Lu dans la presse
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Publié le 22 Décembre 2020

France - Injures antisémites contre Miss Provence: la justice se heurte à Twitter

Le parquet de Paris a ouvert une enquête à la suite des messages haineux, diffusés sur internet, visant la première dauphine de Miss France, April Benayoun. Encore faudrait-il que le réseau social accepte de coopérer.

Publié le 22 décembre dans Le Figaro

Trente-six heures après l’élection de Miss France, certains tweets haineux étaient encore en ligne. Samedi soir, la première dauphine, Miss Provence, April Benayoun, avait été la cible d’un flot d’insultes antisémites après avoir évoqué ses origines israéliennes. Après la vague d’indignation, le parquet de Paris a annoncé avoir ouvert lundi une enquête pour «injures à caractère raciste et provocation à la haine raciale» : «C’est un signal qui est envoyé à leurs auteurs, pour leur dire que ce n’est pas anodin de proférer ce genre de propos antisémites, a souligné sur BFMTV la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa. Puisqu’ils seront, je l’espère, poursuivis.» Encore faudrait-il que Twitter, sommé par la ministre de prendre «ses responsabilités», accepte de coopérer.

La brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) devra d’abord identifier les auteurs des messages incriminés. «Parfois, il y en a qui mettent leur profil Instagram sur leur bio, ou bien on peut retrouver des éléments d’identification sur leur compte Facebook, explique Me Éric Morain, qui a déjà défendu plusieurs victimes de cyberharcèlement. Le problème, c’est que la justice ne met pas suffisamment de moyens. Quand elle arrive à en attraper, ce sont souvent les moins malins…» Les opérateurs, installés à l’étranger, donc régis par un autre système juridique, rechignent à répondre aux réquisitions judiciaires. «Aujourd’hui, Twitter ne prend même pas la peine de communiquer les adresses IP», s’offusque Me Morain. Père d’une victime du Bataclan, Georges Salines, qui avait porté plainte le 11 septembre 2020 pour des faits de cyberharcèlement, s’est vu indiquer il y a quelques jours qu’«en l’absence de toute réponse aux réquisitions adressées à la société Twitter», «la BRDP n’a pas été en mesure d’identifier les titulaires des comptes visés»: sa plainte a donc été classée «sans suite».

Au Figaro, Twitter fait valoir que sa «mission est de servir la conversation publique et de garantir que la plateforme soit un espace où les gens peuvent s’exprimer en toute sécurité». «Nous appliquons nos règles de manière judicieuse et impartiale pour tous et prenons des mesures significatives si un compte enfreint nos règles», poursuit la société. Les services de modération ont ainsi sanctionné certains messages antisémites ciblant Miss Provence. Mais la majorité des auteurs ont pris les devants en supprimant leurs comptes, espérant ainsi échapper à la justice.

40 000 posts haineux en trois trimestres en 2020

Pour le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), dont l’Observatoire de l’antisémitisme en ligne a recensé 40 000 posts haineux les trois premiers trimestres de 2020, contre 51.816 pour l’année 2019, «Twitter est vraiment le plus mauvais des élèves !». «85 % des messages émanent de Twitter, alors que c’était 63 % l’an dernier, fait remarquer le président du Crif, Francis Kalifat. Nous demandons depuis des mois à connaître le nombre de modérateurs francophones, mais ils ne nous ont jamais répondu».

L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) pointe elle aussi Twitter du doigt. «Ils auraient pu bloquer très rapidement cette association de mots “Miss Provence” et “Israël”, activer des filtres et ainsi supprimer directement ces contenus», affirme sa présidente, Noémie Madar. Après avoir réalisé des «testings» pendant le confinement, l’UEJF avait constaté que «moins de 15 % des messages étaient supprimés» par Twitter. «Leur excuse, c’était que les modérateurs, en télétravail, ne pouvaient pas confronter leur famille aux contenus trop violents, rapporte-t-elle. Avec les associations SOS Racisme et SOS Homophobie, l’UEJF avait assigné Twitter en justice en mai, jugeant que le réseau social manquait à ses obligations en matière de modération des contenus. Une médiation judiciaire est en cours: «Le juge nous a donné rendez-vous le 13 janvier, explique Noémie Madar. Si la médiation ne fonctionne pas, on retournera au contentieux.»

"Twitter n’aime pas qu’on dise que sa modération est défaillante" Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme

Le ras-le-bol est aussi perceptible chez Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. «Nous n’avons plus beaucoup d’échanges avec Twitter depuis septembre: ma patience a des limites, et eux n’aiment pas qu’on dise que leur modération est défaillante, se justifie-t-il. Il faut de la transparence pour que nous sachions combien Twitter a de modérateurs, combien parlent français et comment ils sont formés.» Une anecdote rapportée par Me Morain montre bien le rôle de l’intelligence artificielle dans la modération: «Un avocat a récemment twitté: “J’en ai marre des trottinettes, j’vais en buter une”, raconte-t-il. Son compte et ceux des confrères qui l’avaient retweeté ont été suspendus quelques jours.»

Le Digital Services Act, un règlement européen qui devrait être adopté d’ici 2022, a pour ambition que les services de modération ne soient plus une «boîte noire» pour la puissance publique. Il fixe aux réseaux sociaux des obligations de transparence et de moyens. Chaque plateforme devra, en outre, nommer un responsable légal dans chacun des vingt-sept pays de l’Union. «Le service légal de Twitter est basé en Irlande, ce qui pose un énorme problème», souligne Frédéric Potier.

La France va adopter en anticipation certains aspects du Digital Services Act via la loi séparatisme. Cette dernière contient une réforme du code de procédure qui va permettre de juger en comparution immédiate les auteurs de propos haineux sur internet. «Les procès se tiennent aujourd’hui dix-huit mois après les faits, quand l’opinion a oublié. Avec la comparution immédiate, un enseignement collectif sera tiré: la justice travaille et ne laisse rien passer», estime-t-on au ministère de la Justice. Objectif, marquer les esprits et changer les comportements.

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