Le CRIF en action
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Publié le 22 Juillet 2012

Orléans : discours d’Eliane Klein

Commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv. Discours prononcé par Eliane Klein, déléguée du  CRIF de la Région Centre, à Orléans, le 22 juillet 2012, en présence du Directeur de Cabinet du Préfet de la Région Centre, le Sénateur du Loiret; Jean-Pierre Sueur, une Députée PS, les représentants du Conseil Régional, du Conseil Général, La Maire de Pithiviers, etc...

 

Nous sommes réunis aujourd’hui,  jour de commémoration  nationale  à la mémoire des victimes des crimes antisémites et racistes  de l’Etat français et en hommage aux Justes de France,70 ans après les rafles des 16 et  17 juillet 1942, sur cette Place de la République, devenue depuis  19 ans un lieu de mémoire, un lieu de recueillement et de réflexion.

70 ans après l’année 42 où les « Juifs commençaient à descendre les dernières marches vers l’enfer » (Serge Klarsfeld). L’année 42  fut l’une des plus meurtrières pour les Juifs d’Europe.

 

Comme l’a écrit le philosophe Vladimir Jankelevitch, « le présent, c'est-à-dire la quotidienneté ambiante, nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l’oubli des choses révolues… »Face à la tentation de l’oubli, face aux sommations de l’avenir, Jankélévitch défend le « devoir de mémoire » car les morts dépendent de notre fidélité…ce sont nos célébrations qui  les sortent du néant ».

 

D’autant plus que nous sommes dans le temps des mémoires courtes, de l’accélération  de l’Histoire mondialisée, médiatisée, où chaque événement,  chaque image, chasse l’autre et l’efface.

 

 La cérémonie qui nous réunit ici, chaque année, s’inscrit dans notre volonté de penser à tous ces disparus, sans sépulture, et de penser également à celles et à ceux qui ont eu le courage de résister à l’entreprise totalitaire des nazis et de leurs complices français, que ce soit par le résistance armée  ou par tous les autres actes qui permirent de sauver des vies.

 

Nous rendons hommage aux « Justes des Nations », ces hommes et ces femmes de toutes origines et de toutes conditions, souvent modestes, connus ou inconnus, qui, en bravant les risques encourus pour sauver des Juifs, témoignent que les êtres humains ont d’autres options que la soumission  à un Régime criminel.

 

Notre geste s’inscrit  non seulement dans la tradition juive nous nous enjoignant de nous souvenir, mais aussi dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.

 

Aussi, face à ceux pour qui il faut « tourner la page », je dis que cette page doit être lue, apprise, comprise et transmise.

 

Dans notre Région, le Cercil accomplit depuis 20 ans un travail d’Histoire et de Mémoire exemplaire qui a permis à nos concitoyens et au-delà, à un large public et à de nombreux élèves, de connaître la réalité de ce qui s’est passé dans les camps d’internement  du Loiret : Jargeau pour les Tziganes- dont le sort tragique n’avait pas ou très peu été évoqué jusqu’alors-, Beaune la Rolande et Pithiviers pour les Juifs.

 

Après la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, plus de 8.000 Juifs parmi les 13.000 arrêté s, dont plus de 4.000 enfants de 2 à 18 ans, y furent internés avant d’être envoyés , via Drancy, ou directement,  à Auschwitz, pour y être assassinés.

 

Les témoignages et les nombreux travaux des historiens ont mis en lumière le rôle joué par le régime de Vichy comme auxiliaire actif de la politique génocidaire des nazis : la Rafle du Vel d’Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en œuvre par le gouvernement de Pétain, en particulier par les décrets dits « Statuts des Juifs », du 3 octobre 1940, lois de ségrégation, de spoliation, d’exclusion et d’internement qui menèrent à l’assassinat de plus de 76.000 Juifs de France.

 

Il convient de s’interroger sur le rôle joué par une grande partie de fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques, sans occulter l’immense zone grise de le la bureaucratie, des corps intermédiaires et de tous ceux qui, par indifférence, lâcheté ou haine antisémite, se sont rendus complices de la barbarie.

 

Toutes les mesures prises par ce Régime signèrent la faillite de la Démocratie et d’une certaine idée de l’Homme.

 

Ces interrogations s’inscrivent dans le travail d’Histoire et de Mémoire que j’ai évoqué plus haut. Travail exigeant, appelant à la réflexion sur les questions fondamentales que la Shoah et les génocides du 20ème siècle posent à la conscience humaine.

 

Quel cheminement idéologique a pu mener au crime de masse ? Comment un Etat moderne a-t-il pu basculer dans la barbarie ? Comment des Etats démocratiques ont-ils pu laisser faire ?

 

Je rappelle le « silence  assourdissant » des nations pendant la Shoah. « les Juifs étaient seuls, cette poignante solitude n’est pas le côté le moins affreux de leur calvaire » (Jankélévitch- L’imprescriptible).

 

Je rappelle également  qu’en « septembre 1933, un Juif de Haute Silésie témoignait  à Genève devant l’Assemblée de la Société des Nations. Il  avait porté plainte «  contre les pratiques odieuses et barbares des  hitlériens à l’égard de leurs compatriotes réfractaires au régime ». Il raconta donc les incendies de boutiques et d’habitations, le viol des femmes, le saccage des synagogues, les massacres, les expulsions de familles entières sur les routes à coup de revolver… »Le Président  a alors donné la parole au représentant de l’Allemagne,  Joseph Goebbels. Voici sa réponse : «  Nous sommes un  Etat souverain; tout ce qu’a dit cet individu ne vous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes,… de nos Juifs et nous n’avons à  subir le contrôle ni de l’Humanité  ni de la SDN ». Et l’Allemagne échappa à la condamnation !( cité par Alain Finkielkraut dans « Une voix vient de l’autre rive », rapporté par un témoin : René Cassin).

 

Tirant la leçon de ce terrible constat, les Etats démocratiques ont créé des organismes internationaux chargés d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale : Force nous est de constater   qu’ils ont souvent failli à leur mission par incapacité à la mettre en œuvre.

 

L’Histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l’espace républicain.

 

Or, nous assistons aujourd’hui, dans notre pays, à une certaine dissolution des règles du « vivre ensemble » : la Commission consultative des Droits de l’Homme a constaté une augmentation des violences  racistes et xénophobes et, particulièrement, une hausse des actes antisémites.

 

Il y a une  évolution très préoccupante de l’antisémitisme dans notre pays. Le nombre d’actes et leur violence augmentent.

 

Comment, à cet instant, ne pas évoquer  les insultes,  les agressions contre des Juifs portant la Kippa et surtout, les crimes de Montauban et Toulouse.

 

Pour reprendre les termes du communiqué du  CRIF, ces crimes « sont la conséquence de la rhétorique de haine et de mort diffusée par l’islamisme radical…Pour diminuer l’antisémitisme en France, il faut l’appeler par son nom.. .Et faire de son éradication une cause politique nationale. »

 

Il importe que  les média décrivent la réalité sans partialité,  sans rien occulter, que l’Ecole reste le vecteur de l’éducation à la citoyenneté.

 

 Face à toutes les dérives,  à tous les obscurantismes,  à toutes les atteintes à la laïcité, à toutes les violences,  il est nécessaire de renforcer la culture démocratique contre la culture du crime, de rappeler la primauté de la Loi sur l’arbitraire, la loi qui accorde à chaque être humain de vivre sous la protection du Droit.