Dans le magazine "Ça m'intéresse" : Pourquoi les théories du complot ont-elles autant de succès ?

 
Nous sommes nombreux à y croire, car les théories du complot exploitent notre goût pour l’intrigue et notre défiance envers les institutions.
 
Depuis l’an 2000, plus d’informations se sont diffusées que depuis la création de l’imprimerie ! « Ce flot de données est devenu un labyrinthe mental angoissant dans lequel il est difficile de faire le tri », souligne le sociologue Gérald Bronner. Or, les théories du complot proposent une vision manichéenne du monde, avec des bons et des méchants. Une vision rassurante qui renvoie aussi aux codes de notre enfance. « Ces récits sont à rapprocher des contes, relève l’historien Pierre-André Taguieff. Ils ont presque toujours une vision moralisatrice ; il y a souvent une leçon à tirer, ne serait-ce que celle de nous méfier de tel ou tel groupe… »
 
Ces théories donnent le sentiment d’appartenir à un cercle de privilégiés
 
Ils se disent libres-penseurs ou esprits critiques… Le point commun des blogs des théoriciens du complot ? Une petite phrase y revient tel un leitmotiv : « Maintenant, vous savez. » Prendre connaissance d’une thèse conspirationniste, c’est accéder à une information cachée au reste du monde. « Il y a un effet de dévoilement de la vérité tue par le discours officiel, celui des savants, des politiques, des économistes ou des médias, souligne Gérald Bronner. Or nous vivons dans un contexte de défiance de l’autorité. Les idées selon lesquelles « l’élite nous cache des choses » ont beaucoup de crédit. » La minorité d’initiés est d’autant plus soudée qu’elle se trouve un ennemi commun. « Ces thèses sont flatteuses pour l’ego, analyse le psychologue Olivier Klein. En les diffusant, nous avons le sentiment de remplir notre devoir d’honnête citoyen. »
 
Parfois, l’opposition systématique au discours officiel s’affranchit de toute logique. Quand Ben Laden a été tué par les Américains en 2011, plusieurs théories ont fleuri : « il est toujours vivant » ou « il est mort depuis longtemps ». Or Karen Douglas, psychologue à l’université de Kent (Royaume-Uni), a montré que ceux croyant que le chef d’Al-Qaïda était toujours de ce monde estimaient aussi qu’il était décédé des années avant. Conclusion : la croyance au complot tient surtout à une opposition par principe au discours officiel.
 
Ces théories insufflent un sens à l’histoire
 
Pour les historiens, il est difficile de donner un sens à la marche de l’Histoire, car beaucoup d’événements résultent du hasard. « Sous le regard conspirationniste, en revanche, les coïncidences ne sont jamais fortuites, explique Pierre-André Taguieff. Elles révèlent des connexions cachées et permettent de fabriquer des modèles explicatifs pour donner un sens au chaos des événements. » Une manière de se rassurer ? En quelque sorte. « Il est plus apaisant pour l’esprit de trouver des causes aux événements que de se dire que nous sommes les proies de faits qui nous dépassent », observe Olivier Klein.
 
Le séisme en Haïti ? Pour les conspirationnistes, il ne s’agit pas d’un déferlement de la nature mais des conséquences des essais nucléaires de l’US Navy. « L’homme a besoin de se projeter dans l’avenir et, pour cela, il se fonde sur des éléments connus afin de se dire que le futur est prévisible », poursuit Olivier Klein. Cela explique aussi pourquoi les théories du complot accusent toujours les mêmes groupes. « Ces théories jouent sur l’ambivalence, ajoute Pierre-André Taguieff. Elles inquiètent, car elles évoquent un complot d’une ampleur mondiale, et elles rassurent, car elles manipulent des clichés archaïques connus de tous, comme le « juif et l’argent ». »
 
Nombre d’expériences de psychologie confirment que le cerveau a horreur du hasard. Par exemple, nous avons tendance à déceler une intention derrière un événement. Démonstration grâce à une étude menée par la psychologue Evelyn Rosset à l’université de Boston. Les participants devaient lire sur un écran des phrases comme « il a fait une erreur en rendant la monnaie », « il a cassé la fenêtre » ou « elle l’a arrosé avec de l’eau ». Puis ils déterminaient si ces actions étaient arrivées par accident ou avaient été voulues. Or 34 % ont attribué une intention quand ils visualisaient la phrase 5 secondes, 39 % quand elle n’apparaissait que 2,4 secondes.
 
Conclusion : d’office, nous pensons qu’une action est intentionnelle. D’instinct, notre cerveau risque aussi de faire un lien entre deux faits isolés. Ainsi, pour le 11-Septembre, « Bush n’a pas réagi quand il a appris que des militants d’Al-Qaïda s’entraînaient dans des écoles de pilotage » et « de l’acier fondu a été trouvé dans les débris des tours ». En les corrélant, nous allons plus naturellement adhérer à la thèse selon laquelle la présence de cet acier s’explique par la pose préalable d’explosifs. Et en tirer la conclusion que les attentats ont été perpétrés par les Américains... Lire l'intégralité.
 
Maintenance

Le site du Crif est actuellement en maintenance