Tribune
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Publié le 21 Mars 2006

Analyse des actes et des menaces antisémites de l’année 2005

Un état des lieux


L’année 2005 est marquée par une baisse significative du nombre des actions et des menaces antisémites. Nous faisons ce constat sous réserve d’une augmentation éventuelle des chiffres du dernier trimestre, non encore comptabilisés. Ce rapport est rédigé relativement tôt dans l’année et il ne peut tenir compte des dernières évolutions statistiques qui seraient constatées, ni a fortiori nous permettre un recul suffisant sur cette période.
Les chiffres communiqués par le Ministère de l’Intérieur pour l’année 2004 avaient été les plus élevés de ces cinq dernières années : 950 actes dont 199 actions violentes. Le SPCJ lui, recensait 294 actions violentes sur l’année 2004, indiquant ainsi qu’une partie de ces actions échappaient encore au recensement du Ministère de l’Intérieur, soit parce que n’ayant pas fait l’objet d’une plainte, soit, plus rarement, parce que n’ayant pas été retenues par les services de police avec la qualification d’antisémitisme.
En 2005, les statistiques, tant celles du Ministère de l’Intérieur que celles du Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ), indiquent une baisse d’un peu moins de 50% des chiffres relatifs à l’ensemble des actes antisémites.
Les statistiques du SPCJ des mois de janvier à octobre 2005 inclus font état de 117 actions et 135 menaces soit un total de 252 actes antisémites. A cette même période de l’année 2004, nous avions atteint un total de 241 actions et 243 menaces, soit un total de 484 actes. C’est la catégorie des actions qui montre la baisse la plus importante, passant de 241 à 117.
Nous considérons que les statistiques indiquent une tendance mais qu’elles ne peuvent prétendre donner une vision exhaustive du nombre d’actes antisémites commis. Une partie difficilement quantifiable de ces actes échappe encore à tout recensement, tant auprès des services du Ministère de l’Intérieur qu’auprès du SPCJ. On peut rapporter l’estimation des chiffres noirs de la délinquance générale aux actes antisémites. Le Ministère de l’Intérieur fait état pour les dix premiers mois de l’année d’un recensement d’environ 74 violences contre la communauté juive. Le SPCJ indique le chiffre de 117. Cette différence est une première approche des chiffres noirs en matière d’antisémitisme, à laquelle vient s’ajouter la part parfaitement inconnue, à la fois du Ministère de l’Intérieur et du SPCJ.
Une décrue du nombre des actes avait déjà été observée sur les deux derniers mois de l’année 2004, baissant ainsi la moyenne générale du quatrième trimestre. Ce constat venait apporter une légère note d’optimisme alors que les chiffres annuels avaient été les plus importants de ces dernières années, que les actions antisémites semblaient s’enraciner structurellement, en dehors de toute poussée conjoncturelle liée à telle ou telle situation internationale, en particulier moyen-orientale.
Ce dernier aspect de l’analyse semble cependant se confirmer. Les courbes annuelles ne démontrent aucune hausse particulière qui serait liée à des tensions ou des embrasements du conflit israélo-palestinien comme cela avait été très clairement le cas entre les années 2000 et 2003. Pour autant, la référence au peuple palestinien reste présente dans l’expression de l’antisémitisme en France.
En témoigne par exemple ce graffiti édifiant relevé sur des portes palières dans un immeuble du 19ème arrondissement de Paris au mois d’août 2005 : « Nique les juifs. Les nazis et les Ben Laden sont de retour – tous les gars de l’OPJ sont des putains de youpins – nique votre race de juifs – nique tous les juifs car ils font du mal à la bande de Gaza ».
Ces inscriptions sont une synthèse efficace de la perception que leurs auteurs ont des Juifs, de leur définition en tant que « race », des raccourcis (significatifs) qu’ils opèrent (malgré eux) entre les finalités du nazisme et de Ben Laden et enfin d’une police, symbole de l’autorité et vendue, selon eux, aux Juifs tous-puissants ; l’ensemble du propos se rapportant à la situation des Palestiniens de la bande de Gaza, évacuée à cette exacte période par l’armée israélienne.
