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Publié le 8 Décembre 2014

Rassemblement de Créteil : discours de Bernard Cazeneuve

Monsieur le Préfet, Monsieur le Député-Maire, Monsieur le Président du Consistoire israélite central, Monsieur le Président du CRIF, Monsieur le  Président de la communauté israélite de Créteil, Monsieur le rabbin, Monsieur l’imam, Monseigneur, Mesdames et Messieurs,

Si j’ai tenu absolument à être là aujourd’hui, parmi vous, avec vous, c’est pour partager avec vous une indignation, une tristesse, et opposer à la violence antisémite, comme à toutes les violences, le respect des valeurs de la République.

Photo D.R

Mais ce n’est pas ma colère, ni même ma compassion que je souhaite vous faire partager, mais mon analyse d’une situation grave et la résolution qu’elle m’inspire en tant que ministre de l’Intérieur.

Je suis venu à Créteil comme je suis déjà allé, hélas, me recueillir il y quelques mois devant le Musée juif de Bruxelles. Comme je me suis rendu au mois de juillet à Sarcelles pour constater les dégâts commis par des manifestants animés par la haine, en dépit de l’intervention des forces de l’ordre, et pour y rencontrer les élus et les membres de votre communauté.

Je suis venu aujourd’hui parce que le crime qui a été commis à Créteil n’est pas un simple fait divers. Derrière ce crime, il n’y a pas seulement un acte lâche, crapuleux et antisémite. Derrière ce crime, il y a un mal qui ronge la République et que nous devons combattre à tout prix.

Sachez que je mesure le sentiment de révolte, de douleur et d’indignation que vous ressentez. Je connais aussi le sentiment d’inquiétude qui traverse la communauté juive de France. Je sais que vous ne tenez pas les autorités pour responsables des actes de haine qui sont commis, des paroles de haine qui sont proférées contre vous. Mais je sais que certains parmi vous se demandent aussi : où et quand cela s’arrêtera-t-il ? Qui nous protégera contre ceux qui nous veulent du mal ?

Je suis venu aujourd’hui vous apporter la réponse de la République.

Elle tient en quelques mots.

La République vous défendra de toutes ses forces parce que, sans vous, elle ne serait plus la République.

La République vous protégera toujours contre des actes et des paroles qui portent atteinte au socle même des valeurs qui la fondent, parce que sans ce creuset de principes, sans cet attachement sans faille à leur respect, la République ne serait plus elle-même.

Nous ne devons pas nous voiler la face. Les actes et les menaces antisémites ont bien augmenté en France de plus de 100 % au cours des dix premiers mois de l’année.

Mais la pire erreur que nous pourrions commettre serait de croire, ou de laisser croire, que les attaques qui visent les Français de confession juive ne nous concernent pas tous, quelle que soient notre origine, notre croyance, notre religion. Comme l’a déjà dit le Président de la République : « La sécurité des juifs de France n’est pas l’affaire des Juifs, c’est l’affaire de tous les Français. »

L’antisémitisme, comme le racisme, n’est pas une violence comme les autres. Il est une négation des principes énoncés dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, fondement de notre ordre juridique et de notre pacte social. C’est pourquoi, si l’émancipation des Juifs de France est associée à la Révolution et à l’avènement de la République, leur persécution fut accomplie au cours des heures les plus sombres de notre histoire, dans la nuit de l’Occupation, une fois la République abolie.

Enfin, l’antisémitisme n’est pas une pathologie qui frappe le corps social de façon isolée. Il prospère sur le terreau de haines plus diffuses et plus diversement réparties, sur la méconnaissance des principes élémentaires de la solidarité humaine, sur le délitement du lien social. Sa montée s’accompagne, comme nous le voyons aujourd’hui en France, d’une croissance parallèle de toutes les haines mortifères : le racisme, l’islamophobie, la xénophobie, les discriminations, l’intolérance. A ceux qui pourraient se croire indifférents ou à l’abri, il faut donc rappeler le conseil que Frantz Fanon disait avoir reçu autrefois de son professeur de philosophie : «Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous … ».

A ce mal qui menace tous les Français, qui s’attaque au socle du pacte républicain, nous devons répondre en faisant preuve d’une vigilance et d’une fermeté de tous les instants.

Comme vous le savez, je ne me suis pas résigné en juillet dernier à ce que l’on puisse crier « Mort aux juifs » dans certaines manifestations, ni à ce que l’on attaque des synagogues. Je n’hésiterai pas davantage à prévenir les troubles à l’ordre public qui pourraient résulter de la présentation publique de « spectacles » antisémites, quels que soient les oripeaux « antisystème » sous lesquels ils prétendent se dissimuler.

J’ai par ailleurs donné instruction aux Préfets de signaler aux Procureurs de la République tous les actes et toutes les paroles racistes et antisémites, afin qu’aucun ne demeure impuni. Au premier semestre de cette année, plus de 930 affaires ont fait l’objet de poursuites sur ces chefs d’inculpation. Quiconque persistera en France à vouloir commettre des actes ou à proférer des messages de haine et d’incitation à la violence, doit savoir qu’il verra se dresser contre lui la République et ses lois. Quiconque se rendra coupable d’actes antisémites ou racistes sera inlassablement recherché, arrêté et puni.

En étroite concertation avec le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France et avec le Service de protection de la communauté juive de France, les services de police et de gendarmerie assurent la surveillance régulière et la protection des lieux de cultes, des écoles confessionnelles, des centres communautaires et culturels, de tous les lieux qui constituent des cibles potentielles pour des actes de haine antisémite ou antimusulmane. Près de 200 lieux à Paris, plus de 80 dans ce département, font l’objet d’une telle protection. Je veillerai personnellement à ce que l’efficacité de ce dispositif soit constamment réévaluée en fonction de l’évolution des menaces et à ce que les moyens consacrés à améliorer la sécurité des lieux exposés soient renforcés.

Dans cette lutte sans merci que nous menons contre le racisme et l’antisémitisme, il ne peut pas y avoir de zone de non-droit, d’espace qui serve de refuge ou d’asile aux prêcheurs de haine. Or force est de constater que le développement d’Internet et des réseaux sociaux a démultiplié leur capacité à diffuser sous toutes les formes possibles leurs discours abjects, tandis que le sentiment d’impunité qui résulte de l’anonymat sur la toile a facilité l’expression de la parole antisémite, raciste ou xénophobe. Ce sentiment d’impunité est heureusement en grande partie illusoire et le Gouvernement, en créant la plateforme de signalement PHAROS, s’est donné les moyens de poursuivre nombre de ces délinquants en ligne. Mais la complexité des règles internationales et une certaine mauvaise volonté des entreprises concernées compliquent encore souvent ces poursuites. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative d’engager, avec mes collègues européens, un dialogue avec les multinationales de l’Internet afin de les convaincre de faire en sorte que les réseaux sociaux cessent d’être ces espaces de non-droit où chacun se croit libre d’appeler à la haine de l’autre.

Aucun espace ne doit échapper à notre vigilance. Aucun acte, aucune parole antisémite ne doivent demeurer impunis.

Mais nous ne pouvons pas nous contenter de sanctionner les fautes, ni de protéger les individus et les lieux. Nous devons prévenir les actes, dénoncer les mensonges, éduquer ceux qui sont prêts à écouter les discours de haine. Nous devons faire de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme une cause nationale, en y associant toutes les administrations intéressées (Intérieur, Justice, Education nationale, Enseignement supérieur, Ville, Jeunesse et Sport, Fonction publique, Culture et Communication), les préfectures, les élus, les associations, les représentants des différents cultes. C’est pour faciliter cette mobilisation que le Premier ministre a décidé de rattacher auprès de lui la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

L’Etat n’est pas resté inactif sur ces sujets ces dernières années. Des efforts importants ont été faits pour que chaque fonctionnaire de l’Etat bénéficie, au cours de sa formation, d’une sensibilisation à la question du racisme et de l’antisémitisme. Des initiatives ont également été prises au sein de nombreuses grandes écoles et universités. L’enseignement de la Shoah, enfin, est déjà prévu en principe à chaque étape du parcours scolaire d’un élève : école primaire, collège, lycée.

