Le CRIF en action
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Publié le 18 Février 2013

Discours de Gérard Collomb, sénateur maire de Lyon, lors de la 70ème commémoration de la rafle du 9 février1943, rue Sainte-Catherine à Lyon

 

Dans l’écriture ou la vie, Jorge Semprun qui fut déporté à Buchenwald écrit : « L’essentiel c’est de parvenir à dépasser l’évidence de l’horreur pour essayer d’atteindre la racine du mal radical ».

 

En cette matinée où nous célébrons le 70e anniversaire de la rafle de la rue Sainte-Catherine, il nous faut donc d’abord rappeler l’horreur des faits, nous rappeler comment en ce jour du 9 février 1943, le destin bascula pour celles et ceux qui, arrêtés rue Sainte-Catherine, partis pour Drancy et les camps, ne devaient jamais revenir.

 

Mais il nous faut aussi nous interroger pour comprendre comment une société aussi brillante que la société allemande, comment le pays qui avait été la patrie de Goethe et de Schiller, put un jour basculer dans le mal radical. Par quel enchaînement il put s’abandonner à une idéologie qui avait fait de la haine, de la détestation du Juif, le point central de sa doctrine.

 

Les circonstances qui amenèrent à la rafle de la rue Sainte-Catherine, on les connaît.

 

Située en Zone Sud, Lyon avait pu apparaître pour beaucoup de Juifs, – et en particulier tous ces Juifs étrangers réfugiés d’Allemagne ou de l’Europe de l’Est, – comme une ville où l’on pouvait trouver un refuge. Mais dès novembre 42,la Zone Sud était à son tour occupée.

 

Et avec l’arrivée des Allemands, ce fut aussi celle de la Gestapo et de son chef Klaus Barbie à l’antisémitisme exacerbé et aux méthodes policières ne reculant devant aucune cruauté, capable, au contraire, de la pire inhumanité. Avec une seule volonté : traquer le Juif, le Résistant.

 

Dès janvier 1943, à Lyon, une centaine de Juifs furent arrêtés et déportés vers Drancy et les camps.

 

Mais Klaus Barbie avait un autre but. Car il avait compris que derrière la façade pourtant reconnue par le régime de Vichy de l’UGIF, se cachaient les réseaux du CAR – Comité d’Assistance aux Réfugiés allemands et autrichiens – et la FSJF– Fédération des Sociétés Juives de France, – dont le but était d’accueillir, de cacher et de faire passer vers la Suisse tous les Juifs vivant clandestinement à Lyon.

 

Il en décide donc la liquidation. Dès lors est organisée la mise en place la souricière de la rue Sainte-Catherine. Les membres de la Gestapo y débarquent dans la matinée pour attendre, tout au long de la journée, celles et ceux qui viennent y chercher aide et secours.

 

Ils ne furent que quelques-uns qui, arrivés rue Sainte-Catherine, parvinrent à en réchapper. Tous les autres, déportés vers Drancy puis vers les camps avant d’être acheminés vers les chambres à gaz. Ils eurent parfois la possibilité d’envoyer à leur famille un ultime message.

 

Comme celui qu’écrivait, le 25 mars 1943, Juliette Weill à sa famille : « Nous voilà donc à Drancy au moment du grand départ… Je vous embrasse bien fort, tous. Ce n’est pas un adieu, ce n’est qu’un au revoir ».

 

Cet au revoir, vous constatez Cher Serge Klarsfeld, dans le beau document que vous avez écrit pour le CHRD à la rue Sainte-Catherine, que c’était en fait un adieu pour 77 des 80 déportés de la rafle.

 

Vous ajoutez : « C’est pour eux, pour les enfants d’Izieu, pour les déportés du convoi du 11 août 44 à Lyon, que Beate et moi avons repéré Barbie, l’avons surveillé, et avons organisé son retour de force en France et à Lyon pour y être jugé ».

 

Parmi toutes celles et tous ceux dont le destin se noua rue Sainte-Catherine, il y avait cher Robert Badinter, votre père, membre de la FSJF, qui ne devait jamais revenir.

 

En ce jour du 9 février 43, vous-même êtes venu ici, devant ce numéro 12 de la rue Sainte-Catherine, pour y chercher ce père que vous ne voyiez pas revenir au domicile familial. Un membre de la Gestapo vous ayant saisi par le bras, vous avez réussi à vous dégager, le laissant derrière vous pris au piège.

 

Témoigner de ce que fut cette immense tragédie pour vous, pour les familles de ces 80.000 juifs de France dont on peut voir défiler les noms au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation, est donc un devoir incontournable. Bien sûr parce qu’il faut se souvenir du passé, mais pour prévenir l’avenir.

 

Car le fanatisme et l’irrationnel n’ont pas disparu. Je le disais en commençant mon discours, puis en rappelant ce que nous disait Jorge Semprun : « Pouvoir dépasser l’horreur pour mettre en évidence ce qui fut à la racine du mal. »

 

Nous voyons aujourd’hui comment se réveillent les haines, sous leurs vieilles formes, mais aussi comme vous le disiez, Madame la Présidente au dîner du Crif, sous des formes nouvelles. Avec chaque fois, comme point commun au discours, la haine de ce qui est juif.

 

C’est Samuel Pisar qui disait déjà lors du colloque d’ouverture du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation: « Les nuages s’amoncellent de nouveau. L’Europe est tourmentée entre l’espoir et la peur. Avec la montée des nationalismes, j’ai le sentiment que le passé devient présent. »

 

Ce passé, hélas, il ne redevient pas présent qu’en Europe ! Et elles sont nombreuses les régions du monde où le Juif se retrouve à nouveau constitué en bouc émissaire et en objet d’exécration.

 

Voilà pourquoi il est si essentiel qu’en ce jour solennel nous soyons rassemblés en si grand nombre.

 

Voilà pourquoi nous avons souhaité associer les jeunes du lycée Ampère. C’est notre façon d’éviter que dans les nouvelles générations l’ignorance ne l’emporte, de faire que les leçons de l’histoire les aident à mieux bâtir leur vie.

C’est le sens de cette plaque de marbre que nous avons apposée il y a deux ans afin qu’y figurent et le nombre et les noms exacts de toutes les victimes de cette rafle.

 

Ainsi cher Robert Badinter, répondions-nous au vœu que tu avais formulé afin que nul n’ait à penser que le temps avait pu effacer leur souvenir.

 

Ainsi cher Gilles Buna, poursuivons nous l’action qu’avec quelques militants – et je pense en ce jour solennel tout particulièrement à Jules Zederman – tu avais entreprise pour que la mairie puisse organiser cette cérémonie officielle.

 

Cet engagement était essentiel pour relayer l’action des militants des organisations de mémoire, des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, du CRIF Rhône-Alpes, de l’Amicale d’Auschwitz.

 

Cet engagement était essentiel si nous voulons que demain de l’immense tragédie que constitua la Shoah nous tirions tous ensemble une leçon, pour donner à nos enfants un monde qui soit meilleur.

 

Comme l’écrivait en 1944 René Char : « Avec ceux que nous aimons nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. »

 

Bien plus, je crois qu’avec eux nous construisons l’avenir.

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