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Publié le 3 Juillet 2014

Rwanda: réflexions sur le dernier génocide du XXème siècle

Par Eve Gani

Le lundi 30 juin 2014, à la suite des commémorations marquant les 20 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, le CRIF a assisté à un colloque de « réflexions » sur le « dernier génocide du XXe siècle», organisé par la Fondation RBF. 

Les invités parmi lesquels les historiens Jacques Semelin, Tal Bruttmann, Gérard Prunier et Raymond Kévorkian ont tenté de cerner « les mécanismes de la logique génocidaire ». Alors que les images de 1994 faisaient percevoir le massacre « des Africains » comme « autrement différent » de la « civilisation européenne », la réflexion et l’examen des faits historiques fait au contraire apparaitre aujourd’hui les similarités entre le génocide des Tutsis et les autres génocides du XXème siècle dont l’exemple de la Shoah par balle en est une figure à bout portant. Qu’est-ce qui déclenche, de la rivalité de groupes humains à l’assassinat, le passage à l’acte ? Comment passe-t-on d’une situation de guerre qui, si elle n’est pas encadrée par le droit de la guerre, libère des pulsions criminelles, à un génocide ? Dans quelle condition un massacre de civils devient-il un génocide qui vise l’élimination complète d’un groupe? Comment se construit progressivement dans l’imaginaire la figure de l’ennemi absolu, qui n’est plus un individu doté d’un prénom, mais nommé comme le membre d’un groupe, voire déshumanisé par un appellatif animal ? Il s’agissait de décrire ainsi la radicalisation progressive des agents  dont le comportement évolue jusqu’à s’autoriser du droit de vie ou mort sur l’autre, ramené à une fonction, un critère ethnique. À travers l’histoire du génocide rwandais, mais aussi celui du génocide des Juifs en Europe et des Arméniens, il s’agissait aussi d’étudier la différence entre la destruction ciblée dans le but de soumettre politiquement qui est le régime de la guerre, à la destruction dans le but d’éradiquer « un autre qui est de trop » qui définit le génocide.

Il s’agissait également lors de ce colloque d’interroger les moyens opérationnels de réponse internationale à un génocide. Pour ce qui est de l’exemple rwandais, François Léotard, alors Ministre de la Défense de la France à l’époque des faits et Bernard Kouchner, ancien Président de Médecins sans frontières, et porteur du concept de « droit d’ingérence » et de la « responsabilité de protéger » ont abordé dans une logique de responsabilité l’opération Turquoise, opération militaire française sur zone dirigée par la France avec autorisation de l’ONU. François Léotard avait accepté de répondre aux questions du public, ferme défenseur de l’opération Turquoise mais aussi au-delà de la démocratie française : sa force, a rappelé l’ancien Ministre, réside dans le fonctionnement de ses institutions, l’université pour un examen historique des faits « hors situation d’urgence », la justice et le parlement, où des missions d’informations peuvent interroger la politique du gouvernement. C’est l’orientation politique de la France à l’époque que Bernard Kouchner remet en cause : « non, il n’y pas eu de faute militaire, il y a eu une faute politique » de la France, a estimé l’ancien Ministre des Affaires étrangères, pour qui le compagnonnage d’armes de français avec les responsables de massacres de Tutsis ne leur aurait permis d’empêcher qu’un nombre limité de massacres de civils. François Léotard a défendu la position de la France en plusieurs points : seul pays ayant accepté d’intervenir en situation d’urgence, la France aurait, grâce à l’Opération Turquoise, sauvé une dizaine de milliers de civils. Léotard a rappelé la réalité du terrain : l’urgence humanitaire ne peut trouver une réponse que par la rapidité de la transmission des informations sur le terrain d’opération et le déplacement des troupes.

Mais les informations transmises aux Français étaient-elles fiables ? Le colloque a permis de rappeler que l’analyse de l’information et la transmission de recommandation fiable, qui constituent la fonction du renseignement, est le premier maillon, voire l’un des plus essentiels, de la responsabilité politique.

Le XXIème siècle s'est ouvert avec d'autres massacres de civils, au Soudan et en Syrie. L'étrange convergence entre l'examen critique des démocraties qui ne sentent plus en capacité "de faire bien" et celles des États autocrates qui ne croient pas en la légitimité de "faire le bien" explique la difficulté à déclencher des opérations militaires pour prévenir.  Pour des mythifications identitaires, au XXIème siècle, les civils continuent à mourir.