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Publié le 25 Avril 2023

L'entretien du Crif - Roch-Olivier Maistre, Président de l'Arcom : Endiguer les haines en ligne et en radio-TV

Le Président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), autorité qui succède et englobe les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Roch-Olivier Maistre, nous précise le champ d’actions élargi de cette institution en matière de régulation de l’espace numérique (Internet, réseaux sociaux).

Le Crif : La régulation des réseaux sociaux, qui colportent diverses formes d’intolérances, de violences (injures et menaces), de thèses complotistes, des tentatives d’ingérence venant de puissances extérieures aussi, est devenu un chantier majeur pour les années à venir. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les compétences dont dispose dans ce domaine l’Arcom et les actions prioritaires que mène cette autorité publique indépendante que vous présidez ?

Roch-Olivier Maistre : L’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, a été créée au 1er janvier 2022 précisément pour accompagner la transformation de la régulation numérique et confier une compétence dans ce domaine à une institution indépendante dotée d’une expertise reconnue. Plusieurs textes successifs ont en effet étendu le champ d’action du régulateur : la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, celle du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet et celle enfin du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

 

L’Arcom est ainsi compétente en matière de lutte contre la manipulation de l’information d’une part et la haine en ligne d’autre part. La loi nous confie plus précisément une mission de supervision des moyens mis en œuvre par les acteurs numériques pour endiguer ces phénomènes, qui créent de véritables risques pour notre démocratie et notre cohésion sociale. Pour créer un cadre de dialogue et de contrôle adapté à ces enjeux, l’action de l’Arcom repose sur un modèle de régulation « systémique ». Il ne s’agit donc pas pour nous de contrôler chaque contenu problématique posté en ligne, ce qui ne serait ni souhaitable dans un espace numérique libre, ni faisable pour une administration de 370 personnes, mais de responsabiliser les plateformes en ligne (réseaux sociaux, moteurs de recherche, plateformes de partages de vidéos…) pour qu’elles augmentent leurs moyens humains et technologiques de modération des contenus et renforcent la transparence sur leur fonctionnement.

 

Nous sommes tout autant attentifs à l’efficacité de ces moyens qu’au risque de « sur-modération », et donc d’atteinte injustifiée à la liberté d’expression. Si les plateformes en ligne sont de formidables moyens de communication et d’accès à l’information et à la culture, elles offrent également un terreau sans précédent de diffusion de contenus problématiques, dangereux ou illégaux : nous devons donc parvenir à créer un environnement numérique sûr. et de confiance.

 

« Le continent européen est en pointe en matière de régulation numérique »

 

Le Crif : Au niveau européen, sachant que les grands opérateurs numériques ne sont malheureusement pas européens, quelles sont les perspectives que vous pouvez tracer en matière de régulation de l’espace internet et de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ?

Roch-Olivier Maistre : Le continent européen est en pointe en matière de régulation numérique et de responsabilisation des plateformes : nous devons nous en réjouir. En particulier, l’adoption fin 2022 du règlement sur les services numériques (parfois connu sous son vocable anglais, le Digital Services Act) permet d’ouvrir une nouvelle étape, en dotant l’Union européenne d’une réglementation partagée et efficace qui cible en priorité les grands acteurs numériques, y compris les entreprises non européennes. Ces derniers se voient désormais imposer en Europe des obligations spécifiques de protection des publics, de transparence de leurs données et de leurs algorithmes et de régulation des contenus. C’est une avancée décisive pour lutter contre la manipulation de l’information et la propagation des discours de haine dans les espaces numériques.

 

Ce texte permet donc à l’Europe de s’atteler à un chantier ambitieux et très attendu, pour protéger nos droits et nos valeurs et participer à créer de la confiance et de la transparence dans l’espace informationnel et numérique. Il offre aussi au monde une forme de « tiers modèle », entre la logique autoritaire ou la défense du « laissez-faire ».

 

« Le réseau social Twitter devra respecter les règles »

 

Le Crif : Justement, Elon Musk, le nouveau propriétaire de Twitter, est inspiré par l’idéologie libertarienne du total « laissez faire/laissez dire », il a réduit les moyens humains de l’auto-régulation de ce réseau social. Comment lui faire valoir une logique de limitation et de sanction des graves dérives d’expression par exemple racistes et antisémites, qui ne constituent pas une opinion mais un délit en France ?

Roch-Olivier Maistre : Nous avons été très vigilants, dès le changement de contrôle de Twitter, à rappeler l’entreprise à ses obligations en France, notamment en matière de modération et de transparence, et nous échangeons très régulièrement avec ses représentants. Ce réseau social devra, comme toute plateforme comparable agissant sur le territoire européen ou ciblant son public, respecter les règles édictées par le règlement sur les services numériques. La Commission européenne comme le régulateur français y seront particulièrement attentifs.

 

« L’incitation à la haine n’a pas sa place dans les médias audiovisuels »

 

Le Crif : Concernant les radios et télévisions, compte tenu des débordements et dérives qui ont pu être constatés sur certaines chaînes, quelles sont les mesures que vous avez pu prendre et celles que vous pouvez envisager ?

Roch-Olivier Maistre : Le rôle de l’Arcom est d’abord, selon les termes de la loi, de garantir la liberté de communication. À ce titre, il est légitime que les médias audiovisuels rendent compte des interrogations et des fractures de notre société, et que le débat comme la controverse trouvent leur place sur les antennes.

 

Toutefois, tout ne peut pas être dit ou montré et l’incitation à la haine ou à toute forme de discrimination n’a évidemment pas sa place dans les médias audiovisuels. La loi a ainsi posé plusieurs limites à la liberté de communication, qui ne saurait être absolue.

 

Notre droit protège d’abord le respect de la dignité de la personne humaine ou encore la sauvegarde de l’ordre public, pour ne citer que ces exemples. Nous avons par exemple sanctionné une chaîne en 2021 à la suite de propos tenus par un chroniqueur sur un plateau télévision et relatifs aux mineurs étrangers isolés, en considérant que ces propos avaient été de nature à inciter à la haine et à encourager des comportements discriminatoires.

 

D’autres limites tiennent à l’honnêteté et au pluralisme de l’information. Elles prévoient par exemple qu’une pluralité de points de vue doit s’exprimer sur les sujets prêtant à controverse et que les chaînes doivent faire preuve de précautions particulières dans le traitement des procédures judiciaires. Nous intervenons régulièrement sur ce fondement, par exemple quand des propos erronés et non contredits sont diffusés à l’antenne.

 

Le régulateur dispose donc d’une palette de sanctions et intervient chaque fois que nécessaire pour faire respecter les obligations légales et conventionnelles des chaînes. Les dérives à la télévision ou à la radio suscitent souvent, de façon légitime, beaucoup d’émoi, mais le temps du droit n’est pas celui des réseaux sociaux : le régulateur agit donc en toute indépendance et dans le respect des procédures contradictoires qui font partie des garanties prévues par la loi.

 

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -