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Publié le 10 Juillet 2012

Trois questions à Jean-François Guthmann, Président de l'OSE

Propos recueillis par Stéphanie Dassa

 

Cette interview fait suite au rassemblement organisé le 1er juillet par l'OSE (photo) dans le cadre de son centenaire. Cette journée a réuni de nombreuses personnalités de la communauté et notamment Richard Prasquier. Plus d'informations sur la journée du 1er juillet et sur le centenaire de l'association sur le site de l'OSE www.ose-france.org

C’est auprès de toutes ces populations fragiles que l’OSE poursuit son œuvre contemporaine

Vous êtes président de l’œuvre de Secours aux Enfants qui célèbre cette année son centième anniversaire. Vous avez placé cet évènement sous le slogan « L’Osé 100 ans d’avenir ». Comment l’envisagez-vous ? Quels sont vos projets au-delà de cette année de célébration, aussi bien sur le plan social, éducatif que mémoriel ?

 

En choisissant le slogan « L’Osé, 100 ans d’avenir » pour marquer un siècle d’histoire à travers l’Europe et le Maghreb, un siècle pendant lequel l’Oeuvre de Secours aux Enfants a fait face à toutes les vicissitudes, nous avons voulu renforcer l’identité de l’association pour construire l’avenir. Aujourd’hui, notre association est une des plus importantes de la communauté juive française avec près de 700 salariés, un budget de 35 millions d’euros et 25 établissements ou services intervenant dans cinq lignes de métiers.

 

Paradoxalement, la Communauté ne nous connaît pas à la hauteur de ce que nous sommes. Cela tient à la nature même des sujets que nous traitons. Confrontés aux graves difficultés des familles, des enfants, des personnes âgées dépendantes ou des personnes handicapées, nous ne sommes connus souvent que par ceux qui bénéficient de notre soutien. Notre travail au quotidien étant couvert par le secret professionnel, il est utile, à l’occasion du centenaire, de mieux communiquer.

 

Cela tient aussi au fait que notre association est aujourd’hui uniquement francilienne. Alors que l’OSE avait des établissements dans toute la France au lendemain de la guerre, elle a été amenée à fermer beaucoup de maisons d’enfants et s’est repliée sur la région Ile-de-France.

 

Aujourd’hui, notre expertise professionnelle est largement reconnue par nos pairs et par les pouvoirs publics. Nous avons été lauréats de plusieurs appels à projets lancés par les autorités de Santé publique, que ce soit dans le domaine de l’enfance en danger, de la lutte contre la maladie d’Alzheimer ou du soin porté aux personnes handicapées.

 

Par ailleurs, nous avons noué des partenariats internationaux avec des associations sœurs en Israël et auprès des communautés juives d’Europe de l’Est.

 

Pour le prochain siècle, nous ambitionnons de mettre davantage encore nos compétences à l’écoute des besoins des populations fragiles issues de nos rangs, en apportant notre concours aux communautés et aux associations des grandes métropoles de province dans les thématiques où notre savoir est reconnu, et en poursuivant notre développement dans nos grands domaines d’action. Plusieurs projets importants sont actuellement à l’étude, dont l’un sur les troubles cognitifs qui fera l’objet d’une présentation jeudi 12 juillet 2012 au Sénat, en partenariat avec l’Institut Feuerstein de Jérusalem.

 

A s’intéresser de près à l’histoire de l’OSE et de ses fondateurs puis de ses acteurs sous l’occupation, on est frappé par leur capacité d’anticipation. A quoi pouvons-nous l’attribuer ?

 

Vous avez raison : le travail historique nous interpelle sur la vision prémonitoire qu’ont eue les dirigeants de l’OSE.

 

Fondée par un groupe de médecins juifs de Saint-Pétersbourg en 1912, sous l’autorité du médecin Contre-Amiral Kaufman, médecin de l’Amirauté à Saint-Pétersbourg, pour remédier au caractère chétif des enfants dans les quartiers et les villages juifs de la zone de résidence sous l’Empire tsariste, l’OSE a su être présente à des moments clés du devenir du peuple juif.

