnel, nommant des cadres beaucoup plus jeunes, et également moins expérimentés. Cette nouvelle génération se focalise sur des obsessions différentes de celles qui préoccupaient Jean-Marie le Pen. Dans ce contexte, le renouvellement générationnel s’accompagne d’une transformation qualitative, dans laquelle les éléments jugés trop radicaux sont écartés. Plus qu’un abandon des valeurs et éléments trop extrêmes, le parti réalise là une purge de ceux qu’il considère nuisibles à son image. L’avantage principal de ce renouvellement est de nommer des candidats frontistes qui ressemblent aux citoyens qu’ils tenteront de séduire. Par conséquent, l’identification au Front National devient plus aisée pour une part grandissante de la population française. Certains parleront de campagne de dédiabolisation.
De surcroît, l’offre idéologique du parti se trouve modifiée, le Front abandonnant son statut de paria du spectre politique et acceptant l’intégration républicaine. Le parti va même jusqu’à se revendiquer gardien d’une laïcité menacée par « l’immigré musulman radical ». Fait nouveau et démonstrateur de la nouvelle stratégie du parti, on ne reproche désormais plus à l’immigré son ethnie différente ou inférieure, mais son appartenance à une religion porteuse de valeurs menaçant la stabilité et l’intégrité de la République.
A l’issue de son intervention, Pascal Perrineau répond aux questions du public.
•          Il considère que les groupes qui résistent au Front National sont :
-les intellectuels et les diplômés,
-les Juifs,
-les catholiques pratiquants réguliers.
•          En ce qui concerne l’Europe, une situation similaire à celle de la France (renaissance nationale populiste) est présente aux Pays-Bas, au Danemark, en Norvège et en Suisse. En revanche, l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni et l’Allemagne restent pour l’instant hermétiques aux assauts d’extrême droite.
Les Pays-Bas et le Danemark possèdent des caractéristiques communes, à savoir une immigration forte, une densité de population élevée, et des équilibres fragiles. A cela s’ajoutent une immigration parfois radicale (à l’instar du groupe extrémiste Sharia4Belgium) et un populisme matrimonial.
 

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