En réalité, cette perception peut à l’occasion être aussi un puissant moteur du passage à l’acte qui, lorsqu’il est retourné contre des personnes, peut s’avérer d’une rare et grave violence.
En témoigne encore l’agression d’une jeune fille juive à la sortie de son établissement professionnel dans l’Essonne en septembre 2005, littéralement passée à tabac par six lycéennes dont une avait repéré quelques jours auparavant que leur victime portait un bracelet de fil rouge au poignet, selon elle « signe de la Kabbale d’Israël ».
En examinant ainsi au fil des mois la liste des actes relevés au travers d’appels téléphoniques de victimes sur la ligne verte du SPCJ ou bien de ceux communiqués à ce même service par les services du Ministère de l’Intérieur, il se dégage l’idée très nette que si les actes et les menaces ont baissé en nombre, ils n’ont pas perdu de leur gravité en terme de contenu et de significations idéologique et sociale.
Régulièrement, des hommes, des femmes, des jeunes de religion juive sont pris à partie, parfois tout à fait banalement dans des affaires de délinquance ou d’incivilités quotidiennes. La découverte de la religion juive des victimes par les agresseurs, parce qu’ils leur en pose clairement la question, devient alors en quelque sorte un facteur aggravant. Dans les cas de vols et d’extorsion de vêtements ou d’objets par exemple, la victime, si elle est juive, peut essuyer des violences supplémentaires accompagnées d’insultes antisémites.
Dans d’autres cas, l’identité juive des victimes est d’emblée évidente pour les agresseurs, qui les insultent ou violentent pour ce seul fait. Cette violence touche le plus souvent des jeunes se trouvant à proximité d’écoles juives ou sur les trajets scolaires, des fidèles se rendant à la synagogue ou d’autres lieux de vie communautaire. Les victimes sont le plus souvent identifiables par leurs vêtements, le port de couvre-chefs ou de signes extérieurs de piété. Certaines victimes subissent des agressions répétées. Le phénomène que nous décrivons depuis plusieurs années comme une banalisation de l’insulte antisémite s’ancre dans les comportements. Les différents de tous types, les querelles de voisinage, les relations sur le lieu de travail, les altercations sur les marchés s’enveniment de propos antisémites.
Ce constat n’est pas limité aux cités et aux quartiers difficiles, à l’origine principaux lieux d’expression des violences antisémites parmi d’autres violences quotidiennes. Ce climat a essaimé vers d’autres lieux et quartiers.
Il apparaît aussi, à l’inverse, que dans des cas d’agression physique contre des personnes juives, il n’y ait pas d’insulte antisémite proférée contre la victime alors que clairement, c’est sa judéité qui est visée, en dehors de toute autre motivation à cette agression. Un jeune homme juif a ainsi été agressé physiquement et battu dans les toilettes de son université, sans motif apparent, si ce n’est que son nom a une consonance juive sans équivoque. Ce type de cas pose problème dans la mesure où, en l’absence d’expression antisémite, cette qualification n’est pas retenue par le juge contre le prévenu lors de la comparution pour violence et que l’affaire n’est pas comptabilisée dans les statistiques officielles.
Nous avons d’une certaine manière atteint le noyau dur de la question qui nous préoccupe : ces actes et ces menaces reflètent les différentes dimensions de l’antisémitisme d’aujourd’hui, de ses racines, connues, et de confluences politiques ou sociales plus récentes, complexes mais que nous savons analyser.
L’antisémitisme qui s’exprimait en quelque sorte par opportunisme a baissé en intensité mais les manifestations déterminées persistent et persisteront. L’antisémitisme et ses expressions ont été profondément modifiés entre la période d’avant octobre 2000 et celle qui s’en est suivie et dans laquelle nous nous trouvons. Nous pourrions comparer cette situation à l’image d’une expérience de physique qui déformerait excessivement un corps, celui-ci ne parvenant à reprendre sa forme initiale qu’au terme d’un long laps de temps. Il est également vraisemblable que nous ne reviendrons pas à la situation statistique qui prévalait avant octobre 2000 car depuis, les outils de mesure des actes antisémites ont été développés. Nous observons donc avec une plus grande acuité des actes qui pour une certaine part d’entre eux existaient peut-être auparavant mais échappaient au recensement. Nous restons ainsi sous l’effet d’une atmosphère de fond constante, qui imprègne les consciences et les opinions et laisse une perception très prégnante de l’antisémitisme. Il faudra du temps pour que les dommages causés dans ce domaine au cours des dernières années soient réparés dans les faits et dans les esprits.
