Le CRIF en action
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Publié le 8 Avril 2011

Discours de madame Edwige Elkaim, présidente du CRIF Grenoble-Isère, au dîner du 7 avril 2011

Exceptionnelle entre toutes, la soirée qui nous réunit, constitue un temps fort de la vie de notre Cité. Tous les acteurs majeurs de la Vie publique, intellectuelle, économique et sociale, qui font le rayonnement de Grenoble et du département de l’Isère ont, ce soir, répondu à notre invitation et je veux vous en remercier. Avec nous, tous sont venus à la rencontre de notre invité, Monsieur Luc Chatel, Ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative, qui nous honore de sa présence. Qu’il en soit tout spécialement remercié !




Vous le savez, le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France est l’organe de représentation citoyenne et politique des différentes associations, ayant en charge la vie juive dans notre pays. Un large consensus existe entre toutes nos associations, avec un débat interne permanent, mais toujours respectueux des différences.



Car nous ne cessons de le rappeler : le judaïsme, n’est pas monolithique; il est constitué de différents éléments, qui font parler des identités juives, en insistant sur le pluriel.



La religion juive et ses traditions, transmises scrupuleusement, depuis plus de 3000 ans, ont maintenu, le cœur et l’essence du judaïsme.



Toutefois le judaïsme ne se résume pas à la religion.



Il est aussi une identité particulière, une communauté de destins, un mode de pensée, une manière de penser le monde, une philosophie de l’altérité…



C’est nourris de cet héritage culturel, qu’en France, les juifs relisent leur présence, dans la communauté nationale.



Ils sont partie prenante de la France, au même titre que tous nos concitoyens, pour l’honneur de la France, et la promotion de ses valeurs uniques.



Ici, en Isère, à Grenoble qui fut de tous les combats de la liberté et méritât aux heures sombres de la Seconde guerre mondiale le beau nom de « Petite Palestine », notre Communauté inscrit harmonieusement sa présence active au sein de notre Ville, qui s’est choisie Rehovot – l’Universitaire et pôle de recherche - pour jumelle, en Israël.



Terre de Résistance à l’abjection nazie, ses rues et ses places portent les noms des femmes et des hommes d’honneur qui, très tôt, au Vercors et en Oisans, en Chartreuse et dans le massif de Belledonne, décidèrent de reprendre les armes.



La Liberté a un prix !



Grenoble, pour sa contribution à la victoire sur le nazisme et la collaboration, aura bien mérité de la France dont elle est devenue, Ville Compagnon de la Libération.



Ce passé historique que nos pères et nos mères, ont écrit avec leur sang, pour que nous soyons aujourd’hui libres, nous remplit de fierté.



La fidélité à leur souvenir, nous donne également de grands devoirs.



Peuple de la Mémoire, nous sommes spécialement attachés à la transmission de la lumineuse espérance, de toutes celles et de tous ceux, qui ont transpercé les ténèbres pour faire à leurs enfants, un Monde qui soit digne de porter le nom d’Humanité.



Peuple de l’Alliance, la communauté Juive porte, inscrite en elle, cette mission.



Ici, à Grenoble, comme partout en France, le Conseil Représentatif des Institutions Juives, qui rassemble dans leur diversité, toutes nos associations communautaires, est l’interlocuteur des Institutions publiques, et de tous les acteurs de la Cité, attachés au « Vivre ensemble », qui nous réunit toujours, ainsi que nous le faisons aussi, ensemble, ce soir.



Chacun de vous, par sa présence agissante, nous apporte le témoignage que les violences qui nous sont aujourd’hui lancées, comme celles qui soulevèrent l’indignation de nos ainés, sont une blessure, pour la société française toute entière.



Car ce combat pour le respect de notre dignité, demeure une ardente obligation.



Ville exemplaire pour le regard qu’elle porte courageusement sur la douloureuse question de la spoliation des biens juifs, Grenoble, s’est réveillée au mois de juin dernier avec l’inquiétant acte de vandalisme qui maculait les vitrines de cinq commerces couverts d’inscriptions antisémites.



Est-il imaginable que l’histoire bégaie ainsi ? Madame la Procureure générale, dont je salue l’action, ne le permettra pas.



