Lu dans la presse
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Publié le 7 Décembre 2021

Monde - Culture juive: un patrimoine valorisé au Maroc

La «Bayt Dakira» (Maison de la mémoire), ouverte en 2020 à Essaouira, accueille l’ancienne synagogue de Slat Attia, un musée et un centre de recherches.

Publié le 6 décembre dans Le Figaro 

Ce 24 octobre, un groupe de touristes israéliens, cornaqués par un guide, pénètrent dans la «Bayt Dakira» (Maison de la mémoire) ouverte en 2020 à Essaouira, au Maroc. André Azoulay, à qui on doit cette maison dédiée à la culture juive, applaudit bien fort. «Depuis que le Maroc a rétabli ses relations avec Israël et ouvert des liaisons aériennes, c’est un flot continu», se réjouit cet homme de confession juive, longtemps conseiller au palais, et dont la famille vit à Essaouira depuis plusieurs générations.

La maison traditionnelle, entièrement restaurée, accueille l’ancienne synagogue de Slat Attia, un musée et un centre de recherches. «À Essaouira, les relations entre juifs et musulmans étaient singulières, ne serait-ce que parce que la ville comptait, jusque dans les années 1960, 16.000 Juifs pour 22.000 habitants», poursuit-il. Dans cette ville, aux 37 synagogues, «il y avait une vraie culture partagée», insiste-t-il, en soulignant que la Maison fut inaugurée par le roi en personne.

Rares sont les pays arabo-musulmans qui, comme le Maroc, portent haut la mémoire juive, et assument cette diversité culturelle et religieuse. Jusque dans les années 1960, près de 300.000 Juifs vivaient dans le pays, avant de le quitter en masse pour la France, Israël et le Canada. Ils ont laissé derrière eux des milliers de sanctuaires, cimetières ou lieux de culte - ainsi qu’une diaspora d’un million de personnes, cultivant la nostalgie du Maroc.

Sur place, la communauté, réduite à 3000 personnes, a d’abord porté à bout de bras des programmes de restauration, dont la réhabilitation de 170 cimetières, sanctuaires et mausolées. Elle a permis la construction de 42 kilomètres de clôture, la pose de 160 portes, le débroussaillage de dizaines d’hectares, le dégagement de milliers de sépultures enfouies sous la terre et la restauration de près de 14.000 pierres tombales. Mais c’est surtout un programme d’État, sans lequel bien peu de chantiers aboutissent au Maroc, qui s’est mis en place, à partir de 2015.

Travaux de restauration

À Fès, à Marrakech, à Meknès et ailleurs, des travaux de restauration portant sur les anciens quartiers (mellah) ou des édifices religieux ont été lancés. D’ici à 2023, à Fès, le mellah, l’ancienne école juive (Em-Habbanin) et la synagogue Mansano devraient retrouver leur lustre, tandis qu’un musée de la culture juive ouvrira ses portes. D’autres musées sont espérés à Tanger, tandis que celui de Casablanca va être restauré - ce qui complétera les collections d’art juif présentées au Musée des Confluences de Marrakech. Cette politique, unique par son ampleur dans un pays arabe, semble bien accueillie par les autochtones. Ils savent que Mohammed V avait déclaré, en 1941, «il n’y a pas de citoyens juifs ou musulmans, il n’y a que des Marocains», et que la Constitution mentionne l’apport hébraïque dans le royaume.

«Ici il n’y a pas eu d’expulsion, ce qui a laissé, sur place, une forme d’incompréhension sur ces départs, et une impression de vide», juge Serge Berdugo, président de la communauté juive du Maroc. Ne dit-on pas, au Maroc, qu’«un marché sans Juifs est comme un pain sans sel»?