Lu dans la presse
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Publié le 25 Mai 2021

Mémoire - Sans témoins, comment transmettrons-nous la mémoire de la déportation ?

Les cérémonies commémoratives doivent évoluer et s’adapter à des publics nouveaux pour emporter leur adhésion.

Publié le 21 mai 2021 dans le Huffington Post

Ce 21 mai 2021 marque le 80e anniversaire de l’arrivée du premier convoi de déportés au camp de concentration de Natzweiler-Struthof (Bas-Rhin), le seul bâti sur le territoire français, alors en Alsace annexée. Aujourd’hui, seule une poignée des 52.000 déportés qui ont franchi les portes du camp, ou celles de l’une de ses cinquante annexes situées de part et d’autre du Rhin, est encore en vie. Ils sont vraisemblablement encore moins nombreux à être toujours capables de témoigner de l’enfer qu’ils ont vécu dans les Vosges.

Le témoignage oral et écrit de celles et ceux qui sont revenus des camps de la mort a permis de faire entrer la tragédie de la déportation dans les livres, les médias et les écoles et de rendre compte au plus grand nombre de cette invraisemblable réalité. De leur côté, les journées commémoratives, à l’instar de celle du dernier week-end d’avril qui honore depuis 1954 les victimes et les héros de la déportation, ponctuent le calendrier de rendez-vous réguliers qui sont autant de piqûres de rappel face à un virus toujours bien présent et dont les variants, notamment antisémites et négationnistes, essaiment encore dans les couches interlopes de nos sociétés. Mais jour après jour, la voix des déportés s’éteint et les cérémonies n’attirent plus guère que les officiels, les associations et les familles de disparus. Face à l’inexorable disparition des premiers et au lent mais perceptible étiolement des secondes, comment réinventer dans les années à venir la transmission de la mémoire de la déportation et redonner si ce n’est goût tout du moins du souffle aux commémorations?

La pierre comme témoin

La transmission du souvenir, dont la forme vivante et donc vibrante sera bientôt coupée, peut toutefois prendre d’autres contours, notamment par l’intermédiaire des vestiges de cette époque qui témoignent, à leur façon, de la période concentrationnaire, pour autant qu’ils aient été soigneusement et scrupuleusement conservés ou restaurés. La confrontation du visiteur avec ces reliques de l’Histoire et l’émotion qu’elle est susceptible de provoquer en lui peuvent pallier, en partie en tout cas, le lien qui sera malheureusement rompu à terme avec les témoins directs de cette page sombre de l’Histoire. Elles le font d’ailleurs déjà. Sur l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, d’importants travaux ont ainsi permis hier de restaurer le bloc cellulaire et le bloc crématoire, aujourd’hui les miradors et le bâtiment abritant la chambre à gaz, sans atteindre à la nature même de ce que ces lieux ont été, ni maquiller l’horreur qu’ils ont représentée.

Des outils numériques à intégrer

A l’heure du tout écran, de la réalité augmentée, des visites virtuelles ou à 360°, des visioconférences, des webinaires et des réseaux sociaux, les lieux de mémoire doivent également être en mesure d’accompagner le public sur tous ces outils numériques, même si les formes traditionnelles d’information et de sensibilisation (exposition, conférence, livret pédagogique…) conservent évidemment toujours leur intérêt. Les deux approches ne s’affrontent pas mais se complètent dans une même unité directionnelle, vectrices d’une mémoire commune dans sa pluralité.

Des cérémonies à réinventer

Quant aux cérémonies commémoratives, elles doivent certainement évoluer au niveau de leur format et s’adapter à des publics nouveaux pour emporter leur adhésion. Plus courtes et plus dynamiques, peut-être même moins pompeuses, elles doivent renouer avec la jeunesse à partir d’une représentation qui ne soit pas contrainte, ni même acceptée, mais bel et bien voulue. Il est dès lors nécessaire d’effectuer un long travail en amont de ces rendez-vous pour permettre à ces citoyens en devenir de s’approprier non seulement le sujet, mais aussi ses problématiques et les enjeux mémoriels qui lui sont intimement liés. Sous l’égide du Mémorial de la Shoah, l’opération des “Ambassadeurs de la mémoire”, qui permet justement à des collégiens et à des lycéens de s’imprégner de ces questions sur le temps long, au travers d’une année scolaire ponctuée de recherches historiques, de visites sur site et de travaux collectifs, s’inscrit parfaitement dans cette ligne.

Le travail de mémoire, qui ne pourra donc bientôt plus être assuré par les derniers survivants de l’enfer des camps, devra ainsi trouver son ou ses chemins parmi les différentes voies qui s’offrent à lui, entre l’absolue nécessité de la conservation idoine des vestiges concentrationnaires, la diversité des supports sur lesquels il peut s’appuyer et le lien, cette fois humain et essentiel, avec une nouvelle génération avertie et impliquée, prête à assurer cette transmission et à assumer cette transition.

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