Tribune
|
Publié le 11 Juillet 2005

Bienvenue au nouveau conseil français du culte musulman !

Le 19 Juin dernier, des élections se sont tenues dans les mosquées de France afin de désigner les représentants destinés à siéger au sein d'un conseil dont la mission est de gérer le culte musulman : organisation de l'aumônerie des prisons ou des hôpitaux, désignation de carrés musulmans dans les cimetières municipaux, érection de nouvelles mosquées, distribution de la viande Hallal, formation des imams dont les musulmans ont tant besoin pour l'enseignement et la prière dans les mosquées.



Cette élection n'était pas la première. La précédente avait eu lieu deux ans auparavant.

De nombreuses associations étaient en lice. Les principales fédérations étant celles de la Grande Mosquée de Paris qui sous l'autorité de son recteur, le Docteur Dalil Boubakeur, personnalité rayonnante qui sera amenée à présider ce conseil regroupe plusieurs centaines de mosquées en France - la Fédération Nationale des Musulmans de France dont l'influence et les membres sont plutôt d'origine marocaine et enfin, l'UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) dont on dit que par certains de ses membres, notamment ceux représentés à Londres au Conseil Européen pour la fatwa et la recherche, et par son idéologie, elle est proche des Frères Musulmans.

La campagne électorale et la préparation de ces élections fut laborieuse. L'aide attentive des pouvoirs publics a permis la réalisation de ce scrutin et à 1 200 mosquées de désigner 5 200 délégués. Ces grands électeurs désigneront eux-mêmes leurs instances composées comme toutes associations loi de 1901, d'une assemblée générale, d'un conseil d'administration, d'un bureau et enfin d'un président associé d'une ou plusieurs vice-présidences.

Le premier problème que la communauté musulmane religieuse a eu à affronter est celui d'utiliser un système électoral fondé sur la désignation des délégués suivant le nombre de mètres carré de surface de la mosquée. C'est un mode de désignation original qui pour certains a le désavantage d'exclure tous ceux qui sont en dehors des mosquées - les laïques, les libéraux, les femmes, les jeunes. Mais pour d'autres, peut-on reprocher à un projet d'organiser le culte musulman de reposer sur les mosquées et d'écarter ceux qui ne les fréquentent pas ?

Au regard du bilan des deux années passées, certains remettent en cause toute cette procédure. Fallait-il faire ou ne pas faire un CFCM ? Aujourd'hui, le CFCM existe, il faut saluer son existence, l'accueillir dans la vie institutionnelle à la "table de la République" comme le dira le ministre de tutelle chargé des cultes de l'époque.

Enfin, la position de l'opinion publique est plus nuancée. Si elle assiste avec une certaine inquiétude aux luttes qui opposent certains de leurs leaders, elle craint à juste titre les influences étrangères que celles-ci proviennent des pays dont beaucoup de musulmans en France sont originaires ou de certains pays du Golfe, bailleurs de fonds. Il reste pas moins que beaucoup d'électeurs sont citoyens français, notamment les jeunes et que les problèmes de l'histoire de la France dans l'Ancien Empire Colonial ou celui du conflit Occident-Orient à type de "choc des civilisations", restent des problèmes bien présents dans la réalité quotidienne des musulmans de France pour ceux qui veulent en faire un drapeau et une raison d'affrontements.

Présents en France depuis XX siècles, entrés dans la citoyenneté après la Révolution Française il y a plus de 200 ans, les citoyens français de religion juive ont expérimenté la condition d'étrangers pour l'avoir connue dans l'histoire, depuis l'esclavage dans l'Égypte des pharaons ainsi que le relate la Bible.

La communauté juive connaît aussi la condition d'émigré, les difficultés de l'intégration, les refus de l'assimilation. Les règles établies par l'autorité napoléonienne aboutissant à la création d'un Consistoire Israélite de France en 1806 étaient drastiques et comportent pour l'entrée des musulmans dans la communauté nationale un enseignement qui reste significatif à plus de deux siècles d'intervalle. Qu'on relise les questions posées par le Ministre de l'Intérieur de l'époque aux représentants de la communauté juive réunis en Sanhédrin regroupant les 70 sages de l'époque comportant laïques et religieux sous la présidence du Grand Rabbin Sintzheim.

Ces questions revêtent une grande actualité concernant notamment la polygamie, le mariage, le rapport avec les français qui ne sont pas de leur religion et enfin, cette question d'une actualité brûlante : "les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français, regardent-ils la France comme leur patrie ?"

"Ont-ils l'obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d'obéir aux lois et de suivre les dispositions du Code Civil? etc..."

Le grand philosophe juif Emmanuel Lévinas recevant la naturalisation française la recevait disait-il "comme une grâce". Bien qu'utilisant à sa façon un mot à connotation religieuse, il savait que cette grâce n'était pas donnée et que pour autant, elle comportait un certain nombre de responsabilités.

Sans aucun doute, c'est dans cette disposition que sont aujourd'hui ceux que les musulmans viennent de désigner. Le système est imparfait, les problèmes sont considérables gageons que sous la conduite de leurs élites dont certaines sont connues et d'autres à venir, l'islam de France acquerra avec le temps la sagesse et le sens des responsabilités.

La vie des associations enrichie la France de leurs différences. Aucune cependant, n'est dispensée d'observer la règle générale - racisme, antisémitisme, islamophobie ne sont pas la bonne réponse à un ressenti misérabiliste.

C'est encore une fois, au travers de l'histoire de la communauté juive que l'islam retrouvera un certain nombre de ses valeurs et de ses principes aux nombres desquels il faut retenir la proximité du fidèle à Dieu, l'absence de clergé, le scrupuleux respect du droit sur lequel repose les valeurs morales qui les caractérisent. L'Islam ainsi constitué en associations regroupées dans un Conseil, aura à répondre aux trois défis que sont la laïcité, l'entrée dans la modernité et le rejet du fondamentalisme intégriste, adepte de la polygamie, du mariage des filles impubères, des châtiments corporels, de la lapidation de la femme adultère ainsi que de la mise à mort de l'apostat.

Accueillons le nouveau CFCM, saluons la haute stature et le sens de l'intérêt général de son président, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur.

L'enjeu est de taille, il s'agit de la reconnaissance du visage de l'autre dans son éminente dignité.

C'est ainsi que suivant la parole du prophète Osée, "la vallée du malheur deviendra comme la porte de l'espérance."

Professeur Bernard KANOVITCH, Président de la commission "Relations avec les musulmans" du CRIF