Département attaché à la réussite scolaire qui fait la force de ses Universités et de sa Recherche, l’Isère n’échappe pas à l’explosion de la violence qui s’exerce contre des écoliers, collégiens ou lycéens juifs. Mes pensées et les nôtres, vont à ce collégien de 15 ans, sauvagement agressé par une quinzaine d’adolescents, le jeudi 17 mars dernier, devant son établissement de Charvieu, dans le Nord Isère.



Est-il donc possible, d’être un collégien juif, dans l’Ecole de la République et sous sa protection ? Les 6 jours d’invalidité infligés à ce garçon, qui vit avec sa mère seule, appellent, notre active compassion.



Monsieur le Recteur d’Académie que j’ai alerté, mobilise toute l’énergie de ses services, pour que l’inacceptable, ne se reproduise plus.



Demain, les travaux des Etats Généraux de la Sécurité à l’Ecole, que vous venez d’installer Monsieur le Ministre, sous l’autorité scientifique d’Eric Debarbieux, vont ouvrir des pistes innovantes pour juguler tous les phénomènes d’humiliations par violences verbales, ou physiques, répétées, insistantes, qui entament la confiance des victimes en eux-mêmes et en l’école.



Le CRIF se félicite que l’Etat se saisisse de ce fléau trop longtemps minoré.



République démocratique et laïque, dont la Constitution garantit les libertés individuelles et collectives, qui sont celles d’un Etat de Droit, la France est exposée aux provocations des ultras de l’antisionisme qui constitue désormais, l’habit neuf du vieil antisémitisme : en 2010, le Département d’Aide aux Victimes du SPCJ, qui œuvre en lien étroit et régulier avec le Ministère de l’Intérieur, a déploré 466 actes antisémites sur le territoire national.



Comprenons-nous bien, il s’agit là, uniquement d’agressions contre des personnes ou des établissements frappés, à raison de leur identité juive !



Car naturellement, les membres de notre communauté, comme tous nos compatriotes, sont aussi victimes des violences ordinaires de la vie.



Oui, songez à l’ampleur que recouvre ce chiffre de 466 actes antisémites !



Monsieur le Préfet de l’Isère, dont nous saluons la présence, auquel je me suis présentée, dès sa prise de fonction, accompagné du responsable du SPCJ, a aussitôt manifesté son souci d’une vigilance accrue. L’agression lancée fin mai 2010 contre l’Ecole privée Juive de la rue Lazare Carnot, constitue à ses yeux, comme aux nôtres, un seuil d’alerte qui appelle à l’action déterminée de mise en sécurité de l’établissement.



Ici, les services de Police et de Justice, déploient une activité efficace contre les actes d’antisémitisme et pour en poursuivre les auteurs. Il demeure que la décennie écoulée, ne marque aucun recul des actes antisémites perpétrés sur le territoire français.



Afin de faire régresser cette tendance durablement, il paraît urgent d’intensifier les efforts en matière de prévention. Ainsi, le développement de programmes d’éducation et de sensibilisation au danger de l’antisémitisme auprès des plus jeunes, semble être le deuxième volet indispensable, à une lutte pérenne contre cet inquiétant phénomène qui mute et se transforme.



Comment, en effet, ne pas évoquer les difficultés identitaires et le malaise de la société française d’aujourd’hui ? Les institutions juives de France, dans leur ensemble, ont ressenti douloureusement la mort du jeune Ilan Halimi, dont je voudrais, rappeler la mémoire.



Ilan est mort à 23 ans……. Après avoir été enlevé et séquestré, Ilan est mort sous la torture, dans d’effroyables conditions. Pour rien.



A ceci près, qu’Ilan Halimi était français et juif et qu’il en est mort, victime des préjugés, véhiculés couramment dans certaines banlieues : les Juifs « c’est l’argent et le pouvoir ». Ces refrains idéologiques ont plus d’un siècle d’existence ; ils faisaient déjà le pain quotidien d’une partie de la rue parisienne vers 1890. On sait où cela a fini.



Le mal est pourtant pire encore : les juifs, sont devenus pour toute une génération de jeunes défavorisés, des ennemis de classe et les archétypes d’une prétendue réussite sociale.



Alors, il faut le dire :



Nous condamnons, toute forme d’obscurantisme et d’intégrisme.



