Le CRIF en action
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Publié le 31 Janvier 2014

Nicole Bornstein à Claude Bartolone : « Ce que nous espérons, c’est voir se soulever une vague d’indignation en réponse à tous ceux qui tentent de déstabiliser notre République »

Discours de la Présidente du CRIF Rhône-Alpes, jeudi 30 janvier 2014

 

Bienvenue, Mr Claude Bartolone,

 

Vous présidez l’Assemblée nationale, institution symbole du caractère démocratique de notre république. Les juifs de notre région sont fiers de vous recevoir. Ils sont fiers, car, comme tous les juifs de France, ils savent ce qu’ils doivent à la République. Car, c’est par la loi, en 1791 que les juifs de France se sont vu accorder la citoyenneté avec comme opposants, déjà, les ennemis de la République. Ils savent ce qu’ils doivent à la république lors de l’affaire Dreyfus dont les ennemis étaient aussi ceux de la République. Ils savent aussi que ce sont les ennemis de la République, ceux de Vichy, qui s’empressèrent de promulguer l’odieux statut des juifs moins de trois mois après leur prise de pouvoir et avant même l’entrevue à Montoire de Pétain avec Hitler. 

Ils savent ce qu’ils doivent à la résistance et au Général De Gaulle, porteur alors des valeurs de la République, qui restitua la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, citoyenneté volée par Vichy. Ils sont reconnaissants à la République, à travers son Président Jacques Chirac qui, le premier, reconnut le rôle de l’état français dans la déportation des juifs de France, un geste nécessaire à l’écriture de l’histoire.

 

Les juifs de France savent ce qu’ils doivent à cette France. C’est la raison pour laquelle ils ont été meurtris devant le peu de réactivité des autorités lorsqu’on a entendu lors des manifestations et défilés dès le début des années 2000 « mort aux juifs ». Nous avons eu alors le sentiment que la République nous abandonnait.

 

Car…,

Depuis une vingtaine d’années, un antisémitisme franc, celui classique, d’extrême droite, ou à peine voilé ou subtilement voilé dans d’autres couches de l’opinion, s’est épanoui sous couvert d’antisionisme. Et je ne confonds pas l’antisionisme avec la critique normale de tel ou tel gouvernement israélien. Les Israéliens eux-mêmes ne s’en privent pas. La critique là-bas est un sport national, comme ici en France. C’est  la démocratie vivante.

 

L’antisionisme a gagné, si je puis dire, ses lettres de noblesse dans «  l’Israël bashing »,… Bien avant le french Bashing ou le Président bashing… Un Israël Bashing qui a été porté et nourri par toute une frange d’une opinion pseudo humaniste. Cet antisémitisme classique et ce nouvel antisémitisme se sont développés de manière exponentielle grâce aux nouveaux médias numériques.

 

Que ce soit à Lyon avec mes prédécesseurs Alain Jakubowicz et Marcel Amsallem, ou à Paris avec Henry Hajdenberg, Roger Cukierman ou Richard Prasquier, le Crif a alerté les pouvoirs publics en répétant à l’envie : « quand on s’attaque aux juifs de France, on s’attaque à la République. »  En réponse, nos interlocuteurs successifs ont eu de bonnes paroles que nous avons appréciées et, lors du précédent quinquennat, des mesures ont été mises en place, parmi lesquelles les cellules de suivi des actes antisémites. Mais, pourtant, nous avons entendu, ici même d’ailleurs, des remarques insinuant que nous étions peut-être un peu paranoïaques…

 

Et nous avons eu le martyr d’Ilan Halimi, voilà déjà huit ans.

 

Et nous avons eu la tuerie de Montauban et Toulouse.

 

Les morts : des soldats de la République, des enfants juifs et leur professeur.

 

La république s’est alors réveillée groggy et a enfin réagi avec la plus grande fermeté.

 

Dommage qu’il ait fallu des morts pour que l’on se sente moins seuls… !

 

Manuel Valls que nous avons  reçu l’an dernier s’est investi avec détermination. Et les autorités de la République, chacune à leur niveau, lui ont emboîté le pas.

