Actualités
|
Publié le 29 Janvier 2024

L'entretien du Crif - Noëlle Lenoir : La décision de la CIJ est plutôt favorable à Israël

Noëlle Lenoir, juriste de haute expérience, ancien membre du Conseil Constitutionnel et avocate, nous livre une analyse précise de la récente ordonnance de la Cour internationale de Justice (CIJ) saisie par l’Afrique du Sud, ce pays (en lien avec le Hamas) ayant finalement échoué à accuser Israël d’avoir perpétré un prétendu « génocide » à Gaza. « Ce que l’Ukraine a obtenu de la Cour [contre la Russie], nous explique Noëlle Lenoir, l’Afrique du Sud non seulement ne l’a pas obtenu mais, à l’inverse, elle obtient la légitimation de la riposte militaire d’Israël. » La juriste nous indique que la Cour a également éprouvé la nécessité d’en appeler à « la libération immédiate et inconditionnelle des otages » et que son jugement met en outre l’Afrique du Sud en situation de devoir influer sur le Hamas pour faire retirer de sa charte (et de ses déclarations) l’objectif de destruction de l’État d’Israël. Explications.

Le Crif : L’Afrique du Sud avait osé accuser Israël d’un prétendu « génocide » à Gaza, en portant cette accusation devant la CIJ (Cour Internationale de Justice) : aux vues du récent jugement de cette Cour (du 26 janvier 2024), cette accusation finalement tombe même si certains se réjouissent d’avoir porté ce procès et poursuive une propagande sur ce thème. Quel est l’enseignement majeur, sur le plan juridique, de la décision de la CIJ ?

Noëlle Lenoir : Vous avez raison d’indiquer que l’Afrique du Sud « avait osé accuser Israël d’un prétendu génocide à Gaza ». Cette action, fondée sur la Convention sur la prévention et la répression du génocide de 1948, est moralement choquante ainsi que le nouveau Ministre des Affaires étrangères de la France, Stéphane Séjourné, l’a indiqué en réponse à une question au gouvernement posée par Madame Obono (La France Insoumise) à l’Assemblée nationale. Le Ministre s’est élevé en effet contre l’attitude de l’Afrique du Sud en martelant que « accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral » et en stigmatisant « l’utilisation de la justice à des fins politiques ».

Ces paroles comptent d’autant plus que, depuis 1958, rompant avec la IVème République, la diplomatie française est très loin d’être favorable à Israël. Il est évident, comme l’a suggéré notre Ministre des Affaires étrangères, que l’action de l’Afrique du Sud, qui joue en l’occurrence le rôle de supplétif du Hamas, a été un immense coup de bluff à des fins de propagande. La Cour était le tribunal médiatique rêvé pour populariser les thèses du Hamas comme « organisation de résistance » (sans que l’Afrique du Sud évoque d’ailleurs le Hamas dans la présentation de ses arguments). Cela n’a pas marché.

En effet, on doit se féliciter de ce que cette tentative d’instrumentalisation de la justice internationale ait échoué. Il importe de constater que la décision a été adoptée à la quasi-unanimité, y compris par les juges représentant à mon avis près de la moitié de la Cour, dont la sensibilité est culturellement propalestinienne. Seule la juge ougandaise, Madame Sebutinde, dont le courage doit être salué et le juge israélien ad hoc, Aaron Barak, ancien Président très estimé de la Cour suprême israélienne, ont considéré dans des opinions à part que la Cour n’aurait même pas du juger et donc ne pas admettre la recevabilité du recours de l’Afrique du Sud.

Madame Sebutinde souligne dans son opinion dissidente que ce qui est en cause, c’est le droit humanitaire qui ne relève pas en tant que tel de la Convention sur le génocide.