Pour en revenir à la baisse statistique observée en 2005 et tenter d’en expliquer les raisons, il est clair que la politique déployée depuis 2003 par le gouvernement en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme a porté ses fruits, de même que les efforts engagés sur le terrain par les pouvoirs locaux. L’effet probablement dissuasif de sanctions prononcées par les juges contre les prévenus d’actes antisémites peut avoir aussi contribué à cette amélioration ainsi que certaines initiatives remarquables, engagées à plus long terme par des associations de lutte antiraciste ou promouvant sur le terrain le dialogue et la connaissance de l’autre.
Ce changement de situation est aussi certainement imputable à la façon dont les médias se sont intéressés à la question de l’antisémitisme et ont accompagné la prise de conscience à la fois des pouvoirs publics et de l’opinion.
Les médias ont également évolué en faveur d’un rééquilibrage dans le traitement du conflit israélo-palestinien. Il nous a paru évident que la vue ou la lecture partielles qui ont été faites de l’Intifada et des actions militaires israéliennes pendant plusieurs années ont contribué à un échauffement des esprits qui a pu nourrir les actes et les menaces antisémites. Elles ont surtout donné des justifications à l’expression d’un antisémitisme qui ne cherchait que prétexte à s’exprimer par le biais d’une délégitimation d’Israël, ce qui est fort éloigné du bon droit évident de critiquer tel ou tel aspect de la politique israélienne.
Enfin, l’impressionnante et remarquable couverture médiatique du 60ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz a certainement été aussi l’occasion de faire réfléchir et travailler l’opinion sur la perception de l’antisémitisme et plus largement du racisme. Il est intéressant de noter qu’à cette occasion, certains journalistes ont posé la méritante question du rapport entre, d’une part, le devoir de mémoire concernant l’extermination des Juifs d’Europe ainsi que la présence et l’engagement marqué par le chef de l’Etat et des membres de son gouvernement aux commémorations et d’autre part, la difficulté apparente des relations entre la France et Israël, incarnation actuelle des Juifs bien vivants. La visite fructueuse à Paris du Premier Ministre israélien Ariel Sharon a donné quelques éléments de réponse positifs à ce questionnement.
Le devoir de mémoire a montré qu’il pouvait aussi être perverti et manipulé à des fins de concurrence entre les diverses victimes de telle ou telle sinistre période de l’histoire, voire brandi de manière à monter les héritiers de ces souffrances les uns contre les autres dans des affrontements un peu trop rapidement qualifiés de communautaires.
La traite négrière, évoquée dans ces polémiques, a été sur plusieurs siècles le commerce humain de millions de femmes et d’hommes africains d’abord sur leur propre continent et en terre d’Islam puis au bénéfice des puissances européennes d’alors et des Amériques. Imputer les carences de sa reconnaissance, voire sa pratique, au prétendu « lobby sioniste » ou « lobby juif » est un raccourci pour le moins douteux. Cette polémique, ainsi que d’autres sur les thèmes de la concurrence entre les victimes de l’antisémitisme et celles du racisme allument des incendies mais ne règlent rien au fond, ni sur la reconnaissance des souffrances et des identités, ni d’avantage sur les ratées de l’intégration et les discriminations d’aujourd’hui.
En exprimant de façon grossière l’idée selon laquelle, on reconnaîtrait aux Juifs la mémoire de leur souffrance tout en niant celle des autres victimes de l’histoire, on va au-delà de cette part de fantasme dont se nourrit l’antisémitisme, cette formule entendue de façon récurrente parmi les jeunes des cités qui disent communément « les Juifs ont tout, nous n’avons rien ». Les polémiques tenant à la reconnaissance des souffrances et des mémoires collectives sont pour certains une manière de dire qu’on leur vole jusqu’à cette part immatérielle d’eux même, alors que les Juifs eux, auraient non seulement reconnaissance mais encore réparation. Le respect des mémoires, de toutes les mémoires, est légitime et nécessaire, mais l’instrumentalisation de la mémoire juive à cette fin est une pratique misérable dont la tendance haineuse ne doit tromper personne.
