Symptôme du profond malaise de nos sociétés, le conspirationnisme prolifère grâce aux réseaux sociaux

 
Publié dans l'Express le 9 octobre 2016, sous le titre "Les théories du complot donnent l'illusion de retrouver sa condition de sujet" 
 
Ressurgies après le 11 septembre 2001, les théories du complot prolifèrent plus que jamais dans les pays occidentaux. Marie Peltier, historienne de formation et enseignante, tente d'en comprendre les ressorts dans un ouvrage paru cette semaine, "L'Ère du complotisme. La Maladie d'une société fracturée". 
 
Comment la possibilité d'expression sur internet a-t-elle contribué à ce développement? 
 
Le web a ouvert un type d'information horizontal. Il aurait pu permettre et permet encore un espace de débat de confrontation, mais assez rapidement, les réseaux sociaux ont figé les gens par strates idéologiques. Leur logique accentue ce phénomène, à l'instar de Facebook qui propose des pages thématiques similaires à celles que l'on consulte généralement. La sensation de "faire groupe" nous enferme dans un univers de plus en plus restreint, où l'on reproduit les mêmes mantras, les mêmes certitudes.  
 
Le complotisme profite de ces "bulles". Il tire parti de formats tels que la vidéo, très attractive pour la nouvelle génération. Lisant de moins en moins, celle-ci privilégie les images, les textes courts, les formules choc, qui donnent une clé de compréhension à moindres frais. 
 
Après les attentats de Paris, en janvier 2015, je suis beaucoup intervenue dans les écoles, les maisons de jeunes. C'était frappant de voir comment des jeunes de 14/15 ans se disaient "sûrs que l'attentat de Charlie Hebdo était une mise en scène". Dans certaines classes, ils étaient majoritaires. Quand on leur demandait d'où ils tiraient leurs certitudes, ils répondaient avoir "vu les preuves sur le web". Telles les images de ce fameux rétroviseur. D'autres disaient ne pas croire "qu'ils ne sont vraiment morts", citant pour preuve que, "sur les images du policier abattu, on ne voyait pas couler de sang". Ils se partagent entre eux ces images, ces vidéos, et ne sont plus confrontés à d'autres récits. 
 
Y a-t-il des catégories de population plus sensibles que d'autres à ces théories? 
 
Il y a d'abord le public traditionnel de l'extrême droite, dont l'idéologie sous-tend cette rhétorique. Tous les réseaux islamophobes et antisémites y sont très sensibles. 
 
La nouvelle génération, ensuite: des gens qui ont la vingtaine, toutes classes confondues. Désenchantés, pour beaucoup, ils sont déroutés par la complexité du monde. Ces théories donnent une grille de lecture et l'illusion de posséder un savoir caché, réservé aux seuls initiés.
 
Cette génération, qui n'est plus imprégnée de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est aussi dans une sorte de désarroi mémoriel. Parmi eux, au sein des "minorités culturelles" et notamment de la minorité musulmane, beaucoup sont réceptifs à ces discours: avec la focalisation de la société sur l'islam et la montée de l'islamophobie, depuis le 11 septembre 2001 et la multiplication des lois sécuritaires, ils se sentent stigmatisés. "Quand même, tout retombe toujours sur la tête des musulmans. Il doit y avoir une logique orchestrée à tout ça", leur murmurent les conspirationnistes. Les théories du complot donnent l'illusion de retrouver sa condition de sujet, de reprendre prise sur les choses.  
 
Mais il ne faut pas croire que cela ne touche que les catégories populaires. Je suis intervenue aussi dans des collèges de la haute société en Belgique. L'argumentaire est un peu plus subtil, mais la logique complotiste est également présente. Je l'ai même sentie à l'université à l'occasion d'une conférence. J'ai compris par les questions qu'une partie des étudiants étaient dans des raisonnements conspirationnistes. En particulier à propos du Moyen-Orient... Lire l'intégralité
 
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