Tribune
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Publié le 5 Mars 2007

Jacqueline Keller, une femme de conviction

Directrice du CRIF de 1981 à 1995,Jacqueline Keller continue à se battre sans relache pour ses idées. Elle repond aux questions de Claude Hampel, directeur des Cahiers Bernard Lazare qui l'interroge dans le numero de mars 2007


Cahiers Bernard Lazare :
De quand date votre engagement au sein des institutions juives de France en général et au CRIF en particulier ?
Jacqueline KELLER :
Très jeune je me suis impliquée dans l’associatif en devenant une militante. Passionnée par le journalisme, je suis devenue une « petite » journaliste à « Combat », un quotidien issu de la Résistance. J’y avais même croisé Albert Camus.
Je ne sais pas si l’on peut appeler la LICA une institution juive mais le fait est que je m’y suis engagée dès la Libération. A l’âge de 16 ans je suis montée seule à Paris pour passer mon bac en session spéciale, mes parents étaient restés dans une région pas encore libérée. Je considérais avoir été « privilégiée » et je voulais m’engager dans le combat contre le racisme et l’antisémitisme. Mais auparavant je me suis inscrite au MNCR (Mouvement national contre le racisme). Ni le MNCR ni la LICA, bien que composés à 90% de juifs, n’étaient considérés comme des organisations juives. Dans les années 60, avec l’arrivée massive des Juifs d’Algérie, je servais des repas dans une cantine pour les rapatriés. Je ne faisais que de suivre l’exemple de mon père, membre de l’association des originaires de Lublin, exerçant auprès d’une mairie la fonction d’adjoint au maire chargé de la Caisse des Ecoles, tout en adhérant à une association à caractère philosophique. Je dois souligner son attachement aux valeurs du judaïsme : un héritage spirituel familial. La cantine en question était gérée par le Fonds Social Juif Unifié et par ce biais je suis entrée, dans les années 70, à la Coopération Féminine. C’est à cette période que je suis devenue militante pour les droits des Juifs en URSS. Je n’étais pas seule dans ce combat : mon jeune fils alors âgé de 14 ans était connu des commissariats parisiens qui me demandaient, très gentiment, de venir le récupérer après une manifestation de solidarité. Dans une échauffourée avec les forces de l’ordre, ayant reçu quelques coups lors de la visite de Brejnev à Paris, il se mit à hurler : « un photographe, un photographe… ! » Dans ce contexte, j’ai eu l’idée de fonder un comité féminin de soutien aux Juifs de l’URSS avec la WIZO, la Coopération Féminine, Loge Féminine du B’nei Brith et les Femmes Pionnières, qui a fonctionné jusqu’à 1981. Alors que je me trouvais au bureau directeur de la Coopération Féminine, Claude Kelman qui présidait la coordination des Comités de soutien aux Juifs de l’URSS est venu me voir me proposant d’entrer au CRIF dont il était l’un des fondateurs. Ainsi, par cooptation, je suis entrée au Comité directeur du CRIF. J’ai commencé par travailler avec Pierrot Kaufmann qui, je dois l’avouer, était et reste en quelque sorte mon modèle. Cette fonction m’a tout de suite passionnée : j’espère que mon professionnalisme n’a rien enlevé à ma posture de bénévole. Je pense être entrée au Bureau exécutif du CRIF en 1973 et c’est en 1979/80 que Pierrot Kaufmann, souhaitant prendre sa retraite, m’a proposé de lui succéder au poste de directeur du CRIF. Je n’ai pas accepté tout de suite car l’importance du poste était considérable.
J’ai assumé la haute responsabilité de directrice du CRIF de 1981 à 1996. J’ai pensé et le pense toujours qu’il faut passer le témoin aux jeunes et c’est ainsi qu’avec l’accord de Henri Hajdenberg nous avons sollicité Haim Musicant pour le poste du directeur du CRIF, rôle qu’il assume avec beaucoup de compétences jusqu’aujourd’hui.
Je reste au CRIF avec le titre de directrice honoraire et je fais partie de diverses commissions, en premier lieu la commission du Souvenir, chargée d’organiser les commémorations.
Quel regard portez-vous sur l’avenir des Juifs de France : ont-ils raison d’être inquiets ?
Assistons-nous, selon vous, au repli communautaire ?
Je ne parlerai pas d’inquiétude, mais je dirais qu’ils ont raison d’être vigilants. Je reste toujours persuadée que la France profonde n’est pas antisémite. Je reste persuadée que divers gouvernements de droite comme de gauche ne sont pas antisémites. Je suis malgré tout inquiète parce que nous vivons dans une ère de violence même généralisée. Nous Juifs, sommes – à juste titre – sensibles aux agressions et attaques à caractère antisémite. S’il est vrai que les synagogues étaient visées en premier, il en fut de même des lieux de culte des autres religions, églises et mosquées. Ce pourquoi il faut être vigilant est la progression du Front National. Ayant alerté Me Théo Klein, alors Président du CRIF, du danger que représentaient les idées xénophobes de Jean-Marie Le Pen, il m’a alors chargée de rédiger un texte destiné à la presse pour être relayé dans l’opinion publique. Ce qui me fait toujours peur, ce sont les phrases que Le Pen distille, les idées qu’il prône qui sont une mayonnaise qui prend dans la société française. Un homme de gauche n’avait-il pas dit que Le Pen posait de bonnes questions mais apportait de mauvaises réponses ? (ndlr : Fabius).
Par ailleurs, je ne fais pas d’exclusive sur les Musulmans en France, je ne dis pas qu’ils sont tous antisémites mais j’ai simplement peur qu’ils ne soient instrumentalisés par des imams et divers courants islamistes. Le chômage n’excuse pas la violence que les instigateurs cherchent à médiatiser. La ghettoïsation des populations immigrées concentrées dans des cités dortoirs a également généré de la violence. Je suis persuadée que les Juifs de France pourront continuer à vivre en paix dans l’Hexagone tout en tenant compte hélas de l’impossibilité d’extirper à jamais les sources d’un antisémitisme millénaire. Pour combattre l’antisémitisme, il existe en France tout un arsenal juridique, il en va de même pour le négationnisme. Force est de constater - pour répondre au second volet de la question -, que la communauté juive s’est radicalisée tant au niveau politique que religieux mais également dans son rapport quasi affectif avec l’Etat d’Israël. La preuve en est la présence massive de Juifs de France venus vivre en Israël.
Pensez-vous que l’antisémitisme soit la seule cause du départ d’un nombre de Juifs français en Israël ?
Je crois que l’inquiétude des parents quant à l’avenir des enfants tant sur le plan religieux, sociétal et économique est incitative pour faire leur Alya. Mais d’autres la font et la feront par choix, par idéal. Nous avons toujours eu l’amour d’Israël, ainsi deux de nos petits-fils ont fait leur Alya et se sont parfaitement adaptés à la société israélienne. Deux autres ont choisi de vivre en France. Cet exemple illustre à lui seul les deux options qui coexistent dans notre pays. Le choix de la Diaspora doit s’accompagner de la diffusion des connaissances approfondies historiques et culturelles juives dans un échange avec d’autres cultures et civilisations. Ajoutons à cela que les idéaux républicains que nous défendons sont pour beaucoup inspirés par les Textes ; ces valeurs humanistes sont universelles.
A l’approche des grandes échéances électorales d’aucuns avancent l’hypothèse d’un vote juif.
Serait-ce bien raisonnable de donner des consignes de vote ?
Très honnêtement, numériquement, je ne pense pas qu’il existe un vote juif. Nous sommes à peine 1% de la population.
On peut peut-être parler d’une posture éthique ou morale venant des personnalités rayonnantes dans la cité. J’ai entendu à une radio juive une personnalité fort respectable appeler à voter pour l’un des candidats. Cela m’a mise en colère car selon moi le vote est une affaire personnelle et on ne doit pas mettre la communauté au service d’une seule option politique, fût-elle noble. Chaque citoyen fait le choix en fonction de ses convictions politiques et sans aucun doute par rapport à la politique proche-orientale de la France.
Un nombre de grands organismes d’Etat, d’administrations et d’institutions de par le monde ont à leur tête des femmes. Pour ne citer que ces trois exemples : Israël (ministre des Affaires étrangères), Allemagne (Chancelière), Lettonie (Présidente). Alors comment expliquer l’absence d’une candidate pour la présidence du CRIF ?
Force est de constater que la condition de la femme juive a beaucoup évolué. Il y a quelques années, à la direction du Fonds Social Juif Unifié se trouvait Nicole Goldmann ; je rappelle que j’avais exercé une lourde charge au CRIF, qu’aujourd’hui Nelly Hansson dirige la Fondation du Judaïsme Français, que la FMS est dirigée par Anne-Marie Revcolevski. Il y a vingt ans, les femmes juives n’avaient pas encore acquis la culture politique ; bien sûr il y avait l’exemple de Simone Veil, ministre, Présidente du Parlement Européen, Présidente de la FMS, membre du Conseil constitutionnel. Depuis, dans le monde politique on instaura la parité. Je ne parle pas de « jupettes » vite renvoyées à leurs foyers. Regardons autour de nous, sans les citer, les femmes qui sont très présentes dans le paysage politique français. Nous femmes entendons ces Messieurs qui nous disent : « oui, bien sûr nous devons laisser entrer les femmes », tout en voulant garder leurs postes. Le CRIF n’échappe pas à ce schéma. Je rappelle que nous avions au Bureau exécutif du CRIF, Hélène Djian, Gilberte Djian, Nicole Goldmann. Il faut que ces femmes que nous connaissons et apprécions pour leurs qualités se présentent au Bureau directeur du CRIF et fassent leur chemin vers des postes à responsabilités. Dans certains projets les femmes apportent une approche différente dans les actions à mener. Mais au-delà de la présence des femmes dans les instances dirigeantes, ce qui me paraît aujourd’hui important est de susciter l’implication des jeunes générations dans toutes les instances de la communauté juive de France.
Propos recueillis par C.H.