 

Ainsi, entre 1912 et 1922, ce sont une centaine de « gouttes de lait » ou de centres de santé qui voient le jour dans dix pays ; cela en fait une des toutes premières ONG dans le monde.

 

Dix ans plus tard, l’OSE émigre avec ses fondateurs à Berlin, se choisit un président d’honneur prestigieux en la personne d’Albert Einstein. Interdite dans la nouvelle URSS, elle consolide sa présence en Allemagne, en Pologne (TOZ), en Roumanie, en Bulgarie, en Bessarabie et dans les Etats baltes.

 

Migrant une seconde fois vers l’ouest pour échapper à la montée du nazisme, l’OSE s’installe à Paris en 1933. Elle a la présence d’esprit de se choisir comme président d’honneur une personnalité politique non juive, Justin Godart, ancien ministre de la Santé dans le gouvernement Clémenceau (qui fut honoré comme Juste parmi les Nations).

 

En 1934, l’OSE ouvre son premier dispensaire à Paris ; dès 1938, elle crée ses premières maisons à Montmorency pour accueillir des enfants envoyés, seuls, d’Allemagne et l’Autriche, ou pour sortir des enfants des camps d’internement où ils étaient parqués avec leur famille.

 

En 1940, bien avant d’autres, les dirigeants de l’OSE, conscients du danger qui se trame de l’autre côté du Rhin et du risque que cela signifie pour les enfants, s’engagent dans l’action et ouvrent dès les deux premières années de la guerre, 20 maisons d’enfants en zone sud.

 

Informés secrètement à la fin 1942 de ce qu’était la destination finale, les dirigeants de l’OSE décident d’évacuer les enfants des maisons et d’organiser leur planque dans des familles d’accueil, des couvents ou des internats scolaires. Là encore, intervient la vision prémonitoire d’un grand directeur, le docteur Joseph Weill, assisté d’un fin organisateur de réseau, Georges Garel.

 

A la Libération, au-delà de la tâche énorme de conduire à l’âge adulte tous ces enfants sauvés, mais orphelins, s’ajoutent l’ambition d’une présence médicale forte au Maroc et en Tunisie, et la participation à l’organisation d’une émigration vers la Palestine.

 

Le service archives de l’OSE dirigé par l’historienne Katy Hazan occupe une place importante dans les actions de l’association. Cette connaissance approfondie du passé et de l’histoire influence-t-elle vos choix, vos décisions ?

 

Présider une association qui a une histoire aussi prestigieuse est un honneur et une mission lourde de sens.

 

La référence à notre passé inspire en permanence tous les collaborateurs de l’OSE et marque à l’évidence notre spécificité dans le paysage associatif.

 

J’en retiens deux enseignements :

 

1/ Je considère que le plus bel hommage à rendre à nos grands anciens, c’est de poursuivre l’action dans la voie qu’ils ont initiée.

 

2/ C’est la force de l’OSE d’avoir su à tout moment faire preuve de réactivité face aux difficultés de nos frères. Chaque génération connaît ses problèmes ; ceux d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a 70 ans… S’agissant des jeunes, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques sociales que celles de la communauté nationale, parfois nouvelles, comme la violence, la déscolarisation, la drogue, les addictions, les troubles du comportement, l’autisme, la dislocation de la cellule familiale, l’émergence de la famille monoparentale… S’agissant des aînés ou des personnes handicapées, l’allongement de la vie, qui s’accompagne plus souvent qu’autrefois de la dépendance, et les progrès de la médecine modifient les formes de prise en charge des personnes âgées ou des personnes handicapées.

 

C’est auprès de toutes ces populations fragiles que l’OSE poursuit son œuvre contemporaine. C’est le défi que nous entendons relever pour le prochain siècle.