"Réparer les vivants", un film de Katell Quillévéré

 
Une recension d'Elie Korchia
 
Après avoir obtenu le Prix Jean Vigo en2010 pour Un poison  violent, et nousavoir impressionné en 2013 avec sonsecond long-métrage, Suzanne (nomméaux Césars 2014 du Meilleur scénariooriginal), la jeune cinéaste KatellQuillévéré s’attaque aujourd’hui avec brio à l’adaptation du livre phénomène de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, immense succès public et critique de 2014.
 
Ce roman - d’une fluidité et d’une intensité exemplaires - racontait comment le cœur de Simon, un jeune homme de 19 ans plein de vie soudainement arraché aux siens, parvenait à remplacer celui de Claire, une quinquagénaire en attente d’une greffe, au terme d’une fascinante lutte contre la montre de 24 heures, faisant intervenir une multitude de personnages unis autour d’un même dessein, celui de transmettre et pérenniser la vie.
 
La réalisatrice confiait ainsi avec justesse le jour de la sortie en salles que « le cœur du film est la question du lien entre ces individus et comment s’organise cette chaîne pour prolonger une vie, pour transformer la mort ».
 
Le pitch de l’histoire est toutefois très simple, qui voit trois adolescents partir au petit matin à bord d’une camionnette pour faire du surf au bord de la mer. Sur le chemin du retour, un terrible accident change hélas pour toujours le cours de leur destinée, et l’un des trois jeunes, Simon, est rapidement déclaré en état de mort cérébrale.
Un dilemme s’impose alors rapidement à ses parents dévastés : le laisser dans un état végétatif ou décider de le débrancher, afin que ses organes - et en tout premier lieu son cœur - puissent sauver d’autres vies.
 
Face à ce récit choral, qui aurait pu donner lieu à une adaptation larmoyante et sans relief, Katell Quillévéré reprend tous les éléments qui avaient fait la réussite de son précédent opus, Suzanne, à commencer par un casting formidable et une mise en scène pleine de finesse.
 
Il en va ainsi de l’interprétation impeccable de Bouli Lanners et de Tahar Rahim, qui interprètent le médecin et l’infirmier coordinateur qui vont s’occuper de la greffe du cœur de Simon, mais encore de Claire et Lucie, sa chirurgienne cardiologue, qui sont incarnées à la perfection par deux grandes actrices, Anne Dorval et Dominique Blanc.
 
La première partie du film nous dévoile avec beaucoup de lyrisme le parcours tour à tour lumineux et déchirant de Simon, du moment où il quitte au petit matin son amoureuse pour partir avec ses amis dompter les vagues, jusqu’au moment du drame, alors que la deuxième partie du scénario s’attache à décrire l’angoisse et l’attente de Claire, dont la greffe du cœur est attendue avec une profonde appréhension et un indicible espoir.
 
La force du film provient aussi du fait qu’il n’y a aucun personnage principal dans ce récit clinique des 24 heures de la vie d’un cœur, qui finira par être transplanté - avec le reste des organes de Simon - à l’autre bout de la France. A la lisière du mélodrame et du documentaire, ce film bouleversant parvient à ne jamais tomber dans le pathos, grâce à une mise en scène inventive et minutieuse, qui sait prendre intelligemment son temps à certains moments - notamment lors des premières scènes qui relatent le parcours de Simon – mais aussi grâce au brillant travail réalisé par ce chef-opérateur talentueux qu’est Tom Harari, le frère du réalisateur Arthur Harari.
 
Il convient enfin de saluer la remarquable bande son concoctée par le célèbre Alexandre Desplat, qui livre ici une partition musicale d’une belle sobriété, laquelle sied parfaitement au délicat propos du film.
Revendiquant l’influence de Douglas Sirk, Katell Quillévéré continue donc de surfer avec bonheur sur ce qui faisait le charme de ses précédentes réalisations, à travers le récit de cette formidable chaîne humaine suspendue entre la mort et la vie - et nous laisse in fine en état d’apesanteur, partagés que nous sommes entre l’affliction et la joie, le songe et la réalité.
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