Le dialogue citoyen et républicain permet de partager nos valeurs, le communautarisme les oppose.



C’est ensemble, que nous devons lutter contre toute forme de racisme et d’antisémitisme.



« Car, le racisme ne concerne pas que ses victimes, il est comme la lèpre, il s’attaque à une partie du corps, pour s’étendre à d’autres ».



Aussi, nous disons avec force et détermination : nous sommes partie prenante dans cette République qui est la nôtre, et, au CRIF, nous voulons qu’elle reste forte et indépendante, qu’elle ne soit pas changeante pour plaire, ou calmer les colères, mais juste, et forte, pour durer.



Comment inverser la tendance ? Comment expliquer à nos enfants, qu’il ne sert à rien de s’enfermer, et qu’il est urgent au contraire de désamorcer la spirale des discours incantatoires, et des anathèmes discriminatoires, racistes et antisémites.



La France que nous aimons, c’est celle qui respecte les libertés de chacun, celle qui lutte contre le racisme et l’antisémitisme, c’est la France des Justes, la France laïque, républicaine et multiconfessionnelle.



Permettez-moi d’ailleurs, de remercier ici, solennellement les pouvoirs publics et les représentants des associations qui mettent en place, tous les moyens nécessaires, et agissent pour combattre durablement contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme.



L’intolérance n’a pas sa place en France !



L’intolérance grimaçante de l’antisionisme qui tente de faire d’Israël « le Juif des Nations », en appelant à son boycott économique, en multipliant les provocations destinées à déclencher son isolement international et qui milite pour étendre l’Intifada, à l’Europe entière et à la France en particulier, doit être combattue.



Vous le savez et nous ne le cachons pas : Israël est cher à notre cœur. « Cet état fut un rêve, certes imparfait, mais un rêve réalisé ».



t, comme vous le savez aussi, on ne peut forcément taire, tout ce qui oppose les Israéliens et les Palestiniens.



Par contre, on peut légitimement espérer, que les enfants palestiniens et les enfants israéliens envisageront, un jour, un avenir plus serein, plus radieux.



Cet avenir, Hadas, Elad, et Yoav, ne le connaitront pas, ils avaient 3 mois, 3 ans, 11 ans…et leurs parents Ehud et Ruth Fogel, ne le connaitront pas non plus. Dans la nuit du vendredi 11 mars, à Itamar, ils ont été sauvagement massacrés, dans leur sommeil.



Rappelons nous, c’était le 23 mars dernier, Jérusalem a été déchirée par une machine infernale, destinée à tuer le plus grand nombre, déposée, auprès d’un arrêt de bus, extrêmement fréquenté. Est il possible, confortablement installés à nos tables, d’imaginer, la vigilance de tous les instants, qui constitue le quotidien des femmes, des hommes, et des enfants de Jérusalem, pour assurer leur sécurité ? Ils ne doivent qu’à leur courage de n’avoir pas subi d’attentat de cette ampleur depuis 2004. Ce jour là, la folie meurtrière des terroristes, a tué 1 personne et en a mutilés 38.



Encore glacés d’horreur, nous gardons au cœur la grande espérance, que le désir de Paix grandisse en chacun.



Ces derniers mois, nous avons assisté à un prodigieux phénomène : le Maghreb et le Moyen-Orient ont considérablement bougé et changé.



Nous avons assisté à des choses rares, qui marqueront les consciences, et probablement l’histoire de l’humanité. Dans le monde arabe, des peuples opprimés, se sont révoltés.



Et cette quête de liberté - pour la liberté - est à nos yeux très respectable, même si nous nous méfions, et craignions les mouvements et les partis qui, attendent de jouer un rôle politique éminent dans leur pays respectif, en Egypte comme au Liban, en Syrie comme en Libye, je veux parler des factions islamistes, qui sont partout agissantes.



Car nous le savons bien tous, qu’il faudra encore du temps pour croire possible que du Maghreb au Proche Orient, s’établissent des sociétés libres et démocratiques, pacifiées et accueillantes.



Partout, aujourd’hui, d’Alger à Bagdad, la sécurité des communautés millénaires juives et aussi chrétiennes, est cruellement attaquée. Législations empreintes d’hostilité, combinées avec l’activisme islamiste, sont en passe d’effacer jusqu’au souvenir de toute une humanité, sur des terres devenues « Judenrate », des terres sans juifs.