C’est avec une certaine inquiétude que nous voyons ce discours évoluer, porté par des mouvements auxquels s’agrègent des mouvances idéologiques qui se croisent au gré de l’anticapitalisme, de l’antiglobalisation, de la haine des Etats-Unis et d’Israël, considéré comme son suppôt et de la cause du tiers-monde, incarnée par la misère palestinienne.
L’antisémitisme sur l’Internet
L’Internet d’aujourd’hui est le vecteur par excellence de propagation du racisme et de l’antisémitisme, puisqu’il est communément utilisé soit par des particuliers, soit par des groupuscules et/ou officines qui profitent de l’internationalisation du système pour diffuser leur haine, le plus souvent de l’étranger. Un certain nombre de sites musulmans fondamentalistes ont pu à un certain moment de leur existence être hébergés en France. Ils encouragent le Djihad et publient ou reproduisent des textes antisémites, notamment les Protocoles des Sages de Sion. Par ailleurs, sous le couvert d’une dénonciation de la politique israélienne, certains sites militants n’hésitent pas à pactiser avec l’islamisme radical, fermant les yeux sur les discriminations qu’il promeut. Enfin, quelques sites sont dans la surenchère victimaire systématique, celui des « Ogres » notamment, reprend les thématiques de concurrence des victimes dont il est question plus haut. .
Pour tenter de réguler les sites antisémites, la France s’est dotée d’une loi sur l’économie numérique qui a notamment pour objectif de transposer dans la législation française des directives européennes mais aussi, et c’est une avancée majeure dans la législation, de responsabiliser les principaux acteurs de l’Internet, notamment les hébergeurs (professionnels qui hébergent des sites) et les fournisseurs d’accès (professionnels qui donnent accès à l’Internet). Cette loi importante a été appliquée lors d’une procédure intentée en février 2005 par différentes associations antiracistes contre le site négationniste francophone l’AAARGH. (Association des anciens amateurs de récits de guerres et d’holocaustes) qui proposait sur sa page d’accueil 230 brochures antisémites ou négationnistes en libre accès et des centaines de textes antisémites. Par ordonnance du 13 juin 2005, le Tribunal de Grande Instance de Paris a enjoint les principaux fournisseurs d’accès de France de mettre en œuvre toutes mesures propres à interrompre la diffusion de ce site négationniste, les contraignant ainsi à filtrer le site de l’AAARGH auprès des internautes français.
Cet exemple montre que la lutte contre l’antisémitisme sur l’Internet n’est pas vaine contrairement aux déclarations fatalistes entendues il y a peu encore. Le combat est certes difficile en raison des caractéristiques propres à la toile, mais des victoires ont été remportées et elles doivent inciter à poursuivre les actions possibles.
L’antisémitisme dans les programmes de télévisions satellites
Dans les années 2002, 2003 et 2004, des télévisions arabes et iraniennes ont reproduit des clichés et stéréotypes d’un antisémitisme virulent dans des émissions, fictions ou documentaires. Ces chaînes étaient diffusées en France au moyen de satellites. La chaîne télévisée iranienne Sahar1 avait diffusé en 2004 une version légèrement modifiée de la série antisémite « Al Shatat » dont la diffusion antérieure par la chaîne télévisée libanaise Al Manar, proche du Hezbollah, avait notamment motivé l’interdiction de diffusion de cette dernière sur le territoire français.
Fort de ce précédent et du succès des procédures engagées auprès du Conseil d’Etat, le CSA, dans une ordonnance du 10 février 2005, a interdit la diffusion de la chaîne Sahar 1, rappelant que les traits manifestement antisémites d' « Al-Shatat » ont été la cause principale de l'interdiction en France d'Al-Manar TV. Eutelsat ne diffuse plus Sahar 1 depuis le 10 mars 2005.
En octobre 2005, c’est au tour de la chaîne jordanienne indépendante Al Mamnou de diffuser le feuilleton antisémite « Al Shatat ». Al Mamnou est diffusée par Nilesat. Peu avant la diffusion d’Al Shatat, Walid Hadidi, PDG de la chaîne avait indiqué au journal Al-Hayat que la série antisémite serait retransmise à d’autres pays arabes et en Italie.
Cet enchaînement de diffusion doit nous inciter à la plus grande vigilance. En réalité et au-delà de l’exemple du feuilleton Al Shatat, nombre d’émissions de chaîne télévisées véhiculent des incitations à la haine, au racisme et à l’antisémitisme ou font l’apologie du terrorisme. La France s’est montrée extrêmement attentive à cette problématique. L’affaire Al Manar a connu un nouveau rebondissement cette année avec l’interruption du signal d’Al-Manar vers l’Asie et l’Amérique du Sud qui était relayé par la société Globecast, filiale de France Télécom. Ces actions peuvent et doivent servir de modèle pour l’ensemble des pays européens.
Le CRIF a largement défendu le point de vue d’une coopération en la matière lors de la conférence de l’OSCE qui s’est tenue à Cordoue en juin 2005, afin d’inciter ses Etats membres à élargir leurs pratiques sur le problème des contenus racistes et antisémites de certaines télévisions satellitaires, à rassembler leurs ressources en matière d’observation de ces contenus racistes et antisémites et enfin inciter les professionnels de la télévision par satellite, particulièrement ceux qui ont la charge d’établir les liaisons montantes, à s’assurer qu’elles ne comportent pas de contenus illicites.
L’antisémitisme dans les radios.
A plusieurs reprises, le CRIF a attiré l’attention du CSA sur la responsabilité de stations de radio, notamment Radio Méditerranée, qui depuis plusieurs années, se livrent régulièrement à des diatribes antisémites, notamment lors des séquences ouvertes aux questions et discussions avec les auditeurs.
Les signalements opérés par le CRIF ont conduit le CSA à renforcer sa vigilance. Il a relevé dans le courant de l’année 2005 des propos antisémites sur les ondes et a adressé des mises en garde ou des mises en demeure, notamment à radio Méditerranée FM. Le Conseil a estimé que des propos tenus sur cette radio étaient contraires aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Voici les propos que l’on pouvait entendre le 31 mars 2005, lorsque l'un des animateurs de Radio Méditerranée a déclaré lors d’un passage de Dieudonné à l’antenne: « Les juifs du Moyen-Orient ont participé amplement aux vagues d'esclavage puisque beaucoup de commerçants étaient juifs », Ce à quoi Dieudonné a répondu : « [...] La vérité, c'est qu'effectivement, ce peuple juif qui se dit persécuté de toujours a aussi participé à des persécutions ignobles. Il faut aussi qu'il assume [...] ».
A une autre occasion, le 10 avril 2005, l'animateur de l'émission Tribune libre déclarait: « [...] Le judaïsme, je l'ai déjà dit, ça reste une religion qui est un club privé, il faut presque une golden carte pour en faire partie. Je veux dire, ça reste un club de privilégiés, un club de nantis et un club extrêmement fermé aux autres, qui se replie et qui mourra par lui-même parce qu'il est tellement replié sur soi qu'il ne se renouvellera plus [...] ».



Musiques
La musique peut s’avérer être un support servant à véhiculer des prises de position politiques ou idéologiques nourries parfois d’antisémitisme, le plus souvent, ils soutiennent la cause palestinienne dans des termes qui rejoignent l’anti-sionisme et la haine d’Israël. Les styles musicaux concernés sont variés : rap, hip-hop, rock identitaire. L’impact de ces musiques est essentiellement lié à l’artiste ou au groupe musical mais aussi à leur mode de distribution. Là encore, le vecteur Internet joue un rôle très important car il permet de voir apparaître avec peu de moyens, des personnes et des groupes qui autrement auraient été exclus des circuits commerciaux classiques. Par phénomène de mode, des textes provocateurs et extrêmes circulent sur un mode d’échange libre. La chanson « Niquer les juifs » du groupe « Pass- pass », découverte sur l’Internet est d’une virulence antisémite qui reste marginale.
