"C’était hier en Algérie", par Benjamin Stora - une recension de Marc Knobel

 
Une recension de Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
 
Elles illustrent ce nouvel ouvrage de l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire du Maghreb, ces 150 vielles photographies, jaunies, des morceaux de vie, des moments, des instants, un retour vers le passé. Celui des Juifs d’Algérie, d’Oran à Constantine, d’Alger au sud algérien. Ces moments ou dans une semoulerie, des femmes sèchent des pâtes, ou la récolte des dattes fait partie des tâches régulières, ou une famille juive de Constantine est photographiée, autour du patriarche, en 1881. Seuls, les plus âgés ont revêtu le costume traditionnel. Les plus jeunes portent des vêtements à la française…  Commentant ces pages d’histoire, Stora précise que deux mondes se sont juxtaposés celui d’avant la présence française et du décret Crémieux et celui d’après, celui de l’intégration, avant l’assimilation (p.79).
 
C’est ainsi que les plus vieux portent les escarpins de cuir souple, le gilet fermé (bedaia), la culotte bouffante (seroual). Les femmes portent la coiffe, ornée de broderies et de lourds bijoux. Les plus jeunes, par contre, sont vêtus à l’européenne et portent costumes et cravates. Deux élégantes vêtues à la mode du XIXème siècle, dans les environs d’Alger, en 1899 se penchent pour regarder un livre ou un album. Et puis, apparaissent alors les villes, les lieux et les paysages, le port d’Alger, au début du XXème siècle, Oran, dans les années 1900. Toutes les inscriptions sont en français : la cordonnerie française, l’atelier de bijouterie, la librairie Andreo, la parfumerie,  l’imprimerie E. Andreo… Et comme d’autres photographies de la même époque, les gens qui s’affairent, qui marchent dans la rue, et puis ceux et celles qui posent pour le photographe. 
 
D’autres photographies rappellent la violence de l’antisémitisme, notamment d’extrême droite. Dès 1897, lors de l’affaire Dreyfus, précise Benjamin Stora, des pogroms ont lieu à Tlemcen et Mostaganem et les attaques contre les populations juives sont violentes. On voit l’affreux Max Régis, au mois de mai 1898. Le chef de Ligue antijuive, élu maire d’Alger à l’âge de 25 ans, est acclamé par la foule. Autre image : la synagogue de la place Randon à Alger, après les émeutes antisémites. Les grilles ont été renversées.
 
Pourtant, les Juifs d’Algérie croient en la France, ils l’aiment. Le processus d’assimilation se poursuit donc malgré l’antisémitisme des ligues. Les Juifs ont quitté les campagnes, ils se rassemblent dans les villes, comme à Oran : 20493 Juifs contre 156971 Européens et 76601 musulmans. Chez les plus jeunes, rappelle l’historien, l’école fait son œuvre et transmet un idéal républicain, au point que certains ont pu parler d’une véritable passion des Juifs d’Algérie pour la République française. 
 
Lorsque la France est menacée, ils participent à toutes les  batailles de la Première guerre mondiale, de la Marne en 1914 à la Somme et aux Dardanelles en 1915 et 1916. 
 
Au lendemain de la Première guerre mondiale et jusqu’aux années 1950, la culture européenne envahit l’espace public. Cette photographie l’illustre. Nous sommes en 1934, devant le parc de Galland, à Alger. Une jeune femme pose devant une traction avant. Elle est le reflet parfait d’une assimilation « réussie » à la culture française et européenne puisque rien ne distingue cette femme d’une Européenne d’Algérie ou d’une métropolitaine. Cependant, l’assimilation n’affecte pas, ou pas entièrement, la vie familiale, rappelle l’historien, où se maintiennent, à des degrés différents les rituels, les traditions ordinaires une façon de parler (p. 117)
L’épreuve de Vichy est cruelle. En témoigne, cette lettre manuscrite émouvante d’un élève adressée à Pétain. Celui-ci explique avoir été renvoyé de l’école parce qu’il était juif. L’épreuve de Vichy, commente Benjamin Stora a bouleversé le processus d’assimilation qui semblait inexorable, renforçant paradoxalement le sentiment d’appartenance à une communauté.
 
Dans les années 1950, les Juifs d’Algérie vivent dans une sorte d’insouciance. On voit une photographie de la majestueuse synagogue d’Oran, la plus grande du Maghreb. La vie suit son cours. Sauf que la guerre approche et bientôt l’exil. La tristesse et les larmes.
Un livre particulièrement touchant, comme un … je ne t’oublie pas, je ne vous oublierai pas, vous les Juifs d’Algérie.
 
Benjamin Stora, "C’était hier en Algérie", Editions Larousse. 190 pages.    
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