Gérard Fellous

Expert et consultant auprès des Nations Unies et de l'EU

L’islamophobie est-elle reconnue comme un racisme, au même titre que l’antisémitisme ?

03 Février 2015 | 1675 vue(s)
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France

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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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Est-il pertinent de mettre en parallèle “antisémitisme” et “islamophobie”?
Non, cinq fois non:  Ni sémantiquement , ni historiquement,  ni sociologiquement, ni politiquement et encore moins juridiquement, ces deux termes et les deux concepts qu’ils sous-tendent, ne sont de même nature. Il serait non seulement faux, mais aussi dangereux pour tous, de les mettre en regard sur un même plan.

Le terme « islamophobie » est apparu pour la première fois sur la scène internationale  au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. Il était lancé par l’Iran à destination du monde occidental pour qualifier une vague de réprobation qui ne s’était pas encore manifestée. En liant volontairement une manifestation de « terrorisme » et une conséquence sur «l’islam », Téhéran tentait une manipulation à triple détente : Laisser croire que la profonde émotion collective qu’allait exprimer l’Occident face à ces attentats couvrait en réalité une volonté de mettre au ban des Nations une religion, ainsi que le souligne Alain Gresh ( dans « Islamophobie », Le Monde diplomatique, novembre 2001).  

La deuxième était de créer dans l’esprit des musulmans de la diaspora un sentiment de victimisation les distinguant de l’ensemble de la Nation dont ils devraient se séparer. Enfin, en tissant  un lien de causalité entre terrorisme et islam, l’Iran chiite des Mollahs se présentait comme le seul défenseur de l’Islam, en une tentative qui fut prolongée dans les instances internationales, celle d’obtenir une définition juridique internationale du « terrorisme », qui puisse distinguer une sorte de « bon terrorisme », ou de « terrorisme admissible », à la disposition d’un peuple ou d’une religion se sentant agressés.

Cette mécanique de propagande et de manipulation initiée par l’Iran est actuellement reprise par les djihadistes sunnites, particulièrement par l’Etat islamique-Daech qui pratique la terreur au nom de l’islam.

 Dans une offensive sémantique, les défenseurs de l’islam indifférencié, particulièrement en France, ont tenté de substituer au racisme anti-arabe ou anti-maghrébin, jusque-là pris en compte dans les documents officiels,  dans l’opinion publique, et les médias, un supposé phénomène nouveau de dénonciation de l’islam, l’islamophobie. Cet argumentaire a ainsi permis de mener campagne contre l’interdiction du port de la burqa dans l’espace public ou du voile islamique dans l’école, et par conséquent de porter atteinte à la laïcité.

En même temps que l’apparition de cette terminologie problématique, la France, pays européen qui accueille la plus forte population d’origine musulmane, où se sont développés parallèlement des débats politiques sur  l’identité nationale et qui enregistre régulièrement des statistiques d’actes racistes et xénophobes, constate une poussée des revendications religieuses, particulièrement de la part de musulmans.

Ceux qui veulent promouvoir le terme « islamophobie » militent pour une nouvelle désignation de phénomènes antérieurs  tels que « arabophobie » ou « racisme anti-maghrébin », ou « racisme anti-immigrés », en laissant entendre que ces attitudes agressives vont au-delà des immigrés, victimes maghrébines ou arabes, pour toucher des personnes (africaines, turques, pakistanaises etc…) de confession musulmane, ce qui n’est nullement vérifié.

Ils l’étendent pour la première fois à une discrimination envers une religion, l’islam, ce qui n’est nullement le cas pour l’antisémitisme qui est une ségrégation racialiste, et non pas un rejet des textes sacrés de cette foi, par ailleurs reconnue et respectée par les autres monothéismes, « religions du Livre ».

Ainsi que le soulignait la CNCDH il y a plus de dix ans, « l’islamophobie ne serait alors qu’un nouveau processus de légitimation de l’ethnicisassions de l’autre, de son altérité. Et ce alors que la population supposée musulmane, ou d’origine maghrébine, ou étrangère est pour une grande part intégrée au point de partager les mêmes écoles, les mêmes pratiques sociales ou de connaitre un nombre d’unions « mixtes » important, ainsi que le souligne Emmanuel Todd (Le Destin des immigrés, Le Seuil, 1997). Pour autant, il existe bien une relation complexe, qu’on ne peut ignorer, entre origine ethnique/religion/ intégration/ laïcité/lutte contre les discriminations/ exclusion sociale.

