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Publié le 15 Mars 2022

Interview Crif - "Toulouse : 19 mars 2012. L’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu"

Il y a 10 ans, le lundi 19 mars 2012, Jonathan, Arieh, Gabriel et Myriam étaient assassinés, parce que Juifs, devant l'école Ozar Hatorah de Toulouse. Dans un livre paru mi-février, Jonathan Chetrit, ancien élève interne du collège-lycée Ozar Hatorah, raconte l’horreur du 19 mars 2012, de l’intérieur. Entretien avec Jonathan Chetrit.

Propos recueillis par Johana M.

Construit autour des témoignages d’anciens élèves, de parents d’élèves mais aussi de professeurs de l’école, l’ouvrage revient sur l’irruption du terroriste dans l’établissement, mais aussi toutes les conséquences que cette tragédie sans précédent a provoquée, pour les familles des victimes, les témoins présents, et à plus grande échelle, pour la communauté juive de Toulouse.

Ce recueil de témoignages se veut aussi hommage : Hommage aux victimes. Pour qu’on ne les oublie pas, jamais. Et pour continuer à avancer tout en chérissant leurs mémoires.

Rencontre avec Jonathan Chetrit, l’ancien élève derrière le projet de ce livre.

Les bénéfices du livre sont reversés à deux associations. 50% sont reversés à l’association de l’école Ozar Hatorah devenue Ohr Torah, et 50% sont reversés à l’association Beth Sandler, créée par Eva Sandler.

 

Le Crif : Comment vous est venu l’idée de ce livre-témoignage ?

Jonathan Chetrit : J’ai toujours ressenti le besoin d’écrire à ce sujet-là. Très vite après l’attentat, j’ai commencé à coucher sur le papier les évènements tels que je les avais vécus, mes émotions et mon ressenti. Certains des avocats des parties civiles ont également encouragé les témoins de l’attentat à le faire. Lorsque je me suis lancé dans la rédaction, cette démarche a eu un écho particulier en moi. J’ai senti que cela m’était bénéfique.

J’ai aussi eu l’intime conviction que c’était la chose à faire, que cela serait utile à l’avenir. La mémoire n’est pas infaillible. On a tendance à oublier certains détails. J’ai ressenti le besoin de figer les choses, alors qu’elles étaient encore récentes. J’ai écrit pour ne pas oublier.

Avec le temps, cette retranscription a commencé à prendre forme. J’ai travaillé mon témoignage. J’y ai ajouté les évènements qui se sont produits lors du premier procès en 2017, puis du second procès en appel en 2019.

Un jour, je me suis dit que raconter mon histoire n’était pas suffisant. Qu’il ne s’agissait là que d’un infime fragment de cette terrible journée.

Nous étions si nombreux, élèves, professeurs, parents d’élèves à avoir vécu les choses de l’intérieur, chacun de manière différente… Il fallait que je raconte notre histoire à tous. Chaque voix, chaque témoignage compte. Chaque histoire complète celle de l’autre. C’est l’union de nos voix, de nos récits-témoignages qui permet de reconstituer les évènements de cette fatale journée du 19 mars 2012.

Dans cette optique, j’ai lancé un appel sur un groupe Facebook regroupant les anciens élèves de l’école Ozar Hatorah à Toulouse, toutes générations confondues. J’ai invité tous ceux qui souhaitait livrer leur témoignage du jour de l’attentat à prendre contact avec moi car je me lançais dans la rédaction d’un ouvrage sur cette journée.

 

Le Crif : Pourquoi maintenant ?

Jonathan Chetrit : Tout d’abord, il a fallu du temps pour se reconstruire, pour se remettre du traumatisme… Et le chemin est encore long. Il y a beaucoup d’élèves qui n’acceptaient pas d’en parler avant. Je me suis rendu compte que le temps a aidé certains pour qui il est désormais plus facile d’aborder le sujet, bien que ce soit toujours douloureux.