 

Nous nous félicitons de l’engagement fort, de la mobilisation de nos autorités politiques au plus haut de l’Etat contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et aussi l’homophobie.

 

 Le combat est courageusement mené contre les ennemis de la République, tant au niveau intérieur que d’ailleurs au niveau extérieur.

 

•          Citons l’arrestation de cellules terroristes, les mesures prises pour s’attaquer à la cybercriminalité.

•          Réjouissons-nous de la démarche de Youtube qui a enfin retiré certains films haineux récents.

- Saluons également la réactivation en février 2013 du comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme avec son programme en 9 points, notamment d’éveil de la conscience civique des jeunes et de formation et sensibilisation en direction des agents de l’état, des futurs cadres de la nation, des sportifs…

 

Souhaitons que les moyens soient fournis pour la mise en musique de ces programmes.

 

Localement, les autorités ont également été sans concession et montrent une très grande réactivité.

A titre d’exemple, celui du concert de Death in June, groupe de rock jouant sur les symboles nazis. Le préfet de région et le sénateur maire de Lyon ont ensemble décidé l’annulation de leur concert.

 Et les motivations retenues dans l’arrêté préfectoral, à savoir que « les troubles à l’ordre public ne se limitent pas à des démonstrations de rue, mais peuvent aussi se définir comme un choc intellectuel et moral très fort pour une partie de la population », ont été une première.

Cet arrêté a peut-être fait référence dans la circulaire publiée en janvier par le Ministre de l’Intérieur pour motiver l’annulation d’un autre spectacle « vomitif », prétendu comique.

 

Ces prises de position et ces mesures devraient nous rassurer.

 Et pourtant non. Disons-le, nos inquiétudes persistent.

Un malaise nous habite…

 

Alors pourquoi ?

 

Force est de constater qu’entre une frange de plus en plus large de nos concitoyens et notre république, notre démocratie, ses instances, ceux qui les représentent, mais aussi toutes les institutions qui gravitent autour, celles qui la font vivre, un fossé se creuse.

 

Les associations antiracistes conspuées, une Ministre, parce que contestée, insultée pour sa couleur de peau, des députés et hommes ou femmes politiques discrédités voir attaqués physiquement, un Président de la République sifflé au cours d’un défilé commémoratif national, des journalistes menacés.

 

Toutes les valeurs que ces institutions et ces personnes représentent, les lois, le respect de l’autre, la laïcité, l’antiracisme sont bafoués, dénigrés, le tout étant qualifié de système.

 

Ne nous y trompons pas. Notre démocratie est malade.

 

Mais enfin, qui s’attaque à nos institutions ? Qui sont ces fameux quenellistes antisystème ? 

 

•          Des nationalistes, des nostalgiques de l’extrême droite, des néopoujadistes, des populistes que l’on voit prospérer ici et un peu partout en Europe

•          Mais aussi : des militants des mémoires oubliées et des mémoires érigées en concurrence

•          Des déracinés en crise identitaire, des racistes anti-blancs

•          Et entrainés dans leur sillage, des frustrés de tous horizons : les exclus, vrais, ou faux, les victimes de la crise économique et d’une mondialisation mal digérée, les marginalisés, vrais, ou faux, les sans boulots, les sans but, les laissés pour compte de l’éducation nationale, les perdus de la culture, les enragés de la webosphère,

•          enfin les ignorants !

 

Face à pareil fossé, face à un tel travail de sape quelles réponses trouver Monsieur le Président ? Comment combattre à armes égales quand cette mouvance antisystème avance sous la bannière d’une des valeurs clefs du système honni, la liberté d’expression… Comment  combattre à armes égales quand cette même mouvance antisystème est soutenue par une camarilla intellectuelle qui se complet dans un snobisme anarcho libéral de gauche et de droite ?

 

 Oui, on nous oppose la Liberté d’expression.

 

Encore tout récemment, certains de ces pseudo défenseurs de la liberté d’expression ont manifesté ici et là en France et à Lyon même, à peine quelques heures après la commémoration de la libération des camps, et à quelques mètres seulement du veilleur de pierre, lieu si symbolique ici pour les déportés et résistants.

Car au nom de la liberté d’expression, même si dans ce cas, il s’agit plutôt de « liberté de provocation », le respect de la loi nous oblige à les regarder passivement…

 Je veux saluer ici nos jeunes coreligionnaires, qui ont bien voulu une fois encore se maîtriser, ravaler leur colère.

 Mais jusqu’à quand se maitriseront-ils alors que dans le même temps, ce dimanche dans notre capitale, certains osent scander : «  Juif, la France n’est pas à toi !! »

 

Alors, parlons-en un peu de la liberté d’expression.

Oui c’est une nécessité dans une démocratie.

Oui, c’est une respiration. Oui c’est même consubstantiel de la démocratie et nous citoyens juifs, ici présents, y sommes particulièrement attachés.

Mais ne doit-elle pas avoir des limites quand les mots libérés sont des « pistolets chargés » ?

 

 Vous l’avez vous-même redit Mr le Président « la démocratie, c’est la liberté d’opinion, ce n’est pas la liberté de commettre un délit. Le racisme, l’antisémitisme, le révisionnisme, l’incitation à la haine raciale ne sont pas des opinions, mais des délits punis par la loi. Ils n’ont pas leur place en démocratie. »

 

On se dit loi et seulement respect de la loi.

Monsieur Bartolone, nous sommes aujourd’hui particulièrement heureux de votre présence, car c’est l’occasion pour nous de vous adresser directement notre requête pour que les lois puissent être votées bien sûr, mais surtout appliquées.

 

On se dit transmission de la mémoire.

Je reprends ici vos propos, Mr Bartolone : « un peuple sans mémoire se condamne à reproduire les erreurs du passé. Le devoir de mémoire est un instrument d’avenir ».

 

Alors qu’on commémore le 69iè anniversaire de la sortie des camps, alors que l’on assiste dans les collèges, lycées ou lieux de mémoire à des présentations magnifiques, fruit de mois de travaux d’élèves et enseignants motivés, dans le même temps, nous entendons « il faut regarder de l’avant, il ne faut plus ressasser le passé », et certains jeunes et moins jeunes disent : la Shoah j’en suis gavé… ras le bol de la Shoah ou bien pourquoi ne parle-t-on pas des autres génocides… Alors qu’ils sont aussi enseignés, notamment au sein même du mémorial de la Shoah et depuis plus de 10 ans !!!

 

Une remise  en question est peut-être nécessaire, car nous sommes obligés de faire face dans une certaine mesure à un constat d’échec.

 

Ne perdons pas espoir…

Il y a des pistes auxquelles nous avons tous le devoir de réfléchir pour sans relâche développer, approfondir, enrichir les échanges plutôt que des non-dits, des mal-dits, voir des refus d’entendre ou de savoir, y compris au sein des familles.

 

Nous devons encourager les initiatives nouvelles comme celle réalisée à la prison de Fleury Mérogis où de jeunes détenus de 16 à 18 ans, au départ solidaires des antisystèmes, ont finalement été récompensés par le prix « Annie et Charles Corrin » pour leur remarquable travail sur les sportifs pendant la Shoah.

 

Et il y en a d’autres comme celle-là ; il faut les multiplier…

 

Nous, Crif persistons aussi à penser que tout le travail de rapprochement inter religieux est une voie à poursuivre et à creuser plus que jamais.

 

Ici même en Rhône-Alpes, nous pouvons nous satisfaire :

 -de la proximité de nos relations et échanges avec les chrétiens, malgré parfois quelques égratignures, mais en tous cas les liens sont permanents et les portes ouvertes.

-de la proximité de plus en plus grande avec nos amis musulmans et que nous souhaitons renforcer.