Nous attendons des Révolutions arabes, qu’elles s’affirment, en opposition totale contre ces crimes.



Notre solidarité, appelle cette réciprocité.



Au Proche-Orient, il faudra aussi lever beaucoup d’obstacles. Il faudra que les partenaires trouvent la confiance, continuent de se parler et que des concessions soient faites, mais… que ces concessions ne soient pas unilatérales.



Nous espérons que l’Autorité Palestinienne, puisse par une intervention efficace, obtenir La libération du jeune franco – israélien, Gilad Shalit, détenu en otage et au secret, depuis 1740 jours dans les geôles du Hamas.



Le Conseil Représentatif des Institutions juives de France, n’oublie pas les otages français détenus de par le monde, car la privation arbitraire de liberté d’un seul, est une offense pour l’humanité, toute entière.



Comme l’a si bien exprimé, notre Président Richard Prasquier, dont je salue la présence ce soir, « Le CRIF, est une maison française qui bat au cœur de la République ».



C’est cette représentation, Monsieur le Ministre, que vous avez voulu honorer de votre haute présence, et qui est venue nombreuse, à votre rencontre.



Figure emblématique de la nouvelle génération de femmes et d’hommes, qui ont accédé jeunes, aux plus hautes responsabilités de l’Etat, vous avez déjà l’expérience de trois départements ministériels, et exercez, depuis juin 2009, les belles fonctions de Ministre de l’Education Nationale, qui sont venues se compléter, des compétences de la Jeunesse et de la Vie Associative, depuis le mois de novembre dernier.



Ministre attentif aux progrès de la réussite scolaire, c’est encore le Ministre engagé au service de l’égalité des chances et de la lutte contre les discriminations, et contre la violence en milieu scolaire, que nous avons l’honneur et aussi le plaisir d’accueillir, ce soir.



En votre personne s’illustre parfaitement bien l’idée, que nous nous faisons de ce que doit être un Ministre de l’Education Nationale.



Autant le dire, Monsieur le ministre, nous croyons que l’école a une fonction très importante, pour ne pas dire primordiale dans notre société.



Oui, Monsieur le Ministre, vous connaissez les liens qui, de tout temps, ont uni et continuent d’unir les Juifs à l’étude, au savoir, à la connaissance, et de tout temps, nous avons accordé à la construction intellectuelle, la place qui mérite d’être la sienne. Nous savons donc l’importance de votre ministère.



Nous le savons, c’est l’école qui transmet les valeurs de la République, celles qui nous permettent, ou devraient nous permettre de vivre ensemble ; ces valeurs de tolérances, de paix et de respect de l’autre, que connaissent tous nos enfants pour entendre, chaque année, le premier soir de Pessah, qu’il ne faut pas rejeter l’étranger car « toi-même, tu as été étranger en terre d’Egypte ».



Notre profond attachement à l’école de la République, nous permet, d’évoquer quelques thèmes, qui nous tiennent à cœur.



Si depuis toujours, nos enfants savent lire et écrire, c’est parce que nous croyons en l’école, et dans les missions qui lui sont confiées ; cette école qui devrait porter les espoirs de toutes les familles, de tous les enfants mais qui est, aussi, malheureusement, le lieu où sont perceptibles tous les dysfonctionnements d’une société.



Professeur honoraire, je sais, M. Le Ministre, ce que je dois à l’école de la République. Je refusai d’ailleurs de la quitter car, venue à Grenoble, je me suis attachée, au cours de ma carrière, à donner 12 années durant, à mes élèves des quartiers sensibles, ce que j’avais moi-même reçu de mes professeurs, de l’école publique d’Oran, en Algérie.



Je ne peux m’empêcher de penser à ces professeurs, mes anciens collègues, qui travaillent, au quotidien, dans ces quartiers difficiles, à ouvrir les portes de l’ascension sociale, comme le fit, en son temps, l’instituteur d’Albert Camus, Monsieur Germain.



De cet homme dévoué à sa tâche, Camus écrivait « qu’il avait pesé de tout son poids d’homme, à un moment donné, pour modifier le destin de cet enfant, dont il avait la charge ».



