Tribune
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Publié le 18 Janvier 2013

« Haine et violences antisémites 2000-2013 » (1) de Marc Knobel ou l’autre livre noir de la République

Par Jacques Tarnero

 

C’est à la lecture d’un terrifiant inventaire que Marc Knobel, chercheur au CRIF, nous convie. Sa rétrospective de treize années (2000-2013) d’actes antijuifs dessine le tableau noir, en creux, d’une République malade de l’antisémitisme. Ici ce n’est plus le pouvoir politique qui en est l’auteur, point de discours antijuifs prononcés ou inspirés par les élites au pouvoir, pas d’antisémitisme institutionnalisé, bien au contraire. 

 

L’antiracisme est depuis les années 80, l’idéologie dominante commune de la pensée politique en manque d’inspiration idéologique.  Hormis les ectoplasmes insubmersibles du pétainisme, l’antisémitisme n’est plus en France qu’un résidu de la pensée d’extrême droite la plus ringarde, tant celle-ci a aujourd’hui pour cible prioritaire l’immigration arabo musulmane. Or le paradoxe le plus apparent du remarquable travail de Knobel c’est la mise à jour de cette évidence contemporaine : l’antisémitisme du XXIe siècle est produit par ceux-là mêmes qui sont par ailleurs victimes de toutes les xénophobies, rejets, craintes actuellement à l’œuvre dans l’hexagone. Les attitudes racistes les plus manifestes ciblent aujourd’hui la sphère arabo musulmane ou d’origine africaine, mais c’est depuis ces mêmes milieux que sont issus majoritairement les attitudes, discours ou passages à l’acte antijuifs les plus violents. Cette recherche et cette mise à jour de Knobel est d’autant plus méritoire qu’elle a valeur d’étude scientifique : les faits sont quantifiés, classifiés, répertoriés et cette mise à jour apporte un démenti implacable à tout ce que les bonnes consciences s’obstinaient à ne pas vouloir voir. Cet éclairage saisissant met en pleine lumière ce qui s’est mis progressivement en place depuis les années 2000 et qui n’a cessé de se construire et de monter en puissance. Quelques phases intenses ponctuent cette progression : 2000. La seconde intifada se joue aussi en banlieue. Synagogues et écoles juives brulent ou sont caillassées, tandis que les juifs repérables sont insultés ou molestés. Dans les écoles de la République il ne fait pas bon être un écolier juif dans le 9-3. C’est dès cette époque que la République perd une partie de ses territoires. Deux rapports commandités  par le ministère de l’Éducation nationale ou par le Premier ministre, le rapport de Jean-Pierre Obin ou celui de Jean-Christophe Ruffin (en 2004) pointent les faits et nomment les causes, mais c’est un étonnant silence des pouvoirs publics autant que des commentateurs médiatiques qui accueille ces deux textes alarmants. Pour ne pas désespérer, le 9-3 les médias et la majorité des intellectuels refusent de considérer la question que l’antisémitisme nouveau pose.

 

Pour le gauchisme ordinaire, c’est encore et toujours Israël et son idéologie, le sionisme, le coupable numéro un. Il faut attendre qu’il y ait mort d’homme pour qu’enfin la bonne conscience consente à ouvrir un œil. Le grand mérite de Knobel est de mettre en parallèle ces deux attitudes : la myopie de ceux qui faisaient profession de vigilance et la progression inéluctable de la haine antijuive devenue banale. L’assassinat d’Ilan Halimi (2006) apparaît comme un signal fort, mais cet avertissement affectera surtout la communauté juive qui se retrouve bien seule à manifester son accablement. « Dieudonné en a rêvé, Fofana l’a fait » commentera Julien Dray.

 

Des mots, de la haine à prétention humoristique on était passé aux actes. Le refus de qualifier le crime « d’antisémite » pour le réduire à sa seule dimension crapuleuse, témoignera aussi de l’incapacité de considérer le réel dans sa réalité. Six années plus tard, la tuerie de Toulouse confirmera la présence en France d’une militance antijuive active nourrie d’islamisme radical sur fond d’anti-israélisme militant. L’antisionisme est devenu le masque progressiste de la judéophobie.

 

Le livre de Knobel qui s’inscrit dans le droit fil de toutes les analyses savantes de Pierre André Taguieff apparaît comme une conclusion (provisoire) de cette première décennie. La rétrospective dresse un bilan aussi sombre qu’implacable de ce qu’on n’aurait jamais soupçonné qu’il puisse advenir en France au début du 21e siècle. En ne voulant pas prendre à temps la mesure de la menace contre les juifs, la République n’a pas pris la mesure de la menace contre elle même. Même si l’écho lointain du conflit au Proche Orient sert de réservoir fantasmatique au ressentiment de ceux qui voient dans les juifs la source de leur mal-être, il ne saurait constituer l’essentiel de la matrice culturelle de ce nouvel antisémitisme. C’est une machine de guerre idéologique qui désigne les juifs et Israël comme ennemi principal, mais cette ligne de front ne saurait dissimuler la cible secondaire : la France, l’Occident ou encore la liberté des femmes, autre objet repoussoir de l’islamisme. En révélant cette agression, le livre de Knobel montre l’étendue de la menace : ce qui menace les juifs menace la République. Puisse-t-elle tenir compte de cet avertissement. C’est tout le mérite de Marc Knobel de l’avoir formulé aussi clairement.

 

(1) Éditions Berg internationales, 350 pages. En librairie dès le 23 janvier 2013 ou en vente sur Internet.