Les procès ont aussi été une étape clé dans la libération de la parole, des élèves notamment. Certains ont accepté de témoigner au procès, alors qu’ils n’en avaient jamais parlé auparavant. Cela a été un premier pas vers la guérison.

2022 est aussi une année symbolique. L’attentat d’Ozar Hatorah de Toulouse, c’était il y a 10 ans.

Le temps a fait son œuvre, la justice également lors des procès. Cela me paraissait être un moment propice.

Par ailleurs, 10 ans plus tard, cet évènement tragique semble parfois oublié.

 

Le Crif : Quel est le sentiment, dans la communauté de Toulouse, vis-à-vis de ce livre ? Vous ont-ils soutenu dans votre démarche ?

Jonathan Chetrit : Dès l’appel lancé sur Facebook, j’ai reçu un accueil très favorable de la part des élèves. Rapidement, mon projet a pris forme.

Tous les élèves n’ont pas accepté de témoigner évidement. Certains élèves ne s’en sentaient pas le courage. Ils étaient souvent désolés, mais incapable d’en parler assez ouvertement pour témoigner. Tous avaient leur raison.
C’est encore compliqué et trop douloureux pour certains de mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu.

Ceux qui ont accepté en revanche, l’ont fait de manière spontanée et beaucoup ont accepté parce que j’étais à l’initiative de ce projet. J’étais là, tout comme eux ; je suis un ancien élève mais aussi leur ami.

Depuis la publication du livre, il y a près d’un mois, je n’ai eu que des retours incroyables. J’avais très peur… Ce n’est pas évident d’être celui qui vient ressasser le passé.

J’ai été très soutenu pendant la rédaction du livre, par les professeurs mais également par la direction de l’école. Rav Monsonego, et sa femme Yaffa, les parents de Myriam Monsonego, mais aussi Eva Sandler, veuve de Jonathan Sandler et maman d’Arié et Gabriel Sandler … ils m’ont réellement encouragé et soutenu.

J’avais néanmoins cette appréhension, après la lecture du livre, des retours difficiles. J’ai conscience que le livre n’est pas facile à lire. Certains moments sont particulièrement terribles. Mais je n’ai eu que des retours positifs.

Par respect pour les victimes et pour les familles, j’ai tout fait pour garder un ton juste.

 

Le Crif : Vous venez de les évoquer : Bryan Bijaoui, Rav Monsonego et sa femme Yaffa, Éva Sandler.  Ils sont au cœur de ce livre témoignage mais on ne les entend pas. Leur avez-vous proposé ?

Jonathan Chetrit : Oui je leur ai proposé, évidemment. J’ai essuyé des refus, totalement compréhensibles, mais j’ai eu leur soutien. Ce qui était très important pour moi.
Je leur ai dit que je ne publierai pas le livre sans leur accord.

 

Le Crif : Vous avez choisi de juxtaposer divers passages de témoignages recueillis, selon la chronologie des événements avec beaucoup de précisions. Il a dû être difficile de se replonger dans ces terribles souvenirs...

Jonathan Chetrit : J’ai fait en sorte que chaque témoignage qui est retranscrit dans le livre soit le plus fidèle à la réalité possible.

Le découpage a été plutôt simple en réalité. Il correspond, du moins avant l’heure de l’attentat, à l’emploi du temps type d’une matinée pour les internes. Les horaires sont aussi précis car nous avions encore tous en tête les heures précises qui entouraient le drame.

C’est toujours douloureux, très triste de se remémorer ces souvenirs, mais ils savaient pourquoi ils le faisaient. Pour certains c’était la première fois qu’ils se livraient avec autant de détails, qu’ils expliquaient comment ils s’étaient reconstruits, comment ils allaient 10 ans après.

Leurs retours me touchent particulièrement. Après la lecture du livre, certains élèves me remercient d’avoir pu témoigner de cette façon, mais également d’avoir correctement retranscrit leur témoignage, d’avoir respecté leur parole, leur ressenti. Cela m’émeut véritablement.

