Blog du Crif - Disparition d’un héros français : Michel Bacos, le commandant de l’Airbus détourné sur Entebbe

29 Mars 2019 | 753 vue(s)
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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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La France vient de perdre un de ses héros, les Juifs viennent de perdre un Juste.

Le commandant Michel Bacos avait fait le choix de rester avec ses passagers, juifs, otages des terroristes allemands et palestiniens. Tout l’équipage de cet avion d’Air France, détourné cet été 1976 ves l’Ouganda, avait fait de même. Tous sont restés aux côtés de leurs passagers alors que tous savaient que ce choix risquait de leur couter la vie. Sans hésiter et sans le savoir, tous ont porté l’étoffe des héros.

Des Justes parmi les Nations

Sont désignés comme Justes des Nations, ceux qui, non-juifs, ont protégé, au péril de leur vie, des Juifs traqués sous Vichy ou le nazisme, durant la seconde guerre mondiale. Cette définition aurait du être élargie pour ces femmes et ces hommes, engagés par hasard dans cette semaine dramatique de juin-juillet 1976. Après avoir fait un tri entre les passagers, séparant les otages israéliens et juifs des autres passagers, les terroristes avaient décidé de libérer les otages non juifs et non israéliens. Aucun membre de l’équipage n’était juif et aucun n’a accepté cette possibilité de retrouver leur liberté alors que Wilfrid Böese et Brigitte Khulman, les deux terroristes allemands, leur avaient promis la mort en cas d’attaque pour libérer les otages.

Cette semaine l’été 1976 contient tous les germes du temps présent. Tout y est : la violence terroriste, l’alibi progressiste de cette violence, les gestes antisémites des terroristes, le courage de l’équipage, la solitude d’Israël, la couardise des nations, l’audace de l’attaque israélienne, les réactions à cette intervention, les masques de la bonne conscience . Cette affaire d’Entebbe est exemplaire à plus d’un titre : bien sur il y a l’exploit militaire de l’intervention israélienne mais il y a surtout les autres parts réelles et symboliques de cette pièce : la leçon de choses qu’elle donne est emblématique d’un combat pour la liberté contre le fascisme contemporain fût-il grimé des oripeaux de la Révolution au service des déshérités.

Le commandant Michel Bacos, ancien des Forces Françaises Libres, fait le choix de rester avec ses passagers, avec les passagers juifs restants que le commando a gardés. Tout l’équipage a partagé la décision de son commandant qui veillera jusqu’au bout à ce que tous les otages soient bien embarqués dans les avions israéliens venus les secourir. Au cours de l’assaut du commando israélien, Michel Bacos criera à ses passagers : « couchez vous, ce sont les israéliens qui attaquent… » Plus tard un journaliste lui posera cette question « comment aviez vous deviné que c’étaient des soldats israéliens ? » et Michel Bacos  eut cette extraordinaire réponse : « mais qui d’autre auriez vous voulu que cela fut ?»

L’époque des impostures

Depuis le spectaculaire attentat aux jeux olympiques de Münich en 1972, la Palestine a envahi l’espace de l’imaginaire révolutionnaire. Après l’Algérie, Cuba et le Viet Nam, la cause des causes porte le keffieh. Arafat s’était substitué à Guevara pour une longue marche sanglante vers l’avenir radieux des masses opprimées. Peu importait si le massacre en 1974 d’écoliers israéliens à Maalot en était le prix : la fin justifiait des moyens auxquels les intellectuels gauchistes de l’époque trouvaient des vertus émancipatrices. Par la seule magie de son sigle, le FDPLP (qui avait donc ajouté le D de démocratique à ses initiales) trouvait grâce aux yeux de la LCR… C’est donc nourri de ces idéaux que ce commando transnational va opérer. La nouveauté réside dans le partage des tâches à l’intérieur même du groupe.

Ce sont les palestiniens avec la complicité des allemands qui vont trier dans les passagers otages à Entebbe. Wilfried Boese et sa complice Brigitte Kuhlmann sont issus de la génération allemande née après guerre. Ils prétendent être anti fascistes, anti-impérialistes, anti nazis, mais ils vont symboliquement reconduire les gestes du nazisme, de la génération d’avant, de cette dont ils se veulent la rédemption. Pour de vieux otages juifs à l’avant bras tatoué, c’est un cauchemar déjà vécu qui refait surface.  La rédemption du geste nazi s’incarne dans son décalque révolutionnaire.

C’est tout le rapport dévoyé à la mémoire du fascisme de la génération européenne de l’après guerre qui s’exprime dans ce geste. Les gauchismes nés de L’Allemagne post nazie, du Japon post impérial ou de l’Italie post fasciste prétendent se libérer de la faute de la génération d’avant, de leurs parents. Dans une dialectique folle, ils reconduisent symboliquement les mêmes gestes : ils vont tous avoir pour cible privilégiée les victimes du fascisme et du nazisme : à Lod, en 1972, à l’aérodrome de Tel Aviv, ce sont des japonais de l’Armée Rouge Japonaise qui ont massacré au nom de la Révolution mondiale. Le choix de l’Ouganda d’Amin Dada comme lieu refuge pour le commando palestino allemand ajoute à la confusion symbolique. Amin Dada est un dictateur délirant, devenu un admirateur d’Hitler après avoir été un allié d’Israël. Sa brutalité inculte, son délire n’ont pas découragé les gauchistes ni les commentateurs de l’époque déplorant qu’Israël soit intervenu comme un colonialiste humiliant un pauvre africain noir.