M. Germain lui avait révélé l’existence de l’ailleurs.



Camus décrivait si bien le besoin d’être enseigné.



Mais encore faut-il, M. le Ministre, que les enfants aient conscience de leur chance d’aller à l’école, de rencontrer ces gens exceptionnels, que sont leurs enseignants. Encore faut-il qu’ils y voient une utilité, ou mieux encore, qu’ils aient un but.



Car, au-delà de la déshérence intellectuelle, il y a la France, et, comme le disait Charles Péguy : « un pays qui ne peut enseigner, ne peut s’enseigner ».



Mais comment enseigner la construction de la France, de la République et de ses valeurs, quand certains élèves ont pour seul bagage, à 15 ans, 500 mots de vocabulaire.



Quand certains sont incapables de tenir un discours construit, lequel, n’est intelligible que pour leur entourage immédiat ?



Que peut-on alors comprendre au Monde, quand son seul monde, se résume souvent au quartier ; quand au-delà, c’est l’inconnu qui effraie, et que seule la bande, le groupe, avec tout ce qu’il comporte de danger intrinsèque, peut permettre d’affronter ?



Dans cette représentation du monde, tout se vaut et rien n’a de valeur.



Il est de notre devoir de citoyens de nous interroger : comment est-il est possible qu’aujourd’hui, un enfant de 15 ans, puisse sortir du système scolaire sans être capable de déchiffrer un texte ? Et nous savons, Monsieur le Ministre, que c’est bien, une de vos préoccupations majeures, comme en témoigne votre récent voyage en Ontario, à la découverte de méthodes qui semblent fonctionner.



L’effort de tous, doit en effet porter sur la lecture et l’écriture, sur le vocabulaire et l’épanouissement de la pensée. L’incapacité à s’exprimer, à mettre des mots sur les choses, à conceptualiser, pousse nécessairement à l’enfermement. Cette incapacité à comprendre le monde pousse, au rejet de l’autre qui nous inquiète, nous fait peur.



Cette incompréhension du monde pousse, à utiliser des grilles d’analyse simplistes et rassurantes.



C’est là que viennent se nicher l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie et le sexisme.



Le Haut Conseil à l’Intégration, qui vient de rendre les conclusions de son rapport sur « Les défis de l’intégration à l’Ecole » l’affirme : « L’Education nationale est en situation d’urgence » et « le Bien commun, est en danger ».



Il note : « Ces dernières années sont marquées par une affirmation de l’appartenance religieuse dans les comportements des élèves (…) Depuis plusieurs années, dans un nombre croissant d’établissements, les cours d’histoire, sont le lieu de contestations et d’affrontements, de mise en concurrence de mémoires particulières, qui témoignent du refus de partager une histoire commune ».



Parmi les observations, celle-ci : « L’antisémitisme est souvent exprimé anonymement … L’antiaméricanisme, est souvent lié à l’antisémitisme. La vision du monde qui semble s’opérer est binaire : d’un côté les opprimés, victimes de l’impérialisme des Occidentaux … et de l’autre, les oppresseurs, les Européens et Américains blancs, pilleurs des pays du Tiers-monde ».



Souvenons-nous des réactions que provoquèrent la sortie du livre, Les Territoires perdus de la République, en 2002, faisant éclater au grand jour, la violence antisémite, verbale et physique, que devaient affronter enfants et professeurs.



On mit en doute les propos tenus par ces enseignants de terrain, on leur renvoya parfois leur judéité au visage !



Attachés aux valeurs de la République, ils sont vigilants, et il est difficile d’accepter, que des jeunes, considérés parfois comme des victimes sociales, revêtent les oripeaux du bourreau.



Cela bouscule les idées reçues, d’une certaine bien-pensance, qui, campée dans ses principes, fait fi de la réalité. Cette réalité qui fait qu’aujourd’hui, les enfants juifs, dans les quartiers dits sensibles, sont de moins en moins nombreux à l’école publique ; cette réalité qui fait que, dans certaines classes, les représentations, les discours et les fantasmes antisémites fleurissent ; ces discours, ces représentations et ces fantasmes ; qui menèrent à l’assassinat d’Ilan Halimi.



