Le CRIF en action
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Publié le 26 Octobre 2012

Richard Prasquier à Respect Mag : « Nous ne voulons pas d’une représentation communautariste, étrangère à l’histoire de notre pays»

Les Juifs de France sont loin de constituer un bloc monolithique. Comment représenter un groupe si hétérogène ?

 

Notre communauté compte des individus aux activités et opinions très diverses. C'est pourquoi le CRIF, en tant que confédération d'associations, doit prendre en considération toutes ces sensibilités en évitant de surreprésenter une position au détriment d'une autre. Des précautions qui ne doivent pas entacher le but premier de notre mission : exprimer le ressenti général de la majorité des Juifs sur les préoccupations qui les concernent, à savoir l'antisémitisme, la mémoire de la Shoah et la défense de l'image d'Israël, trois volets caractérisant les missions statutaires de notre Conseil.

Qu'on ne compte pas sur nous pour hurler avec les loups !

Êtes-vous sûr que ces préoccupations concernent la majorité des Juifs ?

 

Le CRIF connaît la communauté de l'intérieur. Il est donc bien placé pour voir les sujets qui interpellent la majorité. De plus, en fédérant la plupart des institutions, religieuses ou non, nous disposons d'un large ancrage sur tout l'échiquier communautaire. De quoi légitimer notre représentation de la majorité.

 

Des voix juives « discordantes » se font entendre au-delà du CRIF…

 

Nous ne voulons pas d’une représentation communautariste, étrangère à l’histoire de notre pays. Le CRIF ne représente que les Juifs qui acceptent de l’être par lui. Ceux qui veulent se démarquer de nous sont le plus souvent de très petits groupes hostiles à Israël ou des personnalités ne représentant guère qu’elles-mêmes, mais ayant un large accès aux médias.

 

Quid de vos relations avec les responsables des autres communautés ?

 

Elles sont fréquentes et excellentes. Le CRIF milite pour une France ouverte et sans discrimination. Car si les discriminations ne sont plus un problème majeur pour les Juifs, elles touchent aujourd’hui bien davantage les Noirs et les musulmans. Toutefois ce constat ne doit pas en cacher un autre : la montée fulgurante de l'antisémitisme, ces dernières années, en provenance de milieux arabo-musulmans. Une progression nourrie par une caricature du conflit israélo-palestinien, qui érige les Israéliens en coupables absolus. Bien sûr, les critiques envers Israël peuvent être légitimes. Mais lorsqu'on se focalise sur ce conflit, en l'analysant de façon biaisée et outrancière, en s'imaginant qu'une fois celui-ci terminé tous les malheurs du monde seront résolus, on tombe dans le mécanisme habituel de recherche d'un bouc émissaire, en l'occurrence Israël, alors érigé en « Juif des nations ». Un antisémitisme finalement pas si nouveau puisqu'il recycle les vieux poncifs du XIXe siècle : « Si les gens n'ont pas de travail, c'est à cause des Juifs », « les Juifs dominent les nations, les médias », etc.

 

Les actions du CRIF pour faire interdire certains colloques sur le Proche-Orient ne nourrissent-elles pas ces fantasmes autour du « pouvoir juif » ?

 

Disons-le tout net : le CRIF n'a aucun pouvoir coercitif ou d'annulation dans cette République. Et nous n'en voulons pas ! Par contre, nous avons un devoir d'alerte. Notamment lorsque se déroulent à l'ENS ou à Paris VIII des faux débats où les conférenciers invités n'ont qu'un souci : vomir sur Israël. Ces colloques militants n'expriment qu'un point de vue, ils n'ont pas leur place dans un lieu d'enseignement public. Qu'ils se fassent dans un cadre privé !

 

Bon nombre de colloques universitaires ne garantissent pas le débat contradictoire. Faudrait-il alors tous les supprimer?

 

Écoutez, je reste un partisan résolu de la liberté d'expression. Mais quand celle-ci est kidnappée par des militants anti-Israéliens aux discours manichéens et mensongers, je dis non ! Souvent, ces organisateurs piègent les responsables universitaires en donnant de faux intitulés à leurs conférences pour dissimuler leur contenu véritable : de la propagande en faveur, parfois, de groupes terroristes comme le Hamas ou le Hezbollah. Une fois averties, les autorités, ayant souvent la même conception que nous du débat citoyen, prennent leur décision dans le respect de la pluralité des opinions.

 

Le CRIF porte aussi des accusations contre des reportages TV, comme celui diffusé sur France 2, fin 2011, dans Un Œil sur la planète. Monter au créneau contre telle ou telle émission est-il, selon vous, constructif ?

 

Mais comment ne pas réagir quand une chaîne aussi sérieuse que France 2 diffuse des informations biaisées propres à diaboliser l’image d’Israël ? Dans ce reportage, j’ai vu un passage où l’on accusait l’armée israélienne de tirer à vue sur des paysans palestiniens. Voilà un pur mensonge qui fait l'amalgame entre des tirs de semonce et des tirs pour tuer. Est-ce un travail respectable de journaliste ? En démocratie, les critiques sont tout à fait normales. Mais elles sont, parfois, d'une telle virulence qu'elles disqualifient leurs auteurs. Quant à moi, je me dois de parler en conscience et lucidité. Si mon discours n'est pas populaire, il est exprimé sans haine et avec la volonté de rechercher la vérité.

 

Que répondez-vous à ceux qui accusent le CRIF d'un virage très à droite ?

 

C’est un mensonge. Regardez les sites de l'extrême-droite et vous verrez à quel point j'y suis insulté… Que la communauté juive vote en moyenne plus à droite que par le passé est une réalité historique récente, liée en partie aux dérives antisionistes de l'ultra-gauche. Une configuration qui n'est pas forcément éternelle.

 

Certains reprochent également au CRIF son soutien inconditionnel au gouvernement israélien, l'un des plus à droite de l'histoire du pays…

 

Concernant la politique d'Israël, notre position est claire : nous refusons de prendre parti pour telle ou telle force politique. En tant que président du CRIF, je n'aurais aucune légitimité à m'exprimer en contradiction avec un pays élisant ses gouvernants de manière démocratique. Si le gouvernement, là-bas, était de gauche, je réagirais de façon identique. A contrario, la lutte, ici, contre la diabolisation constante d'Israël est tout à fait dans le périmètre d'action du CRIF. Qu'on ne compte pas sur nous pour hurler avec les loups ! Néanmoins, quand les réactions israéliennes contreviennent à certaines valeurs (comme lors des récentes expulsions de réfugiés africains), j’exprime mon désaccord.

 

Propos recueillis par Charles Cohen, Respect Mag n°36