L’essentiel reste concentré sur le conflit israélo-palestinien, thème qui se retrouve souvent dans les chansons de rappeurs qui se revendiquent musulmans ou convertis à l’islam. La plupart des chansons sont téléchargeables gratuitement.
A titre d’exemple, le groupe Razbool dans la chanson « jet de pierre contre canon » prône l’Intifada et fait l’apologie des attentats suicides: « en Cisjordanie on crève comme dans le ghetto de Varsovie », « c’est un Etat qui opprime, assassine tout un peuple en Palestine », « j’ai choisi mon côté, l’Intifada ». « l’humiliation pousse les plus démunis à devenir des bombes » , « la mort comme seul remède à leur souffrance ».
Ce phénomène est récent et il tendra certainement à se développer dans les prochaines années.
L’antisémitisme dans les établissements scolaires
Le cas particulier de l’antisémitisme dans les écoles, collèges et lycées auquel nous avions déjà consacré une analyse séparée dans notre contribution de l’année 2004 au rapport de la CNCDH, est l’objet cette année d’une attention particulière de la commission, dans le cadre plus large du racisme et des discriminations.
En 2004, l’inspecteur de l’éducation nationale, Jean-Pierre Obin dans son rapport sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaire, consacrait un passage de son analyse aux manifestations d’antisémitisme. Il confirmait alors « l’ampleur et la gravité d’un phénomène (…) les insultes, les menaces, les agressions, bien ciblées cette fois-ci, se multiplient à l’encontre d’élèves juifs ou présumés tels, à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements ». Il finissait en ces termes : « Quoiqu’il en soit, si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme antimaghrébin, ce n’est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme anti-juif. Il est en effet, sous nos yeux, une stupéfiante et cruelle réalité : en France les enfants juifs - et ils sont les seuls dans ce cas - ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n’importe quel établissement ». Nous avions déjà pu vérifier cette conclusion au travers d’un certain nombre de cas dont nous avions eu à traiter lors des années qui avaient précédé.
L’enquête « Y a-t-il des sujets tabous à l’école ? » publiée dans le mensuel L’Histoire au mois de septembre 2005 est venue remettre à l’ordre du jour les constats antérieurs, ceux des difficultés liées à l’enseignement de certaines matières ou sujets, du malaise et de l’impuissance des enseignants, de l’antisémitisme, de l’irrespect du principe de la laïcité.
La vigilance du CRIF est restée et reste permanente sur ces questions touchant au cadre scolaire car les violences et les menaces faites aux élèves juifs en raison de leur religion sont une chose intolérable. Le Ministère de l’Education Nationale a entrepris d’évaluer le phénomène et de mettre en place des structures et des outils afin de lui apporter une réponse. Cette réponse est multiple : elle fixe un cadre aux chefs d’établissement et aux enseignants, elle veille au suivi de ces problèmes, elle soutient en cas de besoin les victimes et enfin, elle promeut des outils et des actions pédagogiques.
De fait, la situation décrite dans le rapport Obin ne concerne, c’est sans doute déjà trop mais il convient de le préciser, qu’un certain nombre d’établissements qui correspondent dans leur grande majorité à une cartographie sociale qui indique un contexte général difficile. Cela dit, des établissements situés au cœur des villes, loin des cités, dans des quartiers dit favorisés, ne sont pas à l’abri de ces manifestations d’antisémitisme. On se souvient de certains cas concernant des établissements réputés ayant défrayé la chronique les années passées.
