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Publié le 6 Septembre 2022

L'entretien du Crif - Nathalie Loiseau : "Combattre la barbarie du présent"

Ancienne ministre de l’Europe au sein du Gouvernement d’Edouard Philippe, tête de liste LREM aux dernières élections européennes, Nathalie Loiseau est très active au Parlement Européen. Particulièrement engagée dans le soutien à l’Ukraine, elle souligne dans cet entretien l’importance de cet enjeu pour la France et toute l’Europe. Elle précise par ailleurs ses propositions de lutte contre "le nouvel antisémitisme".

La guerre provoquée par le régime russe contre l’Ukraine s’installe dans la durée. La résistance ukrainienne perdure mais la situation semble bloquée et aboutit à l’occupation par la Russie de plus de 20% du territoire ukrainien. Un essoufflement des forces ukrainiennes et de ses soutiens n’est-il pas à craindre ?

Nathalie LOISEAU : Bien peu d’experts ou de responsables politiques se seraient attendus à la vigueur de la résistance ukrainienne et aux faiblesses de l’offensive russe. Pourtant, six mois ont passé et la Russie s’est enlisée. L’armée ukrainienne fait preuve d’une habileté tactique et d’un courage extraordinaire, qui lui vient du soutien que lui apporte la population ukrainienne. Aujourd’hui, le réalisme devrait faire comprendre à Vladimir Poutine que la Russie ne peut pas gagner cette guerre. Mais on semble encore loin d’une paix négociée et le conflit est particulièrement meurtrier.

 

L’Ukraine est parfois critiquée pour certaines faiblesses démocratiques, la persistance de certains réseaux de corruption et, par ailleurs, pour une vision de l’histoire parfois très problématique. Certaines rues à Kiev portent par exemple des noms d’Ukrainiens collaborateurs des nazis. La jeune démocratie ukrainienne ne doit-elle pas accélérer un certain nombre de réformes ?

L’Ukraine est indépendante depuis 1991. La population ukrainienne a très bien su dire ce qu’elle attendait de ses dirigeants. En 2014, la révolution de Maïdan a chassé une classe politique pro-russe du pouvoir. En 2019, Volodymyr Zelensky a été élu sur la promesse de servir le peuple. Oui, il reste des réformes à faire, que le processus d’adhésion à l’Union européenne ne peut qu’encourager. Mais disons-le clairement : l’Ukraine a été attaquée justement parce qu’elle s’est démocratisée et a commencé à démontrer qu’un autre modèle était possible que celui, inégalitaire, corrompu et répressif de la Russie d’aujourd’hui.

 

« J’envie l’Ukraine quand j’y vois la faiblesse des scores de l’extrême droite aux dernières élections… »

 

Parlons des réminiscences du nazisme : elles doivent être combattues partout et Arno Klarsfeld a raison de soulever la question des noms des rues, à Kiev ou ailleurs. Pour autant, j’envie l’Ukraine quand je vois la faiblesse du score de l’extrême-droite aux dernières élections et quand je regarde mon propre pays… Et je ne perds pas de vue que les références contemporaines au nazisme, on les trouve chez les mercenaires du groupe Wagner qui interviennent en Ukraine pour le compte de la Russie. L’Ukraine devra regarder en face son passé, mais c’est une barbarie du présent qu’elle doit d’abord combattre.
Quant à la corruption, combattons-la partout et balayons devant nos portes. Longtemps, Londres a été surnommé « Londongrad ». Les oligarques russes ont fait les beaux jours d’hommes d’affaires européens ou israéliens quand ce ne sont pas des hommes politiques de haut niveau. Croyez-moi, pour être crédibles dans nos exigences vis-à-vis de l’Ukraine, nous aurons à faire un travail sur nous-mêmes au préalable.

 

Dans la confrontation à la brutalité guerrière de Poutine, l’Europe continuera-t-elle à opposer à la Russie un front uni et solide ? On a vu la Hongrie de Orban faire bande à part en matière d’approvisionnement énergétique. On voit l’Italie être en proie à une crise politique majeure, avec la montée d’une extrême droite qui menace d’accéder au pouvoir. Qu’il s’agisse des soutiens en armements et de l’application des sanctions, l’Union européenne a-t-elle été au bout de chemin ?

Les décisions prises par l’Union européenne depuis le début de la guerre d’agression russe sont sans précédent, qu’il s’agisse des trains de sanctions successifs ou des livraisons d’armes. Elles ont pourtant toutes été prises à l’unanimité. Parmi les erreurs de calcul manifestes de Vladimir Poutine, il y a cette unité et cette fermeté du camp des démocraties auxquelles il est confronté et qu’il n’avait pas anticipées. Aujourd’hui, il s’efforce de toutes les manières possibles de rompre cette unité en utilisant tous les moyens non-militaires de nous agresser : prix de l’énergie, des céréales, soutien aux partis d’extrême-droite en Europe, désinformation… Cela fait des années que la Russie développe ces outils de guerre hybride et elle s’en sert aujourd’hui. Cela me préoccupe depuis un long moment et j’y consacre un livre, à paraître fin octobre.

