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Publié le 28 Octobre 2004

La France et les juifs, de 1789 à nos jours, de Michel Winock

Michel Winock est incontestablement l’un des plus grands historiens que nous connaissons. Il enseignait il y a peu à l’Institut d’études politiques de Paris, et, des générations entières d’étudiants se souviennent avoir suivi ses cours : il racontait et disait la France, se penchait sur les péripéties de son histoire et réfléchissait à ses ambiguïtés ; il parlait de ses fautes. Il écrivait aussi. Michel Winock a fondé des revues, notamment "L’Histoire." Il intervient régulièrement dans la presse, parce qu’il est très sollicité et il vient de publier, toujours au Seuil, la maison d’édition à laquelle il est fidèle, et dont il est le conseiller littéraire, un livre remarquable, passionnant La France et les juifs, de 1789 à nos jours.



Voilà pourtant un sujet qui semblait avoir été déjà cent fois exploré et cent fois ressassé. Que n’avait-on pas dit jusque là sur les Juifs de France, leur parcours empreint de solennité, de générosité et d’attente. Des Juifs ancrés en ce pays, donnant le meilleur d’eux-mêmes, attachés aux valeurs républicaines et rêvant d’une République, une, indivisible, et fraternelle. Et des Juifs malheureux, quelquefois trahis. Tel ce magistrat qui, arrêté par des policiers Français, en 1941, leur fait remarquer qu’il a toujours été une serviteur zélé, profondément amoureux de son pays.

Dans ce dernier ouvrage, Michel Winock ne propose pas une histoire de l’antisémitisme. Il analyse scrupuleusement les rapports entretenus, au cours des siècles, entre la République, la population et les juifs de France de 1789, jusqu’au « malaise des années 2000 ». Il démontre que, de 1789 à aujourd'hui, l'hostilité aux juifs fut toujours un reflet de nos crises nationales et non pas l'expression d'une doctrine enracinée dans notre identité.

Dans son avant-propos, Michel Winock explique sa démarche : « L’idée de l’écrire m’est venue en 2002, lorsque l’actualité d’un nouvel antisémitisme fit la « une » des quotidiens. Je me suis souvenu à ce moment d’Etiemble, qui était professeur de littérature comparée dans la Sorbonne des années cinquante. En pleine guerre d’Algérie, il fustigeait dans Le Péché vraiment capital, le racisme anti-arabe et, de la même plume, la haine antijuive : « Comment se fait-il que, dès que l’on touche à l’honneur ou a un cheveu du Juif, je sois du coup menacé dans ma vie, dans ma liberté de goy et que toutes les tyrannies estiment solidaires le Juif et l’homme libre ? » Michel Winock poursuit : « A vrai dire, je m’étais intéressé à cette histoire une trentaine d’années plus tôt, un peu au hasard. Rédigeant des comptes rendus de lecture pour la revue Esprit, je fus attiré par l’ouvrage de Pierre Pierrard, Juifs et Catholiques français, paru chez Fayard en 1970. Ce fut une révélation. Jamais je n’avais eu l’occasion d’étudier l’histoire des Juifs de France et leurs relations avec les catholiques… »

L’historien revisite donc les épisodes majeurs de cette histoire et en éclaire d’un jour nouveau les aspects méconnus, le décret Crémieux par exemple, la nouvelle émancipation des années 50. Par ailleurs, constatant le retour d'un «cri de haine à l'état pur - «Mort aux juifs!» - dont les boulevards de Paris n'avaient plus retenti depuis l'occupation nazie», Michel Winock explique au contraire son impunité par «le complexe postcolonialiste de certains leaders d'opinion, surtout à gauche. A leurs yeux, la France est toujours coupable d'avoir été une puissance coloniale; ses anciens colonisés, y compris leurs descendants, qui vivent en France, sont exonérés des devoirs démocratiques et républicains».

On doit néanmoins retenir et pour terminer cette phrase essentielle : « J’ai écrit ce livre sans esprit de parti. Mais, s’il en faut un, je serai du parti qui place la paix entre Israéliens et Palestiniens, entre Juifs et musulmans, au-dessus de tout. »

Marc Knobel

Michel Winock, La France et les juifs, de 1789 à nos jours, Le Seuil, 2004, 409 pages, 22 euros.