Lorsque c’est le contexte social avoisinant qui est en cause, la situation des victimes devient difficile car les menaces et les agressions se poursuivent hors des établissements scolaires. Le CRIF a longtemps défendu l’idée d’un maintien des élèves juif agressés dans leur établissement d’origine, regrettant que nombre d’entre eux aient été scolarisés dans d’autres collèges ou lycée, alors que leurs agresseurs, eux, réintégraient leur classe au terme de leur exclusion quand elle n’était pas définitive. Nous estimions alors que les victimes juives étaient doublement punies par ce changement d’établissement. Il s’avère que dans certains cas, cette insistance est irréaliste. Les élèves qui ont été agressés ne peuvent pas rester dans leur établissement, quand bien même c’est fortement souhaité par les proviseurs, car « il pèse sur leur tête un contrat », comme l’explique une mère d’élève, une vengeance promise par ce qui reste de l’entourage des agresseurs pour l’exclusion définitive qui est venue sanctionner leur acte. Ces situations sont heureusement marginales et restent en premier lieu de l’appréciation des familles mais elles dénotent l’état de dégradation de certains contextes sociaux et rejoignent les termes du rapport Obin.
L’établissement peut ainsi réagir parfaitement aux violences et aux menaces faites aux élèves juifs, mettre en œuvre les procédures nécessaires et les sanctionner lourdement, mais parfois, le milieu ambiant extérieur au lycée reste dominant. L’idée selon laquelle l’école devrait être un sanctuaire déconnecté de son environnement montre là son irréalisme.
Nous recensons des agressions et des insultes antisémites, à l’intérieur et aux environs immédiats des établissements scolaires publics ainsi qu’envers des élèves fréquentant les écoles juives, à leurs abords et lors des trajets vers des lieux de sortie pendant le temps scolaire, notamment les terrains de sports. Nous observons aussi une pratique de jets de projectiles divers, pierres, bouteilles de verre et produits toxiques en direction des écoles juives, parfois dans leurs cours de récréation. Ces agressions sont pour l’essentiel concentrées dans des quartiers de forte mixité ethnique.
A l’image de la baisse du montant des signalements dont nous disposons pour les actions et violences antisémites générales, ceux concernant le milieu scolaire sont également moins nombreux. Ajoutons que lorsque nous répercutons nos informations vers le ministère de l’Education Nationale, la grande majorité d’entre elles est déjà connue des services. Ces cas ont fait l’objet d’un signalement et sont en cours de traitement. Ce constat indique que globalement, l’institution scolaire est mieux renseignée sur les faits commis et que ceux-ci font l’objet d’un suivi. A cet égard, le logiciel SIGNA qui permet un recensement des actes de violence sur une base déclarative des chefs d’établissement du second degré, a permis une amélioration conséquente de la connaissance du terrain.
L’éducation nationale n’est pas seule concernée par la lutte contre l’antisémitisme dans et aux abords des établissements. Les ministères de l’intérieur et de la justice ont conjugué leurs efforts afin de traiter globalement ces cas de violences au plan de l’administration scolaire, de la police et de la justice. Le CRIF avait eu l’occasion au cours de consultation menée à la fin de l’année 2003 de regretter la difficulté à qualifier les faits, la longueur des délais de réaction et le manque d’information des victimes dans les cas d’antisémitisme en milieu scolaire. Une circulaire du mois de septembre 2004 signée par les trois ministres de l’éducation nationale, de l’intérieur et de la justice sur les mesures visant à prévenir, signaler les actes à caractère raciste ou antisémite en milieu scolaire et sanctionner les infractions est venue formaliser des méthodes de travail en cours d’expérimentation.
Dans les cas les plus graves, une plainte est déposée, soit par les parents, soit par l’établissement et parallèlement, l’affaire est réglée au niveau de la direction de l’établissement au moyen de sanctions, et ou de mesures et travaux pédagogiques.
Dans les cas moins voyants, il arrive encore que des élèves juifs chahutés hésitent à affronter les fauteurs de troubles, voire les enseignants ou les chefs d’établissement lorsque ces derniers ne font pas la preuve d’une volonté d’entendre leur difficulté et d’y remédier. Parfois, ce sont les enseignants eux-mêmes qui tiennent des propos généralisateurs, imputant plus ou moins clairement tel ou tel comportement à la judéité des élèves. Les élèves juifs souffrent alors doublement car ils préfèrent faire profil bas afin d’éviter des nuisances supplémentaires. Ces problèmes ressortent souvent à l’occasion d’une fin d’année ou de scolarité dans un établissement, lorsque les familles pensent n’avoir plus rien à risquer. Ce constat entre rarement dans nos statistiques car les faits sont le plus souvent anciens et difficiles à éclaircir.