 

« C’est le moment d’avancer en matière de défense européenne,

pour acheter des armements en commun »

 

Certains réseaux pro-russes en France, du côté de l’extrême droite ou de la gauche radicale, refont entendre la petite musique de « la responsabilité ukrainienne » et de la nécessaire « entente » avec la Russie. Les soutiens français et européens ne doivent-ils par être encore renforcées dans les semaines à venir, en certains domaines (militaires, logistiques, diplomatiques…) ? 

La guerre d’Ukraine dure depuis déjà six mois et risque de durer encore. Nous devons continuer à tenir le rythme des livraisons d’équipements militaires à l’Ukraine et pour cela renouveler nos propres stocks. C’est le moment d’avancer en matière de défense européenne, pour acheter des armements en commun, comme nous avons été capables de le faire pour les vaccins pendant la pandémie. Nous devons aussi contribuer davantage à la formation de l’armée ukrainienne : certes, les combattants d’aujourd’hui auraient sans doute beaucoup à nous apprendre mais d’autres les relèveront, qui auront besoin de monter en compétence, qu’il s’agisse des activités de déminage, de médecine militaire ou d’autres domaines. Il nous faut aussi – surtout ? - apprendre à nous passer du gaz russe : la transition écologique et l’évolution géopolitique vont dans le même sens.

 

Vous avez été tête de liste de la majorité présidentielle aux européennes. Comment qualifiez-vous l’évolution du paysage politique français, où la gauche d’opposition est dominée par une gauche radicale, anti-européenne et populiste et où est apparu une extrême droite florissante qui n’a jamais été aussi forte aux élections, présidentielles et les législatives ? 

Je suis entrée en politique pour contrer le risque que l’extrême-droite arrive au pouvoir. J’y reste pour la même raison, à laquelle s’ajoute aujourd’hui une inquiétude supplémentaire : celle de voir une partie de la gauche perdre ses valeurs, de laïcité, de soutien à la démocratie contre les dictatures, de rejet du communautarisme, de lutte contre l’antisémitisme. Cela me préoccupe profondément.
On ne doit banaliser ni la contestation des institutions démocratiques, ni la complaisance vis à vis du communautarisme ou de l’intégrisme religieux, ni le racisme, ni l’antisémitisme, ni le conspirationnisme. Vaste programme ! Je crois profondément en la sagesse des Français, un peu moins en celle de certains « responsables » politiques qui jouent avec les peurs et divisent le pays au lieu de le rassembler. Pourtant, pour voyager sans cesse, je mesure chaque jour la chance que nous avons de vivre en France et les atouts dont nous disposons.

La communauté juive de France, et les Français dans leur ensemble, sont très préoccupés par le développement de ce qu’on a appelé « le nouvel antisémitisme », particulièrement virulent dans certaines banlieues, parfois qualifiées de « territoires perdus de la République ». Quelles sont les réponses, fortes et efficaces, à apporter à ce problème ?

Il faut combattre toutes les formes d’antisémitisme d’où qu’elles viennent et quelles que soient leurs manifestations. Le premier espace pour le faire est l’Ecole et nous avons tous un rôle à jouer pour cela. Les enseignants bien sûr, dont aucun ne doit trembler ou faire d’impasse sur l’Histoire de notre continent. Mais nous aussi, citoyens engagés dans la vie de notre cité, devons participer à l’effort de transmission de la mémoire de la Shoah, au moment où disparaissent ceux qui en ont été témoins.

C’est pour cela que j’ai souhaité me rendre à Auschwitz-Birkenau cet été, convaincue que c’est à ma génération de prendre le relai. C’est pourquoi je soutiens aussi les initiatives destinées à raviver cette mémoire auprès des jeunes, comme celle de mon ami Georges Mayer autour du Convoi 77. Il est également indispensable de ne montrer aucune complaisance vis à vis de discours de haine antisémite qui peuvent sévir dans des communautés religieuses ou des expressions publiques. J’ai par exemple été très frappée par la fresque ouvertement antisémite qui avait recouvert un mur à Avignon. Je suis atterrée que ce projet ait pu voir le jour et n’ait suscité que des réactions tardives.

 

« Parler d’« apartheid » en Israël ou accuser l’Ukraine de violer le droit de la guerre

montre qu’Amnesty International traverse une très mauvaise passe »

 

A l’Assemblée nationale, une résolution choquante a été proposée par un groupe de députés communistes et LFI, visant à criminaliser l’Etat d’Israël, accusé de tous les maux, en des termes caricaturaux, injurieux et même diffamatoires. Dans une région du monde, le Proche-Orient, où les dictatures sont nombreuses, l’islamisme prospère et l’antisémitisme virulent, condamnez-vous ce projet de résolution et constatez-vous aussi les dangers de son objectif politique et géostratégique ?

Je condamne fermement cette résolution tout comme les dérives de certaines ONG qui semblent avoir perdu la boussole. Parler d’« apartheid » en Israël ou accuser l’Ukraine de violer le droit de la guerre montre qu’Amnesty International traverse une très mauvaise passe.

Je suis également inquiète du silence de certains élus après la tentative d’assassinat qu’a subie l’écrivain Salman Rushdie en août. On ne peut pas avoir des valeurs à géométrie variable, ni les mettre en veilleuse par simple calcul clientéliste. Nous vivons des temps troublés où les politiques doivent plus que jamais faire la preuve qu’ils ont une colonne vertébrale.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

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