 

Le Crif :  Ce recueil ne se contente pas de revenir sur cette fatale journée du 19 mars 2012. Le procès y est aussi évoqué. Vous étiez partie civile au procès. Vous avez aussi assisté aux nombreuses audiences lors du premier procès et ensuite lors du procès en appel. Vous avez même témoigné au second procès. En quoi était-ce important pour vous d’en parler dans cet ouvrage ?

Jonathan Chetrit : Chacun avait en tête le fait qu’aller à ce procès constituait une étape de la reconstruction.

Mais dans l’ensemble, nous n’attendions rien de ce procès. Le mal était fait, les victimes nous avaient été enlevées…

Si j’y ai été, c’est dans une démarche complètement différente. Je faisais des études de droit, j’avais cette curiosité professionnelle. J’avais aussi et surtout besoin de comprendre la démarche du terroriste. J’étais curieux du cheminement psychologique et idéologique du tueur. Comment, à 24 ans, devient-on un homme qui va abattre des enfants ?

Je n’ai toujours pas compris.

Mais je comprends mieux l’environnement familial dans lequel il a grandi, cette haine ambiante dans laquelle il a évolué, et certains des facteurs qui ont pu le conduire à commettre ces atrocités.

Il y avait cette attente, attente de condamnation, ces interrogations et cet intérêt pour le procès, tout en étant détaché psychologiquement et moralement. Certains ne voulaient pas s’en mêler tout en espérant que la sanction sera à la hauteur des actes.

 

Le Crif : Finalement ce livre, c’est avant tout un hommage. La dernière partie de ce recueil insiste davantage sur cet aspect.  Quel message voulez-vous transmettre ?

Jonathan Chetrit : Je veux qu’on se souvienne du nom des victimes, qu’on se souvienne de qui elles étaient.

Qu’on se souvienne que le 19 mars 2012, Arié, Gabriel et Jonathan Sandler, Myriam Monsonego, tous ont été victimes du terrorisme islamiste.

Je veux qu’on se rappelle des victimes d’Ozar Hatorah mais aussi des militaires assassinés à Montauban et à Toulouse.

Je tenais particulièrement à intégrer des anecdotes dans le livre, des histoires sur Myriam, Arié, Gabriel, car selon moi, on se souvient plus facilement d’éléments anecdotiques, un peu marquants. C’est une façon de les faire connaître, de les humaniser.

Enfin, ce que j’ai voulu montrer c’est qu’on a voulu nous faire du mal, et qu’on nous en fait, énormément. Que ce fut dur, très dur même, mais que nous nous sommes tous relevés, ensemble.

Que nous nous sommes reconstruits plus forts, plus solidaires, plus unis … Des enfants de 12, 13, 15, ou encore 17 ans ont été traumatisés, et ils se sont relevés.

 

Le Crif : 10 ans après, comment va la communauté juive de Toulouse ? Comment vont les anciens élèves d’Ozar Hatorah ?

Jonathan Chetrit : Après les attentats, la communauté juive de Toulouse a connu de nombreux départs. Ces dernières années, la situation s’est stabilisée.

La communauté juive de Toulouse a été marquée, et elle le sera toujours, par cet attentat. Tous ont été très violemment touché par ce drame et le sont encore.

À l’approche de la commémoration des 10 ans, l’appréhension est présente. Chaque 19 mars c’est compliqué. Dès le début du mois de mars, on sent que ce jour approche. La journée est tellement triste, nous sommes tous affectés.

Et pour les 10 ans, c’est tout de même une date symbolique.

Enfin, notre reconstruction, on la doit beaucoup aux modèles que nous avons eu, Rav Monsonego, sa femme, Eva Sandler. Ils se sont eux-mêmes reconstruits avec tellement de courage, tellement de force, que nous avons puisé notre force en eux.

La solidarité entre nous a également été tellement forte, nous avons été présents les uns pour les autres, nous nous sommes soutenus à des moments difficiles et cela nous a permis de tenir, d’avancer.

CHETRIT-TOULOUSE-19-MARS-2012

"Toulouse, 19 mars 2012 : L'attentat de l'école Ozar HaTorah par ceux qui l'ont vécu"