J’en veux pour preuve leur présence nombreuse ce soir à notre dîner annuel,

J’en veux pour preuve notre présence au premier dîner annuel du CRCM, le Crif a fait école…,

J’en veux pour preuve notre détermination commune pour assurer la pérennité de nos traditions les plus ancestrales et notamment leur engagement à nos côtés dans la signature de la pétition initiée par le Crif national suite à l’amalgame excision circoncision,

J’en veux pour preuve notre présence partagée lors des commémorations ou autres évènements marquants

N’oublions pas de parler de  certains réseaux sociaux, de certaines démarches très originales sur le net où, de concert, Israéliens, Palestiniens, Iraniens luttent contre l’intégrisme…

 

Une fois encore, je tiens à remercier l’Imam Chalghoumi ici présent. Au péril de sa vie et par son incessant et courageux travail, il combat les préjugés à l’encontre d’Israël dans le monde musulman.

Quel exemple, que celui de Boualem Sansal écrivain algérien.

Lorsque sous la pression  des pays arabes, l’UNESCO a honteusement décidé le report d’une exposition relatant les 3500 ans de présence juive en terre sainte, il n’a pas hésité, alors qu’isolé en Algérie, à leur adresser un magnifique courrier militant de désapprobation.

 

Certes notre travail est un travail de fourmi qui nous demandera encore bien du temps et de l’énergie.

 

Mais il faut croire aux vertus de l’éducation et de la pédagogie  pour contrecarrer la haine. Il y va de nos responsabilités collectives, Monsieur le Président!

 

Combattre sans cesse les préjugés et les amalgames, aller à la rencontre de l’autre à ce jour, on ne connaît pas de meilleure solution.

 

Ainsi le formidable projet des «  fourchettes et cuillères pour  la paix », mené ici même à Lyon à l’institut Paul Bocuse où ont été accueillis, formés et rapprochés de jeunes chefs Israéliens, juifs et musulmans et de jeunes Palestiniens qui à leur tour feront école ensemble dans leur pays respectif.

 

Je ne peux pas terminer mon propos sans évoquer le sujet de l’Europe à la veille des élections. Car à cette échelle aussi, les motifs d’inquiétude sont malheureusement nombreux.

 

Tous les pays européens font face à une grave montée des populismes, violences xénophobes, antisémites, tentatives d’atteinte aux fondements de notre culture comme l’interdiction de l’abattage rituel, par exemple en Pologne… Au sein même d’instances européennes, au prétexte de la défense des droits de l’enfant, la circoncision s’est trouvée assimilée à une mutilation génitale comme l’excision.

 

Sans parler de la volonté de réglementation visant à limiter les coopérations entre l’Europe et Israël, alors qu’aucune restriction ne s’applique à des pays où les droits de l’homme sont quotidiennement bafoués.

 

Mais c’est volontairement que je n’aborderai pas plus avant les sujets qui concernent Israël et les rapports bilatéraux entre nos deux pays pour en laisser la primeur au Ministre plénipotentiaire israélien Zvi Tal qui nous fait l’honneur de sa présence ce soir.

 

Mr le Président, vous qui êtes un élu, dont le but est de se consacrer à l’intérêt général, je veux maintenant conclure ce discours sur deux mots simples qui j’en suis sûre vous parleront : engagement et responsabilité.

 

Nous militants associatifs, engageons notre temps et notre énergie à défendre nos valeurs et combattre pour ces valeurs dans le cadre des lois, car nous pensons que c’est aussi de notre responsabilité de citoyens.

 

Il en va de même pour vous, les élus de la république.

Il en va de même pour vous, les journalistes. Vous aussi, vous êtes des citoyens, vous aussi vous êtes responsables de ce que vous dites, de ce que vous relayez, et ce plus que jamais, à l’heure où vos médias connaissent une crise.

 

Enfin, je veux m’adresser à tous nos concitoyens, d’où qu’ils viennent, tous ceux désireux de vivre en paix dans un pays républicain démocratique.

Nous n’attendons pas de compassion.

 

Responsabilité et engagement. !

 

Ce que nous espérons, c’est voir se soulever une vague d’indignation en réponse à tous ceux qui tentent de déstabiliser notre république. Une vague qui nous montrerait qu’institutions, leaders d’opinion et citoyens sont à l’unisson dans la même défense des valeurs de notre démocratie.

 

Alors et seulement alors, nous pourrons être pleinement rassurés.