 

« Le conflit israélo-arabe étant politique, sa résolution est politique et non judiciaire »

 

Elle attire l’attention sur le fait qu’il ne faut pas induire de l’ordonnance de la Cour que les mesures conservatoires prononcées ont une quelconque signification en termes de responsabilité d’Israël. Rien n’est jugé à cet égard. Enfin, elle rappelle que le conflit israélo-arabe étant politique, sa résolution est politique et non judiciaire. Elle affirme qu’en l’absence de tout signe d’intention génocidaire de la part d’Israël et en l’absence de tout lien entre les mesures demandées par l’Afrique du Sud et le droit des Palestiniens à être protégé contre un génocide, la Cour n’était pas compétente.

Dans son opinion individuelle, le juge Barak rappelle s’il en était besoin qu’Israël est une démocratie et que les droits de l’Homme y sont strictement défendus par la Cour suprême, l’armée israélienne n’échappant pas à un contrôle très sévère. Il évoque la mauvaise foi de l’Afrique du Sud qui s’est dépêchée de déposer son recours sans attendre la réponse d’Israël à sa mise en cause par note verbale. Il fait remarquer que le belligérant, i.e. le Hamas qui est derrière le recours de l’Afrique du Sud, n’est pas partie au litige et donc ne peut être mis en cause comme il devrait l’être. C’est une façon élégante selon moi de suggérer que les dés sont pipés en l’absence de recours du Hamas qui n’est pas un État, et donc pas un État contractant de la Convention. À  l’instar de Madame Sebutinde, s’agissant d’une possible intention génocidaire de la part d’Israël, il apporte, bien que cela ne soit pas jugé par la Cour, une forte dénégation anticipant en effet les erreurs (de bonne ou mauvaise foi) d’interprétation de la décision par les médias. De façon particulièrement émouvante, il conclut en disant que « l’idée qu’Israël soit accusée de génocide est très dur pour moi personnellement en tant que survivant du génocide et profondément conscient de l’engagement déterminé d’Israël comme État juif respectueux de l’état de droit et démocratique ».

Cela étant, nous vivons dans le monde réel. Et compte tenu de la composition de la Cour, l’ordonnance du 26 janvier 2024 est la meilleure décision possible dans le meilleur des mondes.

 

« La Cour consacre le droit sacré d’Israël, comme de tout autre État, de se défendre »

 

Le Crif : En quoi précisément, au fond, cette ordonnance de la CIJ envoie-t-elle un message finalement positif à Israël ?

Noëlle Lenoir : Dès lors qu’elle a admis la recevabilité du recours de l’Afrique du Sud au motif que ce pays avait exprimé dans les enceintes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) une interprétation différente de la Convention sur le génocide de celle affirmée par Israël, la décision est nettement selon moi en faveur d’Israël. 

 

 Que dit-elle ?

 

  • D’abord, elle rejette, ce qui était l’objectif de la demande de l’Afrique du Sud, de prononcer à titre conservatoire la suspension des opérations militaires de Tsahal. Ce faisant, elle consacre le droit sacré d’Israël comme de tout autre État de se défendre, ce qui est d’ailleurs prévu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Rappelons que dans son ordonnance du 16 mars 2022, la CIJ avait ordonné à la Russie la suspension immédiate de son opération militaire en Ukraine. Ce que l’Ukraine a obtenu de la Cour, l’Afrique du Sud non seulement ne l’a pas obtenu, mais à l’inverse, elle obtient la légitimation de la riposte militaire d’Israël.
     
  • Ensuite, l’ordonnance de la Cour prévoit, suivant une formule générale, qu’Israël doit prendre toutes les mesures « en son pouvoir » pour éviter tout acte de génocide mais surtout toute « incitation directe et publique à commettre le génocide » classée par l’article 3 de la Convention sur la prévention et la répression du génocide comme un acte de génocide. La Cour évoque à cet égard certaines déclarations de responsables politiques israéliens, à mon avis dénuées de toute intention d’éliminer tous les Palestiniens et pas davantage les Gazaouis au sens de population civile protégée par la Convention sur le génocide. Mais cette mention est sans doute une concession faite aux juges de la Cour d’une sensibilité défavorable à Israël.

