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Publié le 6 Juillet 2023

Interview - Professeur Alexander Oscar, Président de la communauté juive de Bulgarie : Distorsions du récit de la Shoah en Bulgarie

Au moment où dans différents pays d’Europe centrale, on déplore un nombre croissant d’exemples de distorsions du récit de la Shoah, s’est tenu dimanche 25 juin un important colloque au Mémorial de la Shoah à Paris intitulé : Controverses mémorielles et renouveau historiographique. Colloque autour de la Bulgarie en présence notamment de la grande spécialiste de l’histoire contemporaine de ce pays, la professeure Nadège Ragaru et du Président de la communauté juive de Bulgarie, Shalom, le professeur neuro-ophtalmologue Alexander Oscar.

Michel Azaria : Où en est la communauté juive actuelle de Bulgarie ?

Professeur Alexander Oscar : Le renouveau de notre communauté date de 1990 après la chute du communisme. Nous devons notre renaissance aux contributions généreuses du Joint et de la Fondation Lauder. Aujourd’hui, nous sommes environ 6 000 dont 5 000 dans la capitale avec la deuxième plus grande synagogue sépharade en Europe après Amsterdam. Nous avons une crèche et une école juives pour 200 enfants et des plans pour une extension de capacité pour 1 000 enfants. Je veux souligner que les terrains ont été donnés par la municipalité de Sofia avec laquelle nous entretenons de très bonnes relations.

Nous sommes une communauté vibrante, attachée aux libertés, aux droits des minorités, nous sommes aux côtés des Ukrainiens et avons d’ailleurs accueilli dans notre école juive dix enfants ukrainiens.

 

« L’interprétation des évènements qui se sont déroulés en mars 1943 est aujourd’hui sujet à controverse et est utilisée par nos adversaires. »

 

Michel Azaria : Qu’en est-il du sauvetage des Juifs bulgares pendant la guerre ?

Professeur Alexander Oscar : Ceci s’est passé il y a 80 ans. L’interprétation des évènements qui se sont déroulés en mars 1943 est aujourd’hui sujet à controverse et est utilisée par nos adversaires.

Avant de rejoindre l’axe nazi, la Bulgarie a adopté une législation anti-juive très sévère puis, fin 1940, après avoir fait front commun avec les pays de l’Axe, les 50 000 citoyens juifs furent privés de leurs droits civiques et contraints de porter l’étoile jaune. En outre, 15 000 d’entre eux, âgés de 16 à 60 ans, furent envoyés dans des camps de travail.

La Bulgarie, alliée des nazis, fût autorisée à annexer des territoires en Macédoine du nord et en Grèce du nord, les administrant à sa guise, naturalisant les habitants à l’exception des Juifs.

Au début de 1943, suite à l’accord entre le Commissaire bulgare aux affaires juives Aleksandar Belev et l’envoyé de Berlin, récemment arrivé depuis Paris, Theodor Dannecker, les nazis, exigèrent la déportation de Juifs vers les camps de la mort se répartissant en 12 000 Juifs des territoires annexés et 8 000 Juifs de l’ancienne Bulgarie nécessaires pour atteindre un objectif de 20 000 Juifs.

Dès que les premières rafles furent menées, un mouvement d’opposition à la déportation des Juifs émergea. Dans le pays, des gens du peuple, des organisations professionnelles comme l’Union des écrivains ou l’Ordre des avocats mais, surtout l’ensemble des évêques de l’Église orthodoxe bulgare après une concertation de plusieurs jours s’opposa à la déportation des Juifs bulgares puis écrivit une lettre au Roi. On soulignera également l’opposition publique du vice-Président du Parlement, Dimitar Pechev ainsi que 42 autres membres du parti nazi de gouvernement.

Leur action est la clé du succès sur les nazis. Après la guerre, les deux évêques, le Métropolite Kiril et l’Exarque Stéphane Ier ainsi que Dimitar Pechev furent nommés Justes parmi les Nations.

On commémore chaque année la date du 10 mars 1943, lendemain du jour où la population se réunit dans la cour d’une école à Plodviv, deuxième ville de Bulgarie, pour s’opposer à la déportation des Juifs.

Mais hélas, ce mouvement national de défi ne permis pas de mettre un arrêt à la déportation des 12 000 Juifs des territoires annexés se décomposant en 4 000 de Grèce et 8 000 de Serbie.

En septembre 1944, l’Armée Rouge entra en Bulgarie et la délivra des nazis.

 

« Dès que les premières rafles furent menées, un mouvement d’opposition à la déportation des Juifs émergea. »

 

Michel Azaria : Pourquoi ces polémiques sur le sauvetage des Juifs ?

Professeur Alexander Oscar : Plusieurs affirmations courantes dans la société bulgare d’aujourd’hui posent problème. D’abord, affirmer que la Bulgarie ne doit assumer aucune responsabilité dans le sort funeste des 12 000 Juifs de Grèce du Nord et de Macédoine est inacceptable selon nous. Nous objectons systématiquement en rappelant à nos interlocuteurs le discours du Vél d’Hiv de Jacques Chirac.  Ensuite, créditer le Roi et son gouvernement pro-nazi du sauvetage des Juifs de Bulgarie est problématique quand on sait que la responsabilité du sauvetage est à attribuer à la société civile bulgare qui a pris des risques et à l’Église. Pourquoi le Roi a-t-il donné son accord à la déportation de 12 000 Juifs ? L’histoire jugera mais aujourd’hui, le rôle du Roi reste dans une zone grise.

 

« Cette montée en puissance de la distorsion de notre histoire est comparable à la situation actuelle en Pologne, sauf que la dimension pro-russe de nos opposants lui donne une autre dimension. »

 

Michel Azaria : Quelles sont aujourd’hui vos relations avec le gouvernement et les partis bulgares ?

Nous avons de bonnes relations avec les partis pro-européens et refusons toute relation avec les partis nationalistes en général pro-russes. Ceci s’est aggravé depuis environ un an. Le paysage politique actuel est en effet caractérisé par une montée des nationalistes de droite et de gauche. La droite nationaliste nous accuse d’être communistes et la gauche nationaliste utilise les termes de fascistes et de nazis pour nous qualifier en raison de nos positions sur la guerre en Ukraine et sur les distorsions sur l’histoire de la Shoah prônées par nos adversaires.

Cette montée en puissance de la distorsion de notre histoire est comparable à la situation actuelle en Pologne, sauf que la dimension pro-russe de nos opposants lui donne une autre dimension.

La situation actuelle de la communauté juive est de ce fait devenue difficile. Prenons l’exemple du parti bulgare Vazrazhdane ‒ Réveil (15 % des votes, 3ème parti). Il s’agit de complotistes ayant osé comparer le certificat anti-covid au port de l’étoile jaune. Leur leader m’a traité de nazi sur les réseaux sociaux et a demandé à ce que je sois puni pour ce que j’infligeais à la Bulgarie, nous qualifiant d’étrangers dans notre pays.

Je remercie l’Anti-Defamation League (ADL) et le World Jewish Congress (WJC) pour les soutiens que je viens de recevoir.

Enfin, nous restons vigilants et accueillons avec espoir l’arrivée d’un nouveau gouvernement pro-européen.

 

Propos recueillis par Michel Azaria, Président de JEAA (Judéo-Espagnol à Auschwitz)

 

- Les opinions exprimées dans les interviews n'engagent que leurs auteurs -