Mais il nous faut assurément faire davantage. Je crois que nous avons besoin d’améliorer nos outils d’analyse de ces phénomènes. La publication des chiffres du racisme et de l’antisémitisme devraient donner lieu à des publications régulières qui soient suivies avec la même attention que les chiffres du chômage ou de la délinquance générale, et qui soient également incontestables. Face à ce qui est une véritable pathologie sociale, je crois que nous devons réfléchir à des campagnes de communication vis-à-vis du grand public. Nous devons lutter avec plus de sévérité contre cette manifestation concrète, bien que souvent dissimulée, du racisme et de l’antisémitisme que sont les discriminations.

Je crois également à l’importance cruciale de l’éducation, tant il est vrai que personne ne naît raciste, ni antisémite, et que la haine et les préjugés résultent de l’ignorance. Il nous faut mettre davantage en valeur les grandes figures de notre histoire qui ont lutté avec le même courage contre le racisme et contre l’antisémitisme, à l’image d’un Gaston Monnerville, dont le discours du Trocadéro, prononcé dès le 21 juin 1933 pour dénoncer les premières exactions antisémites du régime nazi, demeure un modèle d’humanisme et de lucidité.

Enfin, la République doit faire vivre cette valeur cardinale qu’est la laïcité et qui constitue l’antidote par excellence aux maux que sont l’intolérance et la détestation de l’autre. En proclamant la liberté pour chaque individu de croire ou de ne pas croire, en affirmant la neutralité absolue de l’Etat à l’égard de toutes les religions, elle habitue chaque citoyen à respecter la part d’altérité qui réside naturellement dans les convictions et les comportements d’autrui. Elle est une école de tolérance et c’est pourquoi je me rendrai mardi prochain, à l’occasion de la journée de la laïcité, dans une école primaire en compagnie de la Ministre de l’Education nationale afin de célébrer cette belle valeur républicaine.

***

Mesdames et messieurs,

Je ne suis pas venu aujourd’hui seulement en raison des liens forts d’amitié et d’estime qui me lient à votre communauté et à ses responsables. Je ne suis pas venu seulement pour exprimer ma compassion aux victimes du crime qui a été commis à Créteil et à leurs proches, ni pour leur exprimer ma solidarité dans l’épreuve qu’ils traversent.

A travers ces actes de haine, ce n’est pas seulement votre communauté que l’on attaque, mais la République. Cette haine, je m’engage devant vous à la combattre avec détermination et persévérance, en tout lieu et à tout instant.

Mais je sais que je mènerai pas seul ce combat. Il appelle une mobilisation de l’ensemble du Gouvernement. Il appelle une mobilisation de tous les Français. Soyez convaincus que ceux-ci ne partagent pas, dans leur immense majorité, les préjugés et les haines dont vous êtes les victimes. Toutes les études le démontrent : ils sont pratiquement unanimes à juger que le racisme et l’antisémitisme sont des fautes morales graves, que les paroles racistes et antisémites doivent être sévèrement condamnées. Les crimes dont vous faites l’objet, comme l’acte odieux qui a été commis dans cette ville, ne leur inspire que de l’horreur et de la répulsion.

Cette indignation spontanée, nous devons en faire le moteur d’une ambition et d’un espoir collectifs. Celui de faire vivre à nouveau la République où chacun peut trouver sa place, dans le respect d’autrui et de sa liberté. Celui de faire vivre la fraternité.

Vive la République.

Vive la France.

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