A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 25 Septembre 2003

Poèmes d’Auschwitz d’Abdelwahab Meddeb

Il faut rendre grâce à la revue Esprit, fort intelligemment dirigée par Olivier Mongin, de publier dans son numéro de juillet 2003 en pages 6-8, le si splendide poème d’Abdelwahab Meddeb que nous reproduisons in extenso. Il est précisé que ce poème a été écrit sur les lieux de l’horreur. Par ailleurs, un ensemble de textes a été lu à Birkenau lors de la cérémonie qui a conclu le voyage à Auschwitz (27-28 mai 2003), fait à l’initiative du Père Emile Shoufani, arabe chrétien, palestinien de Nazareth, de nationalité israélienne.



Rappelons simplement que ce voyage a rassemblé des Juifs, des Arabes, des chrétiens, des musulmans, venus de France, de Belgique, d’Israël, ou de Palestine. Jeunes et vieux, croyants et incroyants laïcs, prêtres, imams et rabbins se sont retrouvés en communion avec la mémoire des victimes de la Shoah.

Marc Knobel


1.

La litanie des coucous

rien ne transpire ni de l’herbe

ni de la terre ni des fleurs

lignes de briques murs effondrés

seules les fondations répartissent les carrés

hermétiques les images

où bourdonnent les insectes

la blancheur des arbres fusent

vers un ciel voilé

qui filtre la chaleur

césure du chant

2.

non, les merles n’ont pas déserté

où l’infâme

ni le soleil

et la nature indifférente

au malheur

ne porte le deuil

3.

à l’interstice des pavés la mousse

sèche

là courent les fourmis

actives

dans le lieu qui a connu

la mort absolue usine

de la mort

vestiges de notre temps les lieux ont-ils une mémoire ?

par le corps qui balance

au rythme de la voix

par le souffle qui ouvre

l’œil du cœur

donner au lieu

sa mémoire

par le silence l’entretenir

4.

ici fin mai

où l’infâme

retrouver un signe de l’enfance

touffes blanches qui voltigent

poils arrachés à la barbe de Satan, dit-on

accrochés aux cils voilà douze ans

à Florence

en chemin vers l’ultime Cène

du sacrifice au plus barbare

où commence où finit le siècle

5.

ferme les yeux juif ferme les yeux

sous le regard qui bondit de la dalle

béton arraché fendu brisé

par le séisme de mains d’homme

à vif le rêve noir de l’enfant

traverse le doute où le dieu se retire

dans le poids du jour

lévite à l’ombre du miroir

qui reflète un doigt

haut levé d’où la fumée

disparaît dans les cieux.

Abdelwahab Meddeb

Auschwitz

27 mai 2003