Finalement, c’est un bilan en demi-teinte que nous pouvons tirer des éléments annuels concernant l’antisémitisme en milieu scolaire. D’une part, la baisse quantitative des données du SPCJ, moins renseignées comme cela se conçoit que celles recueillies par le logiciel SIGNA. D’autre part, la persistance des manifestations constatées les années passées sous leurs différentes formes dans des établissements ou des quartiers sur lesquels le système ne semble avoir de prise.
Cette persistance indique la difficulté qu’il y a sur certains terrains, ou territoires pour reprendre l’expression, à faire aboutir aux travers des enseignements classiques et des programmes un travail pédagogique de fond sur les notions de tolérance, de vivre ensemble et de respect. Peut-être faudrait-il, comme nous le suggérons depuis longtemps, développer des outils spécifiques et soutenir les enseignants en leur offrant la possibilité de formations nouvelles afin qu’ils puissent réinvestir ces domaines. Ces outils pourraient être des méthodes concrètes de travail sur les préjugés et les stéréotypes, ou encore le dégagement de pratiques de classe pouvant servir de modèle.
Les associations bénéficiant d’une convention leur permettant d’intervenir dans les établissements peuvent aussi jouer un rôle important dans ce domaine. Le projet COEXIST, mené conjointement par l’Union des Etudiants Juifs de France et les Clubs Convergences en est un excellent exemple. Il consiste à faire intervenir des binômes représentant chaque association dans les collèges et les lycées afin de lutter contre le racisme et l’antisémitisme en restaurant les possibilités de dialogue et de connaissance de l’autre.
Nous tenons à souligner que parallèlement à des initiatives qui s’avèrent excellentes et répondent à l’ensemble des impératifs d’une école laïque et respectueuse de la neutralité politique et religieuse, des projets de vie scolaire, des itinéraires de découverte, des projets d’établissement sont à l’inverse tendancieux et dangereux. Certains d’entre eux, centrés sur le conflit israélo-palestinien sont mis sur pied par des enseignants dont le militantisme, tout aussi légitime soit-il par ailleurs, devrait s’arrêter aux portes de l’école.
Conclusion
L’année 2005 a été marquée par une nette amélioration de la situation de l’antisémitisme en terme statistique mais la vigilance ne doit certainement pas faiblir. Nous devons être proactif et saisir l’occasion de cette période d’accalmie afin de réfléchir avec recul et plus profondément aux causes qui ont provoqué la crise de ces dernières années et tenter d’y remédier.
Ce que nous préconiserions en matière de lutte contre l’antisémitisme est de promouvoir toujours d’avantage la connaissance de l’autre, le dialogue, et un travail de terrain de lutte contre les préjugés. Les personnels de l’Etat qui sont impliquées dans la prise en charge des questions de racisme et d’antisémitisme ont également besoin de formations afin d’être éclairés et soutenus dans l’accomplissement de leurs fonctions. A cet égard, des séminaires de formation à l’attention des officiers de police judiciaire, des juges, et des personnels enseignants sur l’antisémitisme, voire le sionisme sont selon nous à même d’aider à mieux comprendre et nommer les choses.
Le dialogue interreligieux est une seconde piste qu’il faut pousser plus avant. Depuis plusieurs décennies, le dialogue judéo-chrétien a permis de lisser les relations des deux religions en favorisant la compréhension et l’acceptation réciproque. L’instauration de ces relations de confiance doit servir d’exemple. Un autobus de l’amitié a parcouru les grandes villes de France en juin et juillet 2004. Cette initiative est à mettre au crédit de l’Association de l’amitié judéo-musulmane, créée en novembre 2003. A chacune des étapes du bus, ses occupants, juifs et musulmans étaient attendus par leurs correspondants locaux afin de partager avec eux le cadre d’un dialogue ouvert à tous. Ce dernier aspect d’ouverture nous semble très important, les questions d’antisémitisme et de racisme de même que le dialogue qu’entreprennent Juifs et Musulmans doivent intéresser l’ensemble de la société française.