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Publié le 19 Novembre 2021

France - Dans la revue "Cités", les ressorts d’un antisémitisme en constante mutation

Dans un dossier sur les nouvelles formes de la haine des juifs, le dernier numéro de « Cités » s’intéresse notamment à « l’antisémitisme secondaire », cette judéophobie de l’après-Shoah visant à relativiser le génocide, voire à le nier, et tendant à renverser les rôles entre bourreaux et victimes.

Publié le 19 novembre dans Le Monde

La revue des revues. La précampagne présidentielle voit un candidat putatif multiplier les déclarations contre les juifs, nier la complicité de la France dans la Shoah et attaquer une famille juive victime d’un terroriste islamiste et antisémite. Au cours de l’été, des opposants au passe sanitaire avaient déjà repris des slogans antijuifs et épinglé une étoile jaune à leur chemise. Dans ce contexte, on comprend les raisons qui amènent la revue Cités à intituler son dernier numéro « L’antisémitisme : permanence et métamorphoses ».

Le directeur de cette publication, le philosophe Yves Charles Zarka, le note dans son éditorial, les manifestations de l’été dernier « attestent que l’inhibition de l’antisémitisme qui avait suivi la Shoah s’est dissoute et a quasiment disparu ». Pire, relève dans sa note d’introduction la philosophe Avishag Zafrani, qui a coordonné le dossier, « l’antisémitisme non seulement contient des éléments primitifs qui résistent à sa déconstruction, mais surtout l’antisémitisme puise dans ses critiques pour renaître sous une nouvelle forme. »

Un concept méconnu

A ce sujet, la contribution de l’historien et germaniste Bruno Quélennec est particulièrement éclairante. Il s’intéresse à un concept méconnu en France, mais employé par la recherche allemande : « l’antisémitisme secondaire ». Il sert à désigner une judéophobie de l’après-Shoah : certains esprits habités par un sentiment de culpabilité revanchard se refusent « à reconnaître toute forme de responsabilité collective pour la Shoah, par la négation ou la relativisation de l’extermination, par un rejet de sa commémoration, et par une tendance à renverser le rôle de bourreaux et de victimes ». Ce concept, défini dans le cadre allemand, peut-il être appliqué au cas français ?

L’irruption d’Eric Zemmour dans le débat public change les choses. Un antisémitisme secondaire s’installe, ne reposant non pas sur le négationnisme mais sur le révisionnisme, en vue de disculper la France. Le polémiste tente par exemple de rapprocher le plus possible Pétain et de Gaulle, présentant le maréchal comme « vichysto-résistant ». Il prétend en outre que les « Israélites français » partageraient une forme de coresponsabilité dans la persécution des juifs étrangers, le président du consistoire Jacques Heilbronner les considérant comme une menace. Ce qui est faux.

Pour autant, Bruno Quélennec met en garde le lecteur : la recherche doit bien définir ce qu’est l’antisémitisme secondaire et ne pas utiliser ce concept à tout-va. Pour lui, il ne peut s’appliquer qu’à ceux qui s’identifient d’une façon ou d’une autre au « collectif criminel », généralement à l’extrême droite.

Cités, « L’antisémitisme : permanence et métamorphose », n° 87, 2021, Presses universitaires de France, 258 pages, 18 euros

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