Ainsi qu’on le voit actuellement par exemple de la part de salafistes, il est incontestable que des courants intégristes  islamistes tentent d’obtenir la requalification du racisme anti-maghrébin en « islamophobie » pour mieux tirer bénéfice des frustrations, de la crise économique,  en jouant sur des réflexes de replis identitaires religieux  d’une certaine partie de la population d’origine maghrébine et de faire du religieux le critère absolu de différenciation.

Une définition impossible ?

Une tentative de définition lexicale de « l’islamophobie » apparait pour la première fois en 2005 dans le dictionnaire Le Petit Robert (édition 2006)  comme étant : « Une forme particulière de racisme dirigé contre l’islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés magrébins ». Le Petit Larousse (édition 2004) ignorait totalement le terme.

Dans les instances internationales, le Conseil de l’Europe s’essai en 2004 à une définition lors d’un colloque tenu à Budapest sur le thème : « L’islamophobie et ses conséquences pour les jeunes ». Il proposait : « L’islamophobie est la peur, ou une vision altérée dans des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport (…) Quelle se traduise par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestations plus violentes, l’islamophobie est une violation des Droits de l’homme et une menace pour la cohésion sociale ».

Aux Nations Unies, l’Organisation de la conférence islamique (OCI- 57 Etats membres)  a tenté, sans succès jusque-là, d’introduire en droit international un délit de « diffamation des religions », assimilant toute critique de l’islam à un « blasphème », sous couvert d’une « lutte contre l’islamophobie ».

Etymologiquement on pourrait définir « l’islamophobie » comme étant la peur irraisonnée et le rejet global de l’islam « à la fois religion, mode de vie, projet communautaire et culture », ainsi que le précise Michel Reeber (L’islam, Milan, Toulouse 1995).

Peut-on distinguer des actes « purement islamophobes » ?

Selon les services de police et les associations antiracistes, l’auteur de violence ou de menace envers un Maghrébin  n’identifie pas celui-ci à une religion, mais à un étranger, d’où une attitude raciste, ou xénophobe lorsque l’identification se fait au faciès. A l’école, dans la majorité des cas, les heurts entre groupes relèvent plus de phénomènes de bandes de quartiers ou d’immeuble. Pour certains jeunes qui se disent victimes, il s’agirait d’une justification de leur échec ou difficultés scolaires, ou même de frustrations.

Un terme non reconnu officiellement

Alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Manuel Valls déclarait (Nouvel Observateur ; juillet 2013) qu’il se refusait d’utiliser le terme « islamophobie », favorisant l’usage de l’expression « racisme antimusulmans ».

Dans l’ensemble de ses rapports annuels sur « la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auprès du Premier ministre, n’a jamais utilisé le terme « islamophobie »,  tant dans les statistiques, que dans les sondages d’opinion ou les analyses sociologiques. Elle utilise les termes : « l’intolérance anti-islam », ou « l’aversion pour l’islam » dans ses études qualitatives (sondages).

 Dans les statistiques  annuelles, elle met en regard de l’antisémitisme, la catégorie des « actes et menaces à caractère raciste antimusulmans ». Dans toutes les statistiques émanant tant du ministère de l’Intérieur, que du ministère de la Justice pour ce qui concerne les poursuites et les condamnations, ou  du ministère de l’Education nationale, n’apparait jamais une catégorie « islamophobie ». C’est dans l’ensemble : »racisme et xénophobie » qu’apparait le « racisme antimusulmans », ou le « racisme contre les immigrés ». Quant aux condamnations judiciaires  elles sont prononcées génériquement sur la base du racisme  ou des discriminations « …à raison de la religion », sans distinction. Le droit français ne mentionne jamais « l’islamophobie ».

Quant à l’origine des statistiques détaillant les menaces et violences racistes de toutes natures, elles  sont établies et validées  par les services du ministère de l’Intérieur, sur rapports des services de police. Elles sont ensuite relayées par les différentes communautés intéressées :

Pour l’antisémitisme, c’est le Service de protection de la communauté juive (SPCJ), soutenu par les institutions officielles de cette communauté (CRIIF, Consistoire central et FSJU), qui coopère avec le ministère de l’Intérieur, reçoit ces chiffres officiels et propose ses commentaires.

Pour les musulmans de France, deux organismes concurrents jouent ce rôle : L’Observatoire national contre l’islamophobie (ONCI) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Les définitions de « l’islamophobie » et ses évaluations diffèrent légèrement entre ces deux organismes issus d’horizons différents : Pour l’ONCI qui est une émanation du Conseil français du culte musulman (CFCM), représentant officiel de cette communauté, ce sont les définitions et chiffrages du ministère de l’Intérieur qui font foi.

