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Publié le 15 Novembre 2007

Voyages. A la recherche d’une mémoire perdue. Sousse 1871-1967 Par Gisèle Sarfati (*)

On a beaucoup écrit sur les Juifs de Tunisie. Surtout sur ceux de la capitale, Tunis. Beaucoup moins sur les communautés juives dites de l’intérieur. Le livre de Gisèle Sarfati, qualifié par l’auteur d’ « Autofiction » vient combler une lacune en nous racontant la saga des Juifs de Sousse et leur mémoire perdue.


Il était une fois, en effet, dans le sud tunisien, à l’aube de la colonisation française, en 1871, des familles juives, les Sarfati et les Chemla, les Nataf et les Scemama. Ghzala, Aziza et Sultana, Ange, Salomon, Messaoud, David, Chalom, Mordekhaï et les autres. Comme le rappelle l’auteur, « En Tunisie, les Juifs avaient coutume de donner à leurs enfants les prénoms de leurs parents. Aziza, fille de Sultana, fille d’Aziza, fille de Sultana… ». C’est tout ce petit monde aujourd’hui disparu, emporté par le vent impitoyable de l’histoire, que nous raconte, avec simplicité, mais avec beaucoup de cœur, Gisèle Sarfati.
« Ils vivaient dans un pays arabe colonisé par la France. Pour les Tunisiens musulmans, ils avaient le statut de dhimis, protégés du Bey, citoyens de second ordre, n’ayant même pas le droit de monter à cheval…Pour les Français, c’étaient des « Juifs arabes », avec tout ce que cela impliquait de mépris et de haine ».
D’entrée de jeu, l’auteur met l’accent sur l’insécurité dans laquelle vivaient les Juifs en terre d’islam avant la colonisation et même après. Ainsi des événements de juin 1864. L’ancêtre, Aziza, raconte : « D’abord à Sfax, puis dans tout le pays, il y avait eu des émeutes et des massacres de Juifs. David, son mari, que Dieu ait son âme, avait été attaqué et son magasin saccagé. Elle ne saura jamais exactement ce qui s’était passé. On lui avait ramené son mari, le visage tuméfié, les vêtements souillés, la barbe coupée ». Beaucoup de Juifs avaient alors fui le pays à bord de la frégate Garibaldi. Et plus tard, lors de l’Affaire Dreyfus, « les passions se sont déchaînées avec autant de violence, sinon plus, qu’en France, car les Tunisiens musulmans s’en sont mêlés et certains en en profité pour molester et piller des Juifs en toute impunité ». En témoigne une lettre en forme de supplique du grand-père, Ange Chemla, adressée à Georges Clemenceau et publiée dans le journal L’Aurore, missive où l’on peut lire : « Nous souffrons moralement le martyre ».
Plus tard encore, aux heures sombres de l’occupation allemande, le malheur s’abattra encore sur les Juifs : « Avant de quitter Sousse, Léon va retirer ses bijoux de la banque, car le bruit court que les coffres des Juifs vont être pillés…La Tunisie est encore épargnée par la guerre, mais la situation pour les Juifs est grave…Le 21 août 1941, Xavier Vallat, commissaire aux Questions juives, vient en visite en Tunisie et une série de décrets et d’arrêtés s’abat sur les Juifs ».
La Tunisie, en effet, on ne le sait pas souvent, a été occupée par les troupes allemandes de novembre 1942 à mai 1943. Six mois terribles sous la botte pour la communauté juive. Là encore, le témoignage de Gisèle Sarfati est essentiel : « Les Allemands appliquent en Tunisie la méthode de persécution établie par Heydrich lors de la campagne de Pologne en 1939. Ils imposent la création d’un conseil juif, chargé d’exécuter les mesures antijuives qu’ils ordonnent. Les plus beaux appartements, les plus belles villas sont réquisitionnés… ». « A Sousse, les rafles, les prises d’otages, les demandes de rançon, le travail obligatoire, l’ordre pour les Juifs de porter l’étoile jaune, la fuite de la population vers les villages environnants ».
Et, puis, le temps de souffler, vingt ans après la Guerre, que voilà venue la période de l’exil. Avec l’Indépendance du pays, les guerres israélo-arabes, l’Affaire de Bizerte, les nuages, les soucis et les tracas s’accumulent : « Déjà, depuis l’Indépendance, les Juifs de Tunisie quittaient le pays. Après Bizerte, l’exode s’intensifia. A cause des expulsions, des rumeurs antijuives, de l’interdiction pour les étudiants tunisiens, qu’ils fussent juifs ou musulmans, de voyager à l’étranger….il n’y avait plus d’avenir pour les Juifs en Tunisie ».
Souvent difficile, donc, cette vie juive en Tunisie à l’aube du 20ème siècle. Ponctuée, néanmoins, de périodes de bonheur simple et de vie familiale. La description minutieuse des mœurs de l’époque constitue un témoignage précieux sur des temps révolus. Qui se souvient encore des canouns et des darboukas, des délicieuses nikitouches, du malouf et des conteurs fdaouis, des calèches et du hammam ? Ou encore des paroles de la chanson « Khamous Jana », véritable tube créé à la Libération ?
A travers l’histoire intimiste de sa propre famille, Gisèle Sarfati remonte le temps pour notre plus grand plaisir. Très sympathique.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Plumes cerfs volants. 2006. 224 pages. 20€