Ce renversement symbolique de la cible ne fait pas problème pur ces supposés antifascistes. S’attaquer aux cibles juives labélisées « sionistes » est un geste progressiste dans les années 70, puisque les palestiniens sont considérés comme les nouveaux juifs et que le nouvel Hitler se nomme Israël. On pourra mesurer le succès ultérieur de cette mise en équivalence née dans les années rouges. Cette équation se déclinera avec le succès que l’on sait dans les années 2000, quand à la conférence de l’ONU de Durban, c’est au nom des droits de l’homme et de l’antiracisme que s’exprime la haine des juifs. On mesure aujourd’hui l’effet de ces dérives quand de nombreux fins esprits s’acharnent à distinguer l’antisionisme de l’antisémitisme.

La liberté a un prix

La décision de mener une action de force pour libérer les otages fut un choix politique d’une audace inouïe et d’une incroyable prise de risques. La complexité tactique de l’opération (la distance à parcourir, les risques sur place en Ouganda) donnait à sa réussite un pourcentage de chance réussite réduit. Cette action est exemplaire à plusieurs titres : celui du courage, celui de la solitude, celui de la solidarité d’un peuple qui ne compte que sur lui même. Loin d’être une action réduite à sa performance technique, l’opération est exemplaire pour les conditions psychologiques et culturelles qui lui ont permis de réussir. Elle est aussi humiliante pour ceux  qui ont fait la fine bouche sur son succès : la diplomatie française.

L’action militaire israélienne n’aura coûté qu’une seule vie aux soldats de Tsahal. Le chef opérationnel de la force d’intervention, le colonel Yonathan Netanyahu,  soldat d’élite et philosophe à la fois. La lecture de ses lettres met en valeur cette qualité particulière de ces hommes nourris d’un idéal spirituel éloigné de tout fanatisme. Cet intellectuel puise sa force dans autre chose que la force. On est bien loin des clichés militaristes. Jonathan Netanyahu est autant un soldat de l’An deux qu’un cadet de Saumur ou qu’un de ceux de l’Affiche rouge. Mais qui peut entendre cela aujourd’hui ?

La couardise comme choix diplomatique

Dans l’affaire d’Entebbe quelle va être l’attitude de la France ? N’était-ce pas à la France d’intervenir militairement ? En a –t-elle eu le projet ?

Il s’agissait d’un avion français, d’un équipage français, pour partie de passagers français. Le président de la République est Valery Giscard d’Estaing, son Premier Ministre est Jacques Chirac, son Ministre des Affaires étrangères, Jean Sauvagnargues a rencontré en 1975 Yasser Arafat et lui a trouvé bien du charme.

Si l’Elysée se réjouit de la libération des otages (sans nommer leur libérateur ni même le remercier) la seule réaction où le nom « Israël » est prononcé vient du Quai d’Orsay qui déplore le viol par Israël de la souveraineté de l’Ouganda ! Même si le temps a passé, on ne peut que rétrospectivement prendre la mesure de ces choix diplomatiques, de ces choix politiques hasardeux (équipement nucléaire de l’Irak de Saddam Hussein, la présence de Jacques Chirac aux funérailles de Hafez el Assad, alors que l’ambassadeur de France au Liban, Louis Delamarre,  fut assassiné par les services secrets syriens) autant que cette caution donnée à la part régressive du monde arabe sous couvert de justice pour les palestiniens.

Depuis novembre 1967, « la politique arabe de la France » constitue l’axiome de la diplomatie proche orientale du Quai d’Orsay: le temps du « Israël, notre ami, notre allié » (de De Gaulle à Ben Gourion) est bien révolu. Cette réorientation stratégique, apparaît désormais solidement établie au nom de ce qui est estimé correspondre à l’intérêt du pays : besoins en pétrole et des débouchés économiques pour l’hexagone. Trois ans après le choc pétrolier de la guerre du Kippour (1973) il ne s’agissait surtout pas d’alourdir la facture par des gestes inconsidérés. De Pompidou à Giscard  l’empathie pour Israël n’est plus de mise. Le Quai d’Orsay sous Raymond Barre, ne trouvait rien à redire au boycott arabe et au mieux la France s’abstenait pour nombre de résolutions d’organisations internationales de l’ONU, de l’UNESCO, de l’OMS accablant Israël.

Les réactions à cette affaire : tous les germes du temps présent

A l’ONU, le secrétaire général de l’organisation sensée rassembler les Etats du monde, condamne l’intervention israélienne pour avoir violé la souveraineté d’un Etat.  Kurt Waldheim est un ancien nazi. Un an après la résolution de l’Onu assimilant le sionisme au racisme, il y a des constantes qui sont des signatures.

En Israël c’est l’euphorie d’un pays tout entier à la joie d’avoir vaincu l’adversité. Ce qui semblait impossible a été rendu possible grâce à l’audace et au courage. Israël est resté fidèle à sa formule matricielle : « ein brera », « il n’y a pas le choix ». En Occident, les réactions dépendent des inclinations idéologiques de chacun. Le 4 juillet Libération affiche ce titre : « championnat du terrorisme, Israël en tête » avec un éditorial de Serge July  dénonçant « le temps des hypocrites » et l’action néo coloniale contre un Ouganda souverain.

L’histoire continue… mais l’affaire d’Entebbe, la libération des otages, l’attitude exemplaire de l’équipage de l’Airbus, demeure comme un exemple d’énergie et de courage pour les nations, pour celles qui ne démissionnent pas devant le crime. Michel Bacos, comme le colonel Beltrame demeurent des héros pour ces temps de brouillard et de confusion. La liberté a un prix : celui de la vie des héros.

Jacques Tarnero