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Publié le 9 Avril 2024

Crif - Commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée nationale : 3 questions à Isabelle Rauch

Lundi 25 mars, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, présidée par Isabelle Rauch, auditionnait quatre représentants universitaires dans le cadre d’une table ronde sur les actes antisémites dans les établissements d’enseignement supérieur, à la suite des incidents ayant eu lieu à Sciences Po quelques jours auparavant. Dans ce contexte, le Crif a souhaité interroger Isabelle Rauch pour connaître son regard sur ces événements.

Le Crif : Le 12 mars dernier, un amphithéâtre de Sciences Po a été pris d’assaut par des militants pro-palestiniens, ce qui a donné lieu à de graves débordements. Que traduit selon vous cet événement ?

Isabelle Rauch : L’épisode qui s’est déroulé le 12 mars dernier à Sciences Po, dans le contexte d’une journée européenne de mobilisation universitaire en soutien à la Palestine, constitue un grave débordement et un trouble majeur à la sérénité de l’établissement. Envahir un amphithéâtre et empêcher la tenue d’un cours est grave, quelle que soit la cause qui motive cette action. Surtout, il semblerait que cet évènement ait donné lieu à plusieurs incidents à caractère antisioniste, voire antisémite. Il faut que la réaction de l’établissement soit à la hauteur de la gravité des faits qui semblent s’être déroulés. Plus largement, je suis très attentive à la crispation qui se développe sur le sujet du conflit entre Israël et le Hamas dans nos établissements d’enseignement supérieur, où les actions militantes prennent le pas sur la controverse scientifique et le débat démocratique. Même si des temps d’échange sont souvent organisés par les établissements (et à Sciences Po la veille même des incidents du 12 mars), les étudiants qui militent publiquement sont peu enclins à se rendre à ces temps d’échange. Cette rupture du dialogue m’inquiète tout particulièrement : on ne peut pas accepter que notre jeunesse fasse l’impasse sur le dialogue. Les évènements qui se déroulent à Gaza et les mobilisations militantes qui les dénoncent créent un climat de tension pour les élèves de confession juive, qui sont nombreux à nous faire part de leur mal-être. Très souvent, ils sont tenus comptables de la politique du gouvernement israélien, au seul motif de leur appartenance religieuse ou de leur soutien présumé à l’État d’Israël. Cette confusion entre le sionisme, qui n’est rien d’autre que le combat pour l’existence d’un État israélien, et le soutien au gouvernement de Benyamin Netanyahou, n’est pas acceptable. Elle témoigne au mieux d’une méconnaissance profonde du sujet, au pire d’une intention délibérée et inacceptable.

 

Le Crif : En réaction à cette affaire, vous avez initié l’organisation d’une table ronde afin d’auditionner les représentants des universités françaises, sur le modèle de ce qui a été effectué aux États-Unis peu après le 7 octobre. Comment les responsables entendus perçoivent-ils le problème ?

Isabelle Rauch : Les quatre représentants des universités et des grandes écoles auditionnés ont pris la mesure du phénomène et ont parlé d’une seule voix face à l’antisémitisme dans les universités. Ils nous ont communiqué des données précises sur la recrudescence des actes antisémites dans les murs de leurs établissements, faisant état d’une préoccupante multiplication par deux depuis l’attaque du 7 octobre (à mettre en regard d’une multiplication par quatre à l’échelle nationale). Je m’associe à leur condamnation unanime des actes antisémites et de toute forme de discrimination dans des lieux dont la fonction première est de créer le savoir et d’organiser le débat des idées et la controverse. Pour endiguer ce phénomène, ils nous ont présenté l’ampleur de l’arsenal disciplinaire et juridique à leur disposition, dont ils disent faire usage aussi souvent que c’est nécessaire. Des mesures disciplinaires, administratives ou judiciaires peuvent donc être prononcées à l’encontre de ceux qui se livrent à des actes antisémites ou discriminatoires. 

 

Le Crif : Au terme de cette audition, l’arsenal dont disposent les universités semble-t-il suffisant pour traiter des questions d’antisémitisme au sein des établissements ? Quelles sont les améliorations possibles ?

Isabelle Rauch : Au vu des actes, la priorité est de refaire un rappel à la loi clair et explicite. L’antisémitisme est puni en France, et la loi ne s’arrête pas aux portes des universités. Se livrer à des actes de cette nature implique des sanctions. Il est important de rappeler aujourd’hui ces éléments dans les universités : comme toutes les discriminations, l’antisémitisme est un délit. Néanmoins, il faut sortir de la logique de l’instantané : nous avons l’impression que l’antisémitisme rejaillit de temps en temps, or il faut prendre du recul pour appréhender le phénomène global. À chaque fois, qu’il s’agisse de tags antisémites, de l’envahissement d’un amphithéâtre ou de violences physiques comme il a pu s’en produire à Strasbourg, nous assistons à des actes d’une grande gravité commis par une minorité agissante. L’essentiel est que les ressorts rhétoriques sur lesquels ils s’appuient, comme l’assimilation de tous les étudiants juifs à des soutiens de Netanyahou, ne fonctionnent plus. Il faut mettre à nu ces impostures et ce que ces amalgames ont de faux ou de dangereux. L’enjeu majeur, en termes de prévention, passe donc par un important travail de définition sur les termes les plus polémiques : sionisme, génocide, occupation, apartheid… Cela passe par le débat vertical (avec des conférenciers) mais aussi par le débat horizontal (entre étudiants). Pour que ce dernier puisse avoir lieu, l’université doit promouvoir les échanges et rééquilibrer les situations lorsque l’expression d’une opinion ne parvient pas à se déployer. Enfin, il ne faut pas négliger le volet répressif : si les chefs d’établissement nous disent faire usage de l’article 40, ils sont trop rarement mis au courant du déroulement des poursuites et des enquêtes, ce qui affaiblit la portée de telles sanctions sur l’ensemble du groupe. Si on veut réprimer intelligemment, il est impératif de créer du lien et de la coordination entre l’institution académique et l’institution judiciaire.

 

 

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