    La conséquence de l’ordonnance pourrait être de permettre positivement la mise en cause de l’Autorité Palestinienne qui n’a pris aucune mesure pour prévenir ou punir les déclarations génocidaires des dirigeants du Hamas directement inspirées de leur Charte de 1988 révisée en 2017. Certes, la Cour n’a pas encore jugé que l’Autorité Palestinienne était assimilable à un État. Elle le fera lorsqu’elle statuera sur le recours de la Palestine contre les États-Unis à propos du transfert de l’Ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem (voir : https://www.icj-cij.org/fr/affaire/176). Mais, en attentant, la non-intervention de la Palestine pour prévenir et punir ces appels incendiaires à tuer des Juifs en tant qu’ « obligation religieuse individuelle » pourrait fort bien relever devant les juridictions françaises de la complicité de crimes contre l’Humanité. La question mérite en tous les cas d’être étudiée juridiquement.
     

  • L’ordonnance demande par ailleurs à Israël de conserver les preuves qu’il ne peut y avoir d’intention génocidaire et de lui faire rapport dans le mois. Là encore, cette demande de la Cour est porteuse. En effet, comme on l’a vu à propos de la participation possible d’agents de la UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) aux actions du Hamas, et notamment à l’enlèvement des otages et à leur séquestration, Israël semble avoir collecté des preuves. La collecte et la conservation des preuves ne sont pas en effet à sens unique, elles pourraient révéler bien des méfaits de la part du Hamas.
     
  • Enfin, d’une façon totalement inédite et hors du champ du recours, la Cour a éprouvé la nécessité d’en appeler à « la libération immédiate et inconditionnelle des otages ». Plus encore, lorsqu’elle « estime nécessaire de souligner que toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire », elle s’adresse implicitement au Hamas et on peut supposer que les juges ont eu à l’esprit, au-delà de la séquestration d’otages, les détournements de l’aide humanitaire ou l’utilisation de boucliers humains.

     

« Si l’Afrique du sud, qui a des liens avec le Hamas, n’influait pas pour faire modifier la Charte du mouvement terroriste, elle manquerait gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier de la Convention sur le génocide. »

 

 

Le Crif : Quelles sont les conséquences de l’ordonnance de la Cour cette fois-ci pour l’Afrique du Sud ?

Noëlle Lenoir : Cet ajout à l’adresse en réalité du Hamas de la part de la Cour a des conséquences juridiques non négligeables. En effet, les liens entre l’Afrique du Sud et le Hamas sont étroits. Récemment, ils ont été concrétisés par l’accueil à Johannesburg et à Prétoria de délégations officielles du Hamas par les autorités sud-africaines en novembre et décembre 2023. Il en résulte de la part de l’Afrique du Sud des devoirs au regard de la Convention sur le génocide et de manière générale au regard des conventions de l’ONU sur les droits de l’homme.

S’agissant de la prévention et de la répression du génocide, les États contractants sont tenus à une coopération internationale nécessaire pour « libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux ». Cela implique que « les États ayant la capacité d’en influencer d’autres ont le devoir d’employer tous les moyens étant raisonnablement à leur disposition pour prévenir le crime de génocide, y compris dans le cas d’actes commis en dehors de leurs frontières », ainsi qu’indiqué dans le Fact Sheet sur la Convention publié par le bureau de la prévention du génocide de l’ONU.

Parmi ces États, figure l’Afrique du Sud, car elle a indéniablement un pouvoir d’influence sur le Hamas et l’Autorité Palestinienne. Si elle n’agissait pas pour empêcher le Hamas de mettre de nouveau à exécution ses actes génocidaires comme ceux du 7 octobre ou pour faire modifier la Charte du Hamas, elle manquerait gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier de la Convention sur le génocide suivant lequel « les Parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir ».

 

Le Crif : La controverse aura-t-elle une suite ?  

Noëlle Lenoir : Ce contentieux risque de se poursuivre des années, comme les autres du même type. La Cour n’a pas jugé au fond et elle ne pourra le faire qu’au vu des preuves apportées par les Parties à ce litige. Il n’est pas sûr, pour les raisons exposées plus haut, que ces preuves tournent à l’avantage de l’Afrique du Sud et du Hamas.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 28 janvier 2024

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -