Tribune
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Publié le 9 Février 2006

Que va faire le MRAP ?

La présente réflexion n’a absolument pas pour objet de prendre position sur la polémique suscitée par la publication de caricatures sur Mahomet par des journaux européens. En revanche, certaines prises de positions obligent à une réflexion et un questionnement. Ainsi, la décision prise par le MRAP d’assigner France-Soir provoquent-elle un débat au sein de cette association. Il ne nous semble pas inutile de revenir sur la cohérence des différentes actions menées par cette association antiraciste et de poser quelques questions légitimes.


Acte 1.
L’information est révélée par le quotidien Le Monde, dans son édition du 7 février 2006. Le mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) a décidé le samedi 4 février, de porter plainte contre France-Soir pour l'une des caricatures de Mahomet reproduites par le quotidien qui, selon le mouvement, « porte une incitation délibérée à la haine et à la violence envers tous les musulmans ». Nous apprenons (en regardant le site Internet du MRAP) que le Conseil d'Administration de l’association (réuni le samedi 4 février) a donné mandat à la direction du MRAP de porter plainte contre la caricature parue dans France-Soir (21 voix pour, 6 contre, 1 abstention). « Nous estimons légitime de critiquer toutes les religions, y compris l'islam, et ne sommes pas choqués par les caricatures du prophète Mahomet », tient à souligner son président, Mouloud Aounit. « Mais, ajoute-t-il, le dessin présentant Mahomet avec un turban en forme de bombe, en associant islam et terrorisme, participe à une volonté de nuire, de stigmatiser, et de blesser la conscience des musulmans en les rendant tous coupables des forfaits monstrueux des terroristes. »
Cette décision n'a cependant pas été sans susciter un vif débat au sein de la direction du mouvement. Considérant ces poursuites contre France-Soir comme une « grave erreur », douze des élus de la direction nationale rendaient publique, dès lundi 6 février au soir, une déclaration demandant « solennellement le réexamen » de cette décision. « Si ce dessin peut légitimement offenser les musulmans, cela reste une caricature. Et, surtout, dans le contexte de haine raciste qui se développe actuellement dans les pays arabes, nous ne pouvons pas soutenir cette plainte contre France-Soir. Ces réactions sont en effet une instrumentalisation de l'islam politique mais aussi du machiavélisme de certains gouvernements arabes, la Syrie en particulier. Et nous ne pouvons pas faire abstraction de cela », soutient Gérard Kerform, l'un des douze membres du conseil d'administration du mouvement et président de la fédération des Landes, précise Le Monde. « Nous partageons l'essentiel des combats du MRAP contre les intolérances, insiste-t-il, mais aujourd'hui dans cette affaire, nombre de comités sont ébranlés. »
Dans son édition du 9 février 2006, Libération annonce qu’un prochain bureau du MRAP discutera également de l'opportunité de déposer plainte contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo. Là encore, cette annonce suscite des remous au sein du MRAP. « On reconnaît aux populations musulmanes le droit d'être blessées, mais la caricature fait partie des règles du jeu démocratique », explique Gérard Kerforn. Selon lui, un mouvement de protestation se ferait sentir au sein de l'organisation « qui se traduit par des menaces de démission, voire des démissions tout court ». « On veut que la plainte soit retirée », déclare également Jean-Marie Bonnet, coprésident du MRAP Montpellier. « Nous pensons que la liberté de parole est fondamentale et qu'il est hors de question qu'un mouvement comme le nôtre porte plainte contre un journal.»
Ce débat au sein du MRAP est extrêmement intéressant parce qu’il révèle qu’il existe une réelle fracture au sein de cette association entre une ligne majoritaire et de nombreux délégués. Par ailleurs, nous nous demandons si la plainte déposée contre France-Soir ne va pas doublement heurter des délégués qui se souviennent sûrement qu’au nom de la « liberté d’expression » Mouloud Aounit avait apporté devant l’Olympia son soutien à Dieudonné, le 20 février 2004, après que le théâtre eut décidé de supprimer toutes les représentations de « l’artiste »
Acte 2.
Mardi 7 février, un influent quotidien iranien, Hamshahri, a annoncé qu'il allait organiser un concours de dessins et caricatures sur la Shoah pour voir si l'Occident appliquera le même principe de respect de la liberté de la presse pour le génocide des juifs par le régime nazi que pour les caricatures de Mahomet. Ce journal est la propriété de la municipalité de Téhéran, qui est dominée par les alliés du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, connu pour son opposition virulente à Israël et aux Juifs.
Dans un communiqué publié le 7 février 2006, le MRAP a indiqué que « c'est avec effroi que le MRAP vient d'apprendre que le plus important journal iranien a lancé un concours de caricatures sur l'holocauste en réponse à la publication de celles de Mahomet parues dans la presse européenne. Le MRAP tient à exprimer son indignation devant une telle provocation antisémite visant à blesser délibérément la mémoire des victimes des forfaits monstrueux du nazisme. Aucun démocrate ne saurait accepter une telle insulte au nom de la liberté d'expression. Le MRAP en appelle à la communauté internationale pour condamner cette offense à la mémoire des victimes de ce crime contre l'humanité. »
Dont acte.
Questions posées au MRAP :
1. Le quotidien Hamshahri est consultable sur l’Internet. Conformément aux nouvelles dispositions de la loi sur l’économie numérique (LEN), votée en 2004 - la faculté est offerte au juge des référés, en dehors de tout autre critère de compétence, de prescrire la mesure de filtrage d’un site Internet raciste et antisémite (article 6-I.8 de la loi). Le MRAP connaît bien cette disposition puisqu’il s’est associé à 7 autres associations (1) pour demander en 2005 le filtrage d’un site négationniste de langue française, l’AAARGH. Le MRAP demandera-t-il le filtrage de ce site, conformément aux dispositions de la LEN ?
2. Ce matin, de nombreux quotidiens en langue arabe s’étonnent que l’Europe et les Etats-Unis aient été heurtés par l’annonce faite par Hamshahri, de ce concours de dessins sur la Shoah. Exemple : le quotidien algérien El Watan (dans son édition du 9 février) dénonce avec virulence le fait que Georges W. Bush « vole au secours du sacro-saint holocauste » ce qui « est sans commune mesure avec leurs réactions (des occidentaux) plutôt mesurées contre les caricatures ciblant le Prophète Mohamed (QSSSL) ». Question subsidiaire : le MRAP engagera-t-il des poursuites judiciaires contre les quotidiens arabes qui minorent ou nient la Shoah ?
3. Tous les jours, de nombreuses caricatures qui relèvent de l’iconographie chrétienne moyenâgeuse, présentent le Juif comme l’ennemi du genre humain : un être fourbe, lâche, arrogeant, dominateur, sorte de vampire assoiffé de sang et qui veut dominé le monde. Les caricatures blasphèment également la religion juive, ses Livres sacrés et les Rabbins. Le MRAP assignera-t-il les innombrables quotidiens, hebdomadaires et mensuels en langue arabe et/ou perse qui publient quotidiennement des caricatures dignes de l’organe nazi Der Stürmer ?
4. Le MRAP avait en son temps dénoncé la diffusion d’émissions antisémites par Al Manar, la télévision du Hezbollah libanais. Le MRAP engagera-t-il une action d’envergure contre la diffusion par les satellites d’innombrables autres émissions antisémites et négationnistes diffusées par de nombreuses télévisions arabes ou iraniennes ?
Autant de questions qui mériteraient une réponse et susciteront éventuellement la réflexion des uns et des autres.
Marc Knobel
Notes :
1. A savoir : l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF), SOS Racisme, la Ligue française pour la Défense des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH), J’Accuse, l’association Mémoire 2000, l’association Amicale des Déportés d’Auschwitz et des Camps de Haute Silésie et le Consistoire Central Union des Communautés Juives de France.