Pour le CCIF, l’islamophobie couvre les discriminations et violences « en raison de l’appartenance réelle ou supposée à l’islam », incitant « à l’hostilité et au rejet des musulmans ». Pour Marwan Muhammad, son représentant, le terrorisme ou le djihadisme n’ont rien à voir avec l’islam. Sa préoccupation première est le soutien à « la cause palestinienne ».

Quelles que soient le contenu donné à l’islamophobie, il  s’agit pour l’une et l’autre organisation d’une hostilité vis-à-vis de personnes de confession musulmane, mais il n’est jamais question de « critique de l’islam ».

Il n’en demeure pas moins que ces deux organisations présentent des statistiques différentes. Ainsi, en 2013, le CCIF annonçait 691 actes « islamophobes » sur l’ensemble du territoire, alors que l’Observatoire en recensait 226.

La situation française

Il n’empêche que c’est bien l’islam-religion qui est visé lors de diffusion de tracts antimusulmans provenant de la mouvance d’Extrême-droite, de tentatives d’incendie ou de graffitis visant des lieux de culte, de destruction de sépultures, de violence verbales ou physiques contre des imams.

Pour Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM) : La France n’est pas globalement hostile à l’islam. Il s’agit surtout d’ « islamistophobie », c’est à dire d’un rejet des « islamistes radicaux. Et il est légitime de se méfier de la politisation de l’islam. » C’est justement cette confusion entre religion révélée et politiques publiques qui est aujourd’hui prônée par le djihadisme de Daech qui imposent que c’est la charia qui est la Loi de la cité.

Le Dr. Boubakeur précise bien : « Ce qui différencie l’islam de l’islamisme, c’est justement le refus de toute implication dans le monde politique. Le rôle de l’islam n’est pas de répondre aux problèmes sociaux et économiques. La religion fait partie d’une autre sphère et ceux qui veulent trouver des solutions à partir des textes religieux, à partir des problèmes actuels-même identitaires- font fausse route et sont dangereux ». Pour le président du CFCM : « Ce type d’attitudes aboutit à terme au communautarisme car il entraine des replis identitaires contraires à notre esprit d’intégration et favorise l’instauration de petits pouvoirs intra-communautaires » (audition devant la CNCDH, le 6 novembre 2003). Si cette prise de position du représentant officiel de l’islam en France reste valable dix ans plus tard, il n’en demeure pas moins vrai que l’opinion publique et certaines franges de l’échiquier politique national  font une confusion entre musulman/ fondamentaliste/islamiste/terroriste amalgame qui s’est justement propagé depuis 2001.

Dans un pays fortement sécularisé comme la France, dans cette République laïque, l’islam, bien que connu depuis longtemps, aujourd’hui démographiquement évalué comme la deuxième religion du pays est toujours frappé d’une triple suspicion, en tant que religion des ex-colonies, que religion porteuse de terrorisme, et que « religion combattante et conquérante –Djihad ». Aussi est-il aisé pour certains d’utiliser cette hostilité polymorphe  pour parvenir, à travers le nouveau terme d’ « islamophobie », à une instrumentalisation politique.

Tant que l’islam-religion n’aura pas procédé lui-même à son aggiornamento, comme le judaïsme et le christianisme le firent en leurs temps pour se réformer et se modérer, il conservera ses réflexes originels remontant du VIIe siècle,  comme on le vit lors du massacre de Charlie Hebdo. En particulier, il ne supportera pas un regard extérieur, même non-critique du fait qu’il est né et s’est développé en terre de conquête, en voulant ignorer qu’il puisse s’installer en diaspora avec un statut de minoritaire.

Aujourd’hui en France, à la recherche d’une existence et d’une représentativité en terre non-islamique, bien des musulmans croient devoir s’inspirer du judaïsme, même négativement, en dénonçant un « deux-poids-deux-mesures ». Cette inspiration véhicule, peut-être sans le vouloir, des stéréotypes antisémites :-«Les  juifs sont tout-puissants (par leurs richesses et leur influence),  alors il faut les imiter » ou les dénoncer comme étant à l’origine du « complot » -« Ils  bénéficient de privilèges du fait qu’ils ont subi la Shoa » ; d’où l’invocation de l’ « islamophobie », mauvais équivalent de l’antisémitisme. Il n’en demeure pas moins que nombre d’entre eux sont victimes de racisme.

Gérard FELLOUS 

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