C’est là, le rôle de l’école : casser les représentations, donner à penser, permettre de s’ouvrir, de rencontrer l’autre, sa culture, de le considérer, comme on considère les siens. C’est, au quotidien, le travail des enseignants, et c’est le sens des programmes scolaires, récemment rénovés, notamment en histoire-géographie, permettant la découverte de cultures et civilisations diverses et nous nous en félicitons.



Mais nous ne pouvons que nous étonner, Monsieur le Ministre, de constater l’absence de l’histoire des Juifs dans les programmes scolaires. Certes, nos jeunes enfants découvrent le judaïsme en classe de 6ème et bien sûr, ils étudient l’histoire de la Shoah en 3ème, puis au Lycée. Mais entre les deux ? Rien…



Le Président de la République, lors du dernier dîner national du CRIF, n’a-t-il pas lui-même, évoqué la longue présence des Juifs dans l’histoire de notre pays ?



Le danger est alors grand, au-delà de l’ignorance, de voir les Juifs uniquement renvoyés au rang de victimes.



Non, les Juifs ne furent pas seulement des victimes, ils contribuèrent, ainsi que l’a souligné le président de la République, à l’histoire de l’Europe, à l’histoire de la France : « Cette France, c’est la France du Salomon de Troyes, le Rabbin Rachi, qui vivait en Champagne au 11ème siècle, et dont l’enseignement talmudique, rayonna sur toute l’Europe médiévale ».



Oui, Il faut enseigner l’histoire de notre pays et les Juifs en font partie.



Mais si l’histoire des Juifs en France, ne se limite pas à l’histoire de leur persécution durant la Seconde Guerre mondiale, la connaissance des évènements de cette période est néanmoins essentielle, au cheminement citoyen de chaque enfant.



Tous les ans, des centaines d’adolescents se rendent à Auschwitz grâce, notamment, aux partenariats noués entre les Rectorats et le Mémorial de la Shoah. Nous nous réjouissons de ces initiatives, tout en restant vigilants, car visiter Auschwitz n’est pas anodin.



Considérer le voyage à Auschwitz, comme un vade-mecum, contre le racisme, serait faire fausse route, et faute de formation suffisante, ou encore de méconnaissance de l’histoire, tout devient Auschwitz, or, tout n’est pas Auschwitz.



Dans une vague compassionnelle qui submerge aujourd’hui notre société, la Shoah est en voie de banalisation. Finalement, tout le monde a été victime. L’impression de connaissance est très répandue. La réalité du savoir est cependant bien pauvre !



Nous savons, M. le Ministre, combien vous êtes personnellement attaché à cet enseignement.



Nous saluons d’ailleurs ici le geste, important à nos yeux, que fut la signature d’une convention cadre, entre votre ministère et le Mémorial de la Shoah, le 26 janvier dernier.



Votre engagement est sincère, soyez-en ici remercié.



Les historiens et les pédagogues du Mémorial de la Shoah travaillent, depuis des années maintenant, avec les rectorats et les académies.



La Ville de Grenoble, sous l’impulsion de son Maire Michel Destot, dont je salue la présence, est très attachée à ce travail de transmission.



Je soulignerai que l’Académie de Grenoble organise dans le cadre de la formation continue des enseignants, un voyage à Auschwitz. Ainsi, tous les ans, 50 professeurs sont formés par les meilleurs historiens et guides français d’Auschwitz.



C’est d’abord la formation des enseignants, qui permettra une meilleure connaissance de cet évènement, et une meilleure lutte contre la banalisation et les préjugés.



Je voudrais conclure, Monsieur le Ministre, en vous disant combien, mais vous le savez, nous sommes attachés à notre République, à ses valeurs diffusées par l’école et les enseignants.



Mais, comme le disait si justement le regretté Claude Lévi-Strauss : « Si les sociétés occidentales ne sont pas capables de conserver, ou de susciter des valeurs morales et intellectuelles, assez puissantes, pour attirer des gens du dehors, et pour qu’ils souhaitent les adopter, alors il y a sujet à s’alarmer ».



Les Juifs de France restent vigilants, Monsieur le Ministre car, citoyens français, nous sommes fiers de ces valeurs intellectuelles et morales, chères à Claude Lévi-Strauss, mais nous avons aussi conscience, qu’elles doivent être affirmées haut et fort et notamment, dans le cadre